Par Michel Geoffroy, auteur de La Super-classe mondiale contre les peuples ♦ Polémia suit avec attention le mouvement des Gilets Jaunes. L’un de ses contributeurs les plus actifs et les plus appréciés – Michel Geoffroy – a consacré plusieurs articles à ce phénomène social assez extraordinaire. Dans ce nouveau texte, Michel Geoffroy analyse les possibles retombées du mouvement avec un brin de pessimisme. Cette vision ne représente pas nécessairement celle de l’équipe Polémia, dont plusieurs membres se retrouvent régulièrement sur les ronds-points ou en manifestation et gardent intact l’espoir sincère d’une véritable révolution.
Le mouvement des Gilets Jaunes dure. C’est un fait. Mais sur quoi débouche-t-il vraiment ? Sur pas grand-chose. Sinon un renforcement de la censure et de la répression politique au service du Système !
Analyse d’un échec annoncé.
Les Gilets Jaunes tournent en rond
Le mouvement des Gilets Jaunes reçoit certes un soutien de l’opinion publique dans les sondages, malgré les campagnes de diabolisation montées contre lui par le truchement des médias.
Mais les sondages ne sont pas les élections. Et ce soutien reste largement morganatique : on met peut-être un gilet jaune en évidence sur le tableau de bord de sa voiture, mais on ne va pas plus loin.
Ces sondages ne peuvent cacher que le mouvement n’est pas parvenu pour autant à s’étendre au-delà de son cercle initial, malgré deux mois de mobilisation.
Sur ce plan le gouvernement n’a pas tort quand il affirme que les Gilets Jaunes ne rassemblent qu’une minorité de la population.
Certes « on ne lâche rien », mais on tourne en rond.Car on reste avant tout entre soi.
L’arrière ne suit pas
S’il fait la une des médias, force est de constater que le mouvement des Gilets Jaunes n’a pas fait tache d’huile. Il n’y a pas eu de convergence des mécontentements, qui seule aurait pu ébranler le gouvernement, comme cela s’est produit en mai 1968.
Notamment parce que les organisations syndicales – et à travers elles le monde du travail – ne s’est pas mis en mouvement. Les quelques velléités de grève des transporteurs, initiée par FO, ont vite été stoppées. Les organisations syndicales, à la représentativité déclinante voient en effet d’un très mauvais œil le caractère de « coordination » du mouvement des Gilets Jaunes qui les concurrence directement.
En outre la CFDT, première organisation nationale, est devenue un syndicat de collaboration. Son secrétaire général n’a d’ailleurs pas caché son hostilité aux Gilets Jaunes qu’il considère comme… « totalitaires ».
Nous ne sommes plus en mai 1968
Les Gilets Jaunes n’ont pas fait tache d’huile parce que précisément nous ne sommes plus en 1968 !
Aujourd’hui, le monde du travail est largement précarisé, les organisations syndicales ont perdu leur crédibilité et les salariés y regardent à deux fois avant de faire grève, y compris dans le secteur public. Après 30 année de déconstruction libérale/libertaire du droit du travail , le chacun pour soi règne désormais.
Sans oublier aussi que l’emploi industriel s’est effondré et qu’une bonne partie de la production ne s’effectue plus en France : les patrons ne craignent plus les états d’âme des salariés français. Les travailleurs ? Mais il y en a de moins en moins en France !
Les banlieues de l’immigration n’ont pas bougé non plus, sinon quelques racailles venues piller dans le sillage des manifs. Une aubaine pour le maintien de l’ordre qui peut se consacrer à sa priorité : la répression des Gilets Jaunes.
L’opposition laisse passer sa chance
Autre différence majeure avec mai 1968 : les partis politiques d’opposition n’ont rien fait de sérieux jusqu’à présent pour donner une dimension politique nationale au mouvement des Gilets Jaunes. Seul Jean-Luc Mélenchon l’a tenté.
Car il ne suffit pas de se faire photographier sur un rond-point occupé par des Gilets Jaunes, ou de déclarer « soutenir » le mouvement, pour changer les rapports de force. A fortiori face à un président qui cumule tous les pouvoirs, y compris celui des médias, et qui s’appuie sur les solides institutions de la Ve République.
Le mouvement est pourtant clairement politique même s’il s’affirme non partisan : quoi de plus politique en effet que la question de l’impôt ou de la représentation du peuple ? A-t-on oublié que la réunion des Etats Généraux en 1789 a achoppé sur ces deux questions ?
Mais les revendications des Gilets Jaunes sont multiples, pour ne pas dire brouillonnes tout en étant incomplètes : car elles font curieusement l’impasse sur les questions sécuritaires ou relatives à l’immigration, par exemple, qui pourtant concernent aussi la France périphérique.
Pour devenir un mouvement crédible, il fallait les mettre en ordre, les hiérarchiser et les replacer dans un cadre politique cohérent. Bref avoir une ambition et un programme.
Faute de leader reconnu, les Gilets Jaunes n’en sont toujours pas capables. Mais faute d’engagement clair à leur côté, les partis d’opposition de droite n’ont pas non plus profité de la dynamique des Gilets Jaunes.
Une nouvelle fois la droite, toujours démunie intellectuellement face à la question sociale, a laissé passer sa chance.
Les Gilets Jaunes dans une impasse
Les Gilets Jaunes ont beau crier « Macron Démission » ou réclamer le « référendum d’initiative citoyenne » (RIC) sur l’air des lampions. Cela ne suffit pas à créer une nouvelle dynamique politique dans la France de 2019.
Dans un tel contexte, la perspective de créer un parti des Gilets Jaunes pour les élections européennes ne peut déboucher en outre que sur un score ridicule et profiter en réalité à Emmanuel Macron, en fractionnant un peu plus l’opposition à sa politique.
Comme l’écrivait Lénine dans son célèbre essai La Maladie infantile du communisme : « Sans théorie révolutionnaire pas de mouvement révolutionnaire ». Le constat, qui remonte à 1920, reste valable.
Sans réel projet politique d’ensemble, le mouvement des Gilets Jaunes se condamne au folklore et à l’étiolement.
L’erreur de l’action violente directe
Mouvement de braves gens, les Gilets Jaunes ont aussi commis l’erreur de se laisser déborder ou manipuler par des adeptes de l’action directe violente. Mais cette violence est aussi la conséquence de l’impasse stratégique dans laquelle les Gilets Jaunes sont enfermés : car à l’évidence Emmanuel Macron ne démissionnera pas et il est peu probable que le RIC voit le jour dans le contexte institutionnel actuel, car tous les politiciens y sont hostiles. Et au fond d’elle-même, la droite a peur que l’extrême-gauche soit la seule bénéficiaire d’une telle réforme.
La violence reste néanmoins une erreur infantile qui conduit à une impasse : d’abord parce que l’Etat post-démocratique aura toujours la suprématie en matière de violence. Et depuis mai 1968, il a beaucoup appris en la matière !
Les révolutions naissent quand les forces de l’ordre n’obéissent plus au gouvernement légal. Cela a bien peu de chances de se produire en 2019.
Ensuite parce que la mise en scène de quelques agissements violents sert justement au gouvernement à diaboliser par amalgame tout le mouvement, désormais présenté comme un rassemblement de factieux haineux et de casseurs de flics.
Le principal résultat de cette violence est de donner au gouvernement un nouveau prétexte au renforcement de la répression de la dissidence politique en France : on nous promet déjà une nouvelle loi anticasseurs,une réduction de la liberté de manifester, le fichage des personnes « violentes » et une plus grande censure dans les médias (le CSA dit en novlangue, une plus grande responsabilité …).
Beau succès en vérité !
De nouvelles bases
Dans les conditions actuelles et sauf à ce qu’il change d’organisation et de stratégie, le mouvement des Gilets Jaunes ne modifiera pas la donne politique dans notre pays en 2019. Et ses acquis sociaux se limitent aux quelques annonces présidentielles du 10 décembre, que la conjoncture atone aura tôt fait de raboter en 2019.
Il restera une révolte populaire avortée comme il y en a eu beaucoup dans l’histoire. Car, si le Système gouverne mal, il se défend bien.
Néanmoins le bilan des Gilets Jaunes ne sera pas uniquement négatif pour autant.
Les Gilets Jaunes ont d’abord mis un terme en effet à l’individualisme pathologique dans la France périphérique : des Français se sont redécouverts et ont réappris le sens de l’action collective. Même si le mouvement s’arrête, ces Gilets Jaunes resteront disponibles pour autre chose.
Le mouvement a aussi contribué à affermir la maturité politique d’une partie de la population autochtone. L’échec même la renforcera : il en va toujours ainsi dans l’histoire.
Enfin le mouvement des Gilets Jaunes a mis un terme à l’impunité dont jouissait la classe médiatique dans son rôle de défense de l’oligarchie et de diabolisation du peuple français. Plus rien ne sera comme avant en la matière.
Les manifestants en Gilets Jaunes auront ainsi ébranlé un puissant soutien de la Davocratie. C’est une bonne nouvelle pour demain.
Michel Geoffroy
13/01/2019
Source : Correspondance Polémia
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