Par l’Observatoire du journalisme ♦ Une rumeur bruisse dans les salles de rédaction autant que dans certains cabinets ministériels de pays européens encore et provisoirement sous gouvernant libérale culturelle : le vivre-ensemble ne fonctionnerait pas. Non ? Si. Et c’est L’Express qui vient de découvrir l’eau chaude.
Ceci, peu avant que Gérard Collomb, jusque-là grand officier du Maître des horloges, n’en fasse publiquement l’aveu en passant ses pouvoirs de ministre de l’intérieur à son premier ministre, Édouard Philippe.
Une situation inédite qui pourrait parfois rappeler, les libéraux culturels et libertaires dominant les médias le signalent régulièrement, les fameuses années 30 : la situation de décrépitude politique ne peut qu’inquiéter des salles de rédaction qui n’ont pas été pour peu dans l’élection du « nouveau monde » d’Emmanuel Macron.
Retour au réel ou tactique provisoire ?
Ce que traduit cette démission, et qui bruisse dans les salles de rédaction, à l’image de celle de L’Express daté du 26 septembre 2018, c’est le simple retour de la réalité : en effet, le vivre ensemble ne fonctionne pas. Et ce n’est pas nouveau. Ce qui l’est, c’est que les adeptes de ce qui a pu être appelé « la religion du multiculturalisme » s’en aperçoivent. La chose est assez surprenante pour être interrogée. Est-ce une prise de conscience réelle ?
Auquel cas, ceux qui vivent concrètement le « vivre ensemble » au quotidien, dans leur immeuble, leur quartier, leur ville ou l’école de leurs enfants, ne peuvent que s’en réjouir. Ils attendaient cela depuis de longues années. Ou est-ce plutôt la prise de conscience que, sans un infléchissement devant cette problématique du vivre ensemble, les gouvernances médiatiques et politiques (souvent imbriquées) risqueraient de perdre la main dès les élections européennes de 2019, poussées à la porte par l’élan des politiques menées par un Salvini ou un Orban ? Auquel cas, il s’agirait d’une nouvelle tactique pour conserver un pouvoir institutionnel et médiatique de plus en plus moribond. Ce qui à terme risquerait d’être dévastateur tant les peuples européens paraissent avoir soupé du double discours des oligarchies en place.
Notons que le questionnement quant à l’échec ou non du vivre ensemble survient en pleine polémique autour d’Éric Zemmour, lequel lance livre après livre l’alerte sur les dangers que l’échec évident du vivre ensemble et du multiculturalisme fait peser sur l’existence même de la France. On peut voir dans la violence épidermique de la réaction contre les propos de Zemmour (concernant le rôle intégrateur du choix d’un prénom français pour un enfant issu de l’immigration, simple constat de bon sens, longtemps accrédité dans la vie concrète) un révélateur de ce même échec.
À l’évidence, des populations ethniquement et religieusement identifiées n’ont pas dans l’idée de faire corps avec la France mais plutôt d’assimiler le pays qui les a accueillis à des cultures exogènes, aux mœurs éloignées de l’habitus européen. C’est justement cela que montre le dossier de L’Express.
Le vivre ensemble, on n’aime plus ça à L’Express ?
C’est même « La fin du vivre ensemble » dans « La France des communautarismes ». Il y a quelques années, une telle accroche eut été lue en Une de Minute. Pire, la couverture annonce trois thèmes : « Comment le modèle français disparaît » ; « Sarcelles, laboratoire du séparatisme » ; « La montée de l’antisémitisme de voisinage ». Le quidam qui croise cette Une et lit ensuite les pages de L’Express ne peut que se dire « enfin ! », puis… « Mince, espérons qu’il ne soit pas trop tard… ».
Du coup que lit-on dans les pages de ce dossier, dont il faut avec déontologie reconnaître le bien fondé ?
- L’accroche et le premier article du dossier, signés Anne Rosencher, donnent le ton : « Le modèle français, celui du citoyen sans étiquette qui se mélange dans un quotidien collectif s’est abîmé. De plus en plus, le vivre séparé fait loi ». Un constat intéressant, cette même semaine où le président de la République intègre les citoyens français de Saint Barthélémy à la République, par selfie, sueur et doigt d’honneur interposés.
- La prise de conscience est claire : « La responsabilité des politiques de gauche comme de droite, qui ont laissé des quartiers et des villes entières se ghettoïser sous l’effet d’une concentration des communautés, au fil des immigrations successives, la dernière vague chassant la précédente, est accablante. » l’article évoque « la partition » et « la France des ghettos » comme une réalité évidente, ainsi que « l’impensé démographique », autrement dit… la théorie du Grand Remplacement, sans oublier d’accuser « l’institution », impuissante, d’avoir acheté la paix sociale par clientélisme, puis d’avoir capitulé devant les communautarismes issus des migrations et l’évidence que la paix sociale n’existerait pas.
- Le second article s’intéresse à Sarcelles, ancien fleuron du « creuset républicain », devenu symbole de la « partition du territoire entre communautés » vivant face à face, et singulièrement de la montée d’un islamisme radical peu enclin à accepter la présence juive ou chrétienne. Sarcelles ? C’est plus de 80 nationalités… Ce qui a changé ? Le doublement de la population immigrée en 30 ans, avec « l’arrivée massive de familles nombreuses d’Afrique noire ». Sarcelles ? Une « ville sectorisée en ghettos ethniques ». La peur s’est installée et « les populations sont prêtes à tout pour ne pas partager les mêmes cages d’escaliers ». Sans compter la présence étouffante de la radicalisation islamiste. L’article pointe aussi le rôle de la municipalité qui favorise et finance les communautarismes.
- Suit un entretien avec Jérôme Fourquet, directeur du département opinions de l’IFOP, qui s’interroge sur « qui est majoritaire » dans les zones de contact entre communautés. Pour lui, la France n’est plus une république mais « une société d’archipel », un pays « atomisé ».
Un dossier à la fois très intéressant et révélateur. Intéressant en ce qu’il décrit de façon sérieuse et déontologique la réalité. Autrement dit, ce dossier est un véritable travail journalistique. Révélateur aussi, en ce que la simple existence d’un dossier de cette nature dans L’Express traduit l’urgence dans laquelle la France se trouve. Qu’un hebdomadaire comme L’Express annonce la fin du vivre ensemble et pointe (enfin) l’impossibilité du multiculturalisme, pourrait signifier que la ligne rouge a déjà été franchie, que la situation est déjà trop intenable pour empêcher la ou les partitions. Notons qu’il y a quelques années ce dossier eut sans doute valu une volée de bois vert médiatique à L’Express et sans doute l’hebdomadaire aurait-il alors été accusé de faire le jeu de l’extrême droite. Prochaine étape dans L’Express, un dossier sur la nécessité et les bienfaits de la préférence européenne ? A suivre.
Observatoire du journalisme
11/10/2018
Source : OJIM.fr
Crédit photo : Une de L’Express