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Grand débat national : Macron verrouille la question de l’immigration

Grand débat national : Macron verrouille la question de l’immigration

par | 19 janvier 2019 | Politique, Société

Grand débat national : Macron verrouille la question de l’immigration

Par Paul Tormenen, juriste ♦ Après plusieurs tergiversations, l’immigration sera bien un thème du grand débat public initié par le Président de la République et organisé par les maires. Mais il y a un problème de taille : il ne s’agira pas de s’exprimer par rapport à une question ouverte mais de répondre à une question orientée passant sous silence de nombreux enjeux de l’immigration massive que nous connaissons.


« En matière d’immigration, une fois nos obligations d’asile remplies, souhaitez-vous que nous puissions nous fixer des objectifs annuels définis par le Parlement ? » : telle est la question à laquelle les participants au grand débat national pourront répondre. La question est à l’image des autres posées par le Président de la République dans sa lettre aux français : orientées et corsetées. Ceci bien qu’E. Macron affirme qu’« il n’y a pas de questions interdites » (1). Que ressort-il des termes employés pour demander l’avis des français et cadrer le débat sur l’immigration ?

« Une fois nos obligations d’asile remplies »…

De quelles obligations E. Macron parle–t-il ? Si notre pays accueille un grand nombre de demandeurs d’asile, peut-on considérer pour autant que ses obligations soient « remplies » ? Plusieurs éléments en font douter :

En matière de demandes d’asile. En plus des 122 700 dossiers déposés en 2018, 35 000 demandes d’asile ont été faites soit par des déboutés du droit d’asile dans un autre pays européen qui tentent leur chance en France, soit par des personnes qui n’ont pas effectué de demande d’asile dans le premier pays européen où ils ont été enregistrés (2). L’application du règlement Dublin, qui organise l’étude des demandes d’asile en Europe, impliquerait leur réadmission dans le premier pays européen d’enregistrement. Or seule une minorité de ces demandeurs sont « réadmis ». Il en résulte qu’une grande partie des demandes d’asile faites en France ne respecte pas les règles fixées au niveau européen.

– En matière de suites aux refus des demandes d’asile. Très majoritairement (à 70%), les demandeurs d’asile voient leur demande refusée (2). Il s’agit donc dans ce cas d’une immigration économique. La conséquence normale devrait être le retour dans le pays d’origine. Selon un rapport de la Cour des comptes réalisé en 2015, seule une très faible proportion des déboutés du droit d’asile est éloignée du territoire français  (3). Cette mansuétude aboutit au fait que de nombreux ressortissants de pays sûrs (guinéens, albanais, géorgiens, ivoiriens, etc.) tentent leur chance en France, pour se perdre ensuite dans les méandres du cheminement administratif. Cette situation se traduit dans les chiffres : la France est un des seuls pays européens qui voit les demandes d’asile augmenter fortement (4).

On peut donc difficilement dire que la France remplit toutes ses obligations en matière d’asile, qui impliquent non seulement des droits mais aussi des devoirs.

« En matière d’immigration, (…) souhaitez-vous que nous puissions nous fixer des objectifs annuels définis par le Parlement ? »

La question pourrait laisser penser que des « quotas » s’appliqueraient à l’immigration dans son ensemble. Il n’en est rien. De quoi parle-t–on ?

– Des 15 000 mineurs étrangers non accompagnés arrivés en 2018 selon l’Assemblée des départements de France (5) ? Non. Le Code de l’action sociale et la convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par la France ne permettraient pas de fixer des quotas en l’état. Sauf à dénoncer la signature de la France.

– Des 89 000 extra- européens ayant reçu un premier titre de séjour au titre du regroupement familial en 2018 en France métropolitaine (2) ? Non. La France a ratifié plusieurs conventions internationales (convention européenne des droits de l’homme, convention de New York du 26 janvier 1990, etc.) qui ne le permettent pas. Sauf à les dénoncer, ce qui semble inenvisageable avec le gouvernement actuel.

– Des 82 500 étudiants étrangers extra européens arrivés en 2018 ? Probablement pas davantage.

– Des 70 000 clandestins, voire plus, qui sont arrivés en France en 2017 (dernier chiffre connu) (6) ? Non plus.

Sur les 255 550 premiers titres de séjour délivrés en 2018 en France métropolitaine, seule l’immigration économique serait concernée par d’éventuels quotas. Les 32 815 premiers titres de séjour délivrés pour motif économique représentent 12% du total des premiers titres de séjour délivrés en France.

Et ces chiffres ne prennent pas en compte l’immigration intra-européenne, pour quelque motif que ce soit : détachement, immigration familiale, etc.., compte tenu des règles de libre circulation en vigueur au sein de l’Union européenne.

Si l’objectif était donc modestement de réguler l’immigration de travail, les centaines de milliers de salariés étrangers détachés (516 000 en 2017) (7) qui ont travaillé en France en 2017 ne seraient pas concernés par de quelconques « quotas ».  Au final, ce débat portera donc sur de la roupie de sansonnet, au regard des flux d’entrées qui arrivent chaque année en France. De quoi amuser la galerie…

Paul Tormenen
19/01/2018

(1) « Grand débat national : les 32 questions qu’Emmanuel Macron pose aux Français dans sa lettre ». France Info. 13 janvier 2018.

(2) « 255 550 titres de séjour accordés en 2018 ». Le Figaro. 16 janvier 2019

(3) Rapport de la Cour des comptes sur l’accueil et l’hébergement des demandeurs d’asile. Juillet 2015

(4) « La France, pays de repli pour les demandeurs d’asile ». Le Point. 15 janvier 2019.

(5) « Congrès de l’ADF, vers l’amorce d’un dégel ? ». Assemblée des Départements de France. 18 novembre 2018

(6) « Les frontières avec l’Italie et l’Espagne sous pression ». Le Figaro. 19 mars 2018

(7) « Travailleurs détachés, un déferlement de travailleurs low cost, vraiment ? ». Commission européenne. 26 mars 2018.

Source : Correspondance Polémia

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