Avec ses rares cheveux filasses, son museau de souris épuisée et ses tenues de religieuse sécularisée, on aurait envie de lui faire la charité. Sauf que Françoise Nyssen pèse lourd dans le monde français de l’édition avec un chiffre d’affaires de plus de 67 millions d’euros en 2016 et un important patrimoine immobilier composé de plusieurs bâtiments situés dans le secteur sauvegardé d’Arles, classé au Patrimoine mondial de l’humanité.
L’aisance financière du couple Nyssen-Capitani (le mari devenu PDG d’Actes Sud quand son épouse endossa le costume de ministre de la Culture) et la domination « culturelle » qu’ils exercent sur la ville d’Arles, notamment au moment des Rencontres photographiques de la ville, peuvent-elles justifier le peu de cas qu’ils font des règles du patrimoine architectural quand ils décident de faire des travaux ?
Et que dire du « jemenfoutisme » total dont ils font preuve quand ils refusent — plus de sept ans durant ! — de se conformer aux remarques des architectes des Bâtiments de France, qui avaient cependant autorisé des travaux qu’ils n’auraient pas tolérés de la part du péquin moyen désireux de faire les mêmes transformations dans ce secteur classé, qui a ses règles bien précises ? Ainsi aura-t-il fallu la nomination de l’Arlésienne (d’adoption : elle est native d’Etterbeek, en Belgique) à Paris pour découvrir le pot aux roses.
Un sacré machin culturel
Révélé par les journalistes Hervé Liffran et Christophe Nobili dans le Canard Enchaîné du 20 juin dernier, le scandale architectural serait resté lettre morte si Macron avait fait un autre choix pour la Rue de Valois. Le maire communiste d’Arles joue maintenant les vierges offensées mais, il s’est contenté pendant sept ans d’envoyer des petites missives au couple Capitani « pour se plaindre de leurs constructions ». Soit. Mais n’oublions pas qu’Actes sud est un des gros contribuables de la commune et entretient avec elle une sorte de connivence culturelle avec son centre culturel Méjean et les quelque trois cents emplois générés par la maison d’édition elle-même et toutes les activités annexes.
En 2011 donc, Nyssen et son mari décident d’agrandir leur espace vital. Un espace qui passera de 180m2 à 636m2 pour la seule librairie, une fois les travaux terminés, et qui comprend, en outre, le siège des éditions, trois salles de cinéma, un bar, un restaurant, la salle d’exposition Espace Croisière entièrement dédiée aux Rencontres d’Arles et un hammam dans lequel Mireille, l’héroïne de Mistral, se serait sentie très mal à l’aise.
Très rapidement, une commission de « sécurité pour les risques d’incendie et de panique » inspecte la nouvelle librairie et note l’absence d’autorisation de travaux et de permis de construire. Pire, cette même commission donne un avis défavorable pour accueillir du public, « des risques d’incendie et de panique pouvant mettre en péril les personnes ». Le couple Nyssen-Capitani ne tiendra aucun compte de cet avis et la fermeture de ces locaux inflammables ne sera jamais ordonnée. La mairie ne voulait évidemment pas se fâcher avec de tels compagnons de route qui, en plus, sont pleins aux as.
Un drôle de revirement
Visiblement secouée par les révélations du Canard Enchaîné et gênée aux entournures, la mairie communiste a décidé de dégainer et s’aperçoit soudain que Capitani n’a déposé aucune demande pour aménager l’Espace Croisière mis depuis des années à la disposition du festival arlésien de la photographie. Il se serait contenté de déposer deux poutres en bois pour renforcer le bâtiment qui est devenu un haut lieu de l’événement avec un bar temporaire et des salles d’exposition. La querelle entre les intéressés montre surtout le degré de perméabilité entre une municipalité qui su fermer les yeux au moment opportun et un clan familial qui a su faire son trou dans la ville. La querelle actuelle n’est qu’une querelle de façade destinée à donner le beau rôle à la ville.
Une simple négligence
La patronne de la Rue de Valois a mis du temps à réagir, se contentant de parler d’une simple négligence. Elle a surtout eu le toupet d’affirmer que l’affaire n’avait rien de « politique ». Comme si cela allait de soi qu’un ministre en charge du patrimoine, et qui s’est allègrement affranchie des règles et du code de ce même patrimoine quand elle était présidente du directoire d’Actes sud, ne prenne pas la défense de ce patrimoine tellement mis à mal.
De fait, cette affaire tombe bien mal au moment où Emmanuel Macron tente de faire passer la loi ELAN qui supprime les règles régissant la profession d’architecte et tend à réduire le pouvoir des architectes des Bâtiments de France. Ces derniers auraient moins leur mot à dire sur les monuments en péril et ne pourraient plus s’opposer à certains aménagements sur des sites protégés. Enfin, leur diagnostic ne serait plus prioritaire s’agissant de bâtiments anciens en péril qui seraient purement et simplement détruits sans autre forme de procès. Vent debout contre cette loi, de nombreux architectes ont d’ailleurs publié une tribune au vitriol dans Le Monde. Elle a visiblement laissé de marbre Françoise Nyssen qui vient de se voir privée, par décret ministériel, de toutes responsabilités relatives au livre et à l’édition. Un an pour découvrir qu’il pouvait y avoir conflit d’intérêts avec Actes sud dont son mari est président c’est presque aussi long que la gestation d’une mère éléphant.
Françoise Monestier
Source : Présent
09/08/2018
Crédit photo : Didier Plowy/Ministère de la Culture et de la Communication [CC BY-SA 3.0], via Wikimedia Commons
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