Par Johan Hardoy ♦ Gérald Darmanin a récemment réussi l’exploit d’être le premier homme politique récompensé lors d’une cérémonie des Bobards d’Or ! Le sinistre ministre a en effet reçu un Gérald d’Or pour l’ensemble de ses mensonges, complaisamment relayés par des médias aux ordres. Car Gérald Darmanin aime qu’on lui obéisse. Et c’est bien ainsi que l’on pourrait comprendre la réforme de la Direction centrale de la police judiciaire voulue par Gérald Darmanin. Une réforme qui pourrait bien s’avérer une aubaine pour les mafias et les cartels ! Explications par Johan Hardoy.
Polémia
Dans un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, une série télévisée très populaire célébrait en musique les exploits du commissaire Valentin, des inspecteurs Pujol (le « titi parisien ») et Terrasson (le méridional) et de leurs collègues des Brigades du Tigre, surnommées ainsi en référence à Georges Clemenceau.
Emmanuel Macron et Gérald Darmanin connaissent-ils l’histoire de cette prestigieuse brigade de police motorisée devenue l’une des directions les plus prestigieuses de la Police nationale ? Aujourd’hui, ces gouvernants entendent modifier l’équilibre des pouvoirs en plaçant cette dernière sous l’autorité pleine et entière du pouvoir exécutif, ce qui ne laisse pas d’inquiéter vivement les professionnels de la procédure pénale confrontés à l’essor du crime organisé.
Une police spécialisée née avec la modernité
À la Belle Époque, la France se transforme au rythme accéléré d’une industrie triomphante qui remet en cause les structures traditionnelles. La criminalité augmente également dans des proportions inquiétantes. C’est le temps des apaches et de Casque d’or, qui inspirera le film célèbre de Jacques Becker. En 1906, plus de cent mille affaires criminelles et correctionnelles sont classées sans suite faute d’identification des auteurs.
En 1907, les Brigades régionales de police mobile sont créées par le préfet de police Célestin Hennion et par le ministre de l’Intérieur Georges Clemenceau. Les succès sont immédiats : en un an, plus de 2 500 arrestations sont menées à bien par ces policiers spécialisés qui utilisent des moyens techniques modernes (l’automobile, le télégraphe, le téléphone et les fiches anthropométriques issues des travaux d’Alphonse Bertillon) tout en pratiquant la savate et la canne.
En 1941, ces brigades régionales deviennent des services régionaux de police judiciaire (SRPJ), avec des compétences étendues à la police économique. Cette réforme est supprimée à la Libération puis rétablie en 1947.
De nos jours, la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) dispose d’un état-major, de services centraux spécialisés et de services déconcentrés qui comptent plus de 5 000 fonctionnaires. Son cœur de métier est la lutte contre le crime organisé et la grande délinquance, mais elle participe également à la lutte antiterroriste, à la coopération policière internationale et à la surveillance des établissements de jeux et des champs de course. Pour des raisons historiques, Paris et les départements de la petite couronne demeurent un cas particulier puisque les missions de sécurité publique, de police judiciaire et de renseignement relève de l’autorité du Préfet de police et non de la DCPJ.
Une réforme très contestée en interne
Gérald Darmanin entreprend désormais de chambouler le bel ordonnancement de cette prestigieuse direction en la plaçant sous le contrôle des préfets locaux, comme à Paris.
Un directeur départemental de la police nationale (DDPN) dirigerait ainsi, sous l’autorité du préfet, tous les services de police d’un département (renseignement, sécurité publique, police aux frontières et donc police judiciaire).
En octobre dernier, on se souvient de l’accueil glacial à Marseille du directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, quand deux cents policiers de la PJ locale lui ont réservé une « haie du déshonneur », en restant bras croisés et silencieux, pour exprimer leur mécontentement à l’égard de cette réforme. D’autres actions de protestation ont également eu lieu à Paris et dans plusieurs villes de province, mais, comme l’a déclaré le ministre devant le Sénat, « Ce n’est pas parce qu’il y a des contestations qu’il faut arrêter une réforme. (…) Nous serons prêts pour décembre 2023 ».
Les raisons de la colère
Pourquoi une telle défiance de ces professionnels, à laquelle s’ajoutent celles des syndicats de policiers et de magistrats et même de collectifs de familles de victimes, devant ce qui semble à première vue une rationalisation de bon aloi du fonctionnement de l’institution policière ?
À l’examen, cette appréhension ne paraît pas dénuée de fondements :
Une grande criminalité reléguée au second plan
En fonction des exigences statistiques, de la pression des élus ou des spécificités de la délinquance locale, le risque est réel de voir les enquêteurs expérimentés de la PJ être mobilisés sur des tâches liées à la sécurité du quotidien afin de remédier aux manques d’effectifs.
Concrètement, ces policiers spécialisés dans les affaires criminelles pourraient très vite se retrouver à traiter, en plus de leurs enquêtes, des affaires intéressant la petite et moyenne délinquance pour renforcer les commissariats locaux. Comme le dit une magistrate, « sur les dossiers les plus complexes, c’est un travail en profondeur, de longue haleine, avec des enquêteurs dédiés ». Le risque est grand « que l’on priorise demain la masse et le court terme pour faire du chiffre ».
Le ministre a cherché à les rassurer : « Non, on n’utilisera pas des grands policiers de PJ qui font du grand banditisme pour faire des violences conjugales. »
Les intéressés s’inquiètent aussi de voir leur activité confinée au niveau départemental par le DDPN et le préfet alors qu’ils sont confrontés à une criminalité transnationale.
Par ailleurs, il ne paraît pas improbable que les effectifs de la PJ soient également sollicités par le préfet à l’occasion de violences urbaines ou de fortes mobilisations populaires de Gilets jaunes, d’agriculteurs ou de « supporteurs anglais »…
Une atteinte à la séparation des pouvoirs
Conformément à un principe à valeur constitutionnelle, la police judiciaire est exercée sous l’autorité des magistrats (procureurs et juges d’instruction), de façon à lui accorder une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Dans les faits, les officiers de police judiciaire portent cependant une « double casquette » puisqu’ils dépendent du ministère de l’Intérieur.
De nombreux magistrats voient donc dans cette réforme une menace sur « l’indépendance de l’autorité judiciaire », susceptible de se révéler notamment dans des affaires impliquant des personnalités ou des élus. Comme le dit l’un de ces magistrats : « Demain, les policiers de la PJ devront rendre compte au préfet, représentant de l’exécutif. On a là une vraie difficulté concernant la séparation des pouvoirs ».
Gérald Darmanin a réfuté ces critiques en les comparant à un scénario digne d’un film de Claude Chabrol : « Peut-être que le préfet peut renseigner le notaire ou le cousin évêque sur ce qu’il se passe dans la grande de ville de la préfecture. »
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L’Europe gangrenée par les mafias
Un des officiers de police judiciaire qui protestait à Marseille déclarait : « Notre principale crainte, c’est un affaiblissement des missions de la PJ, celles qui consistent à protéger la France contre les mafias et les cartels ».
De fait, la police et la gendarmerie sont confrontées à la montée en puissance de réseaux mafieux ultra-violents, dotés de moyens financiers et technologiques toujours plus importants, et d’une délinquance transnationale qui prospère via les possibilités offertes par le Darknet.
En Belgique et aux Pays-Bas, les « mafias de la drogue » n’hésitent plus à menacer physiquement des juges, des avocats, des journalistes et des ministres ! Le ministre de la Justice belge et sa famille ont ainsi dû être placés dans un lieu secret après des menaces d’enlèvement. La famille royale de Hollande elle-même a été visée : l’héritière du trône, la princesse Amalia d’Orange-Nassau, a dû être exfiltrée de son logement d’étudiant pour être confinée au palais royal de La Haye.
Dans un pays notoirement corrompu comme l’Ukraine, où sont actuellement acheminées, sans véritable traçabilité, quantités d’armes et d’aides diverses, la puissante pègre locale engrange des sommes colossales tout en se dotant d’un armement sophistiqué. Ces milieux criminels, déjà très organisés, vont ainsi devenir d’autant plus redoutables qu’ils pourront s’appuyer sur des relais implantés au sein des diasporas ukrainiennes vivant à l’étranger.
La montée en puissance des mafias sur le continent européen nécessite un investissement total des effectifs de la PJ, sans détournement de missions au gré des intérêts politiques et de l’actualité médiatique. Chacun son métier et les vaches seront bien gardées !
Johan Hardoy
03/03/2023
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