Par Johan Hardoy ♦ Écrivain et historien bien connu de Polémia, Dominique Venner est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages. Il a également fondé et dirigé les magazines Enquête sur l’histoire et La Nouvelle Revue d’Histoire, dont Grandeur et décadence de l’Europe reprend les éditoriaux publiés de 1991 à 2013, année de sa mort.
Servi par un style d’une grande fluidité, l’auteur expose avec érudition le déroulement de faits historiques marquants, tout en proposant au lecteur des analyses et des réflexions dans lesquelles prédomine toujours le souci d’une grande probité intellectuelle.
Histoire et identité
Quelques idées-forces caractérisant la vision du monde de Dominique Venner méritent d’être soulignées :
* Il faut envisager la perspective du « temps long » pour expliquer en profondeur les événements historiques. La Guerre d’Algérie s’inscrit ainsi dans la longue histoire du flux et du reflux européen de part et d’autre de la Méditerranée depuis plus de deux mille ans.
* L’histoire est tragique, loin des considérations humanistes dont certains prétendent aujourd’hui faire une politique.
* Au contraire des historiens qui considèrent comme négligeable l’action des hommes au regard des forces sociales et économiques, la place des hommes est prépondérante, que celle-ci se manifeste par l’émergence d’un homme d’exception ou par le sort d’une bataille.
* L’histoire est imprévisible car l’inattendu est roi. La Première Guerre mondiale, par exemple, n’était pas une fatalité mais la conséquence, à un moment précis, d’un faisceau de circonstances particulières et fortuites telles que l’attentat de Sarajevo du 28 juin 1914.
* Les vainqueurs écrivent l’histoire, ou plus exactement en font une vérité publique. Cependant, comme les Sudistes après la Guerre de Sécession, il arrive que les vaincus prennent une revanche par le biais de la littérature ou du cinéma.
* Toutes les cultures sont d’une égale dignité mais c’est la nôtre qui doit nous intéresser au premier chef, car notre devoir est de retrouver et cultiver notre « mémoire identitaire » : « Je ne peux m’empêcher de penser aux enchaînements qui ont conduit l’ensemble des Européens, jadis maîtres du monde, à ne plus être maîtres de rien, et d’abord chez eux. » C’est à leur très longue « mémoire » que les Chinois, les Japonais ou les Juifs doivent d’avoir surmonté périls et persécutions sans jamais disparaître.
* La puissance est nécessaire pour exister dans le monde et être libre de son destin, mais elle n’est pas tout car les maladies de l’âme peuvent détruire les nations et les empires. Le danger est réel pour les Européens d’aujourd’hui qui sont, provisoirement, en « dormition ».
* L’Iliade, qui n’est pas seulement le poème de la guerre, forme avec l’Odyssée l’œuvre fondatrice totale et le miroir dans lequel les Européens peuvent retrouver leur visage. La féminité, trait distinctif de notre civilisation, s’y affirme déjà en toute souveraineté à travers des personnalités telles qu’Andromaque, Briséis, Hélène, Pénélope, Nausicaa, Euryclée…
* Jeanne d’Arc témoigne quant à elle de la part médiévale et enracinée de l’âme française, dont Descartes figure le pôle opposé. Les deux orientations se mêlent et se heurtent tour à tour dans notre pays, tradition celtique de la poésie sensuelle et froide et tradition latine de la rationalité, France de Villon et France de Bossuet.
* Par ailleurs, les intellectuels engagés sont également des combattants. Évoquant Robert Brasillach, Dominique Venner affirme ainsi : « La plume d’un écrivain n’est pas une arme moins redoutable que des fusils ou des mitrailleuses. Pourquoi et au nom de quoi l’écrivain devrait-il bénéficier du privilège d’échapper au sort du soldat ? Pourquoi devrait-on admettre une immunité spéciale pour l’écrivain et douze balles pour les autres ? »
La déchirure algérienne
Une des périodes historiques évoquées dans le livre a profondément marqué l’auteur. Très jeune, celui-ci s’est volontairement engagé dans le combat pour l’Algérie française en rejoignant un régiment de chasseurs à pied (il sera décoré de la Croix du combattant) puis, en tant qu’activiste, l’Organisation Armée Secrète-Métropole (ce qui lui vaudra dix-huit mois de détention). De cet engagement, il dira : « Sans le militantisme radical de ma jeunesse, sans les espérances, les déceptions, les complots ratés, la prison, les échecs, sans cette expérience excitante et cruelle, jamais je ne serais devenu l’historien méditatif que je suis. »
Plusieurs éditoriaux sont consacrés à cette guerre, qualifiée de véritable « fracture dans les mentalités françaises ». De 1954 à 1962, 2 700 000 jeunes appelés ont été mobilisés en Algérie pour ce que l’on appelait des « événements » ou des « opérations de maintien de l’ordre » (Ce n’est qu’en 1999 que l’Assemblée nationale officialisera l’expression « Guerre d’Algérie ».)
Malgré des erreurs ou des torts, c’est l’honneur des généraux et des officiers, lors du putsch d’Alger d’avril 1961, ainsi que des partisans de l’O.A.S., d’avoir tenté de défendre jusqu’au bout les Français d’Algérie et les musulmans fidèles, finalement livrés par le gouvernement républicain à l’exode ou au massacre. « Eh bien, ils souffriront ! » déclarait froidement le Général de Gaulle…
Le 19 mars 1962, date du cessez-le-feu accepté la veille à Évian par les représentants de l’État, n’a d’ailleurs pas marqué la fin des violences, mais seulement le retrait des troupes et l’abandon progressif du pays et de ses habitants, Européens compris, au pouvoir et à la vengeance cruelle d’un F.L.N. animé de la double influence du léninisme et d’un islam combattant.
L’impensable est alors advenu : l’expulsion du million de pieds-noirs d’Algérie, en application du précepte « la valise ou le cercueil ».
Cette année-là, seule une petite minorité de métropolitains s’est réellement inquiétée de la situation. De leur côté, les partisans français de l’indépendance clamaient que la décolonisation apporterait bientôt la paix, la justice, la prospérité et la démocratie en Algérie.
De nos jours, les passions de ce conflit franco-français ne sont pas éteintes, tant pour les dirigeants et le peuple algériens que pour les pieds-noirs. Quelques millions d’immigrés algériens ou de Franco-Algériens vivent désormais en France, animés de sentiments incertains. Cette présence massive aurait également été impensable quelques décennies plus tôt.
Fidèle à sa méthode, Dominique Venner conclut en prenant de la hauteur historique : « ce conflit apparaîtra surtout comme un combat perdu par l’Europe face à l’Afrique pour la défense de sa frontière du Sud. En effet, une frontière, qui plus est une frontière ethnique, ne se défend bien qu’au-delà des lignes naturelles de partage que constituent les fleuves, les montagnes ou les mers. Les historiens de l’avenir diront donc que l’invasion de la France par les foules africaines et musulmanes a commencé en 1962… »
Johan Hardoy
11/10/2021
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