C’est un réquisitoire implacable contre la politique africaine de Macron que vient d’écrire Leslie Varenne. Je dirais même plus, un réquisitoire qui rend triste, car il établit, au-delà de notre recul géopolitique en Afrique, l’accélération du déclassement de notre bon vieux pays.
Emmanuel Macron : fossoyeur des intérêts français au Sahel
Spécialiste reconnue de l’Afrique, Leslie Varenne, dans un livre bien troussé au titre « tintinien » : Emmanuel au Sahel, analyse la succession d’erreurs de jugement et de fautes personnelles du huitième président de la République, qui ont conduit à la réduction, au minimum, voire à la disparition, de notre influence au Sahel, et partant, dans une partie de notre pré carré, mais aussi à l’ONU. Et sans doute pour longtemps.
Car, pour Leslie Varenne, la responsabilité personnelle d’Emmanuel Macron est incontestable : « La défaite politique de la France au Niger illustre la méthode Macron. Décider seul, tenir, quoi qu’il en coûte, contre tous, contre l’histoire, contre vents et marées, contre les évidences. Puis finir par jeter l’éponge, et faire comme si rien ne s’était passé…[1] » Bref, se croire supérieur, se tromper, se débiner, et laisser la m… aux suivants[2].
Si elle passe rapidement sur les fautes de goûts, les provocations pro-LGBT (entre autres) auxquelles s’est livré « Emmanuel au Sahel » et qui devraient rester au niveau de l’anecdote (après tout, il y a bien une danse de Gaulle en Côte d’Ivoire et des boubous Giscard d’Estaing[3] au Sénégal) mais qui ont profondément heurté les sensibilités africaines[4], Leslie Varenne expose que l’exercice tout personnel du pouvoir d’Emmanuel Macron – « Je suis celui qui sait » – est la cause immédiate du désastre géopolitique qui a eu lieu au Sahel depuis sept ans. Son incipit est d’ailleurs lapidaire : « Le président qui ne sait pas qu’il ne sait pas.[5] »
Une marque de fabrique de la technocratie française et de ses grands prêtres : « Les énarques[6] ont conçu des “machins” qui se résument à ces fameux piliers : sécurité, développement, retour de l’État. Il fallait remplir des imprimés et cocher les croix dans les cases ou présenter les PowerPoint et leur longue suite d’acronymes, P3S, PUD, approche 3D…[7] »
Les propos choc de Bernard Lugan sur l’aide française au Mali
Une analyse au scalpel des torts d’Emmanuel Macron
Après ce préambule, Leslie Varenne passe en revue les événements qui ont conduit à l’expulsion de la France de quatre des cinq pays du Sahel francophone : Mali, Guinée (pas vraiment au Sahel, mais bon) Burkina Faso, Niger. Pour le Tchad, la situation n’est pas encore perdue. Pour ces cinq pays, on observe, effondré, la répétition des mêmes comportements entraînant les mêmes catastrophes, tant il est vrai que les mêmes causes produisent généralement les mêmes effets. Les militaires disent : « Même motif, même punition ! »
Vient ensuite le temps de l’analyse des causes « vraies », comme l’aurait écrit Thucydide, de cet effondrement géopolitique.
Leslie Varenne montre bien que la première cause réside dans la perte de repères, cette fameuse connaissance du terrain, que les anciens « coloniaux » maîtrisaient si bien et dont la perte n’a pas commencé en 2017[8]. On pourrait citer tout à trac la disparition du corps des « Africains » au quai d’Orsay, l’absence de spécialisation géographique des diplomates, situation que la réforme Macron du « Quai » ne va faire qu’accentuer.
Permettez-moi de citer ici une expérience personnelle. Le premier ambassadeur de France que j’ai rencontré en Malaisie avait été en poste en Australie puis en Malaisie, et a fini en Algérie (deux fois). Le second, après un passage au Japon, est venu à Kuala Lumpur, avant de partir pour Tshwane (pardon, Pretoria[9]) en Afrique du Sud. On fait mieux pour construire une expérience régionale. À l’inverse, les Britanniques, dans une certaine mesure, et plus encore les Russes spécialisent leurs ambassadeurs à partir de compétences linguistiques, et donc régionales (en plus d’avoir une compétence transverse : désarmement, énergie…) Ainsi, l’ambassadeur du Royaume-Uni, que je connaissais bien, avait servi à Brunei, en Indonésie, en Thaïlande et en Malaisie. On comprend mieux pourquoi les Britanniques ont ce qui est considéré comme le meilleur corps diplomatique européen[10].
Influence américaine
À cet affaiblissement des compétences, Varenne ajoute le changement idéologique du « Quai » et des politiques, autrement dit l’abandon de la ligne gaulliste, pour un alignement pro-américain, commencé avec Chirac mais accentué sous Sarkozy.
« L’élection de Nicolas Sarkozy a marqué un autre tournant : celui de la prise de pouvoir des néoconservateurs[11], signant ainsi la fin de l’ADN français en matière de politique étrangère[12]. »
Leslie Varenne souligne aussi l’importance particulièrement débilitante du retour dans le commandement intégré de l’OTAN qui a retiré à l’armée française toute originalité doctrinale et opérationnelle, et accentué un phénomène de soumission intellectuelle chez les officiers (regardez les généraux qui passent aujourd’hui à la télé pour nous expliquer que l’Ukraine va gagner la guerre [sic]…). « Depuis la présidence Sarkozy et le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, insidieusement s’est installée chez beaucoup de militaires comme chez de nombreux diplomates une américanisation des esprits et des processus[13]. »
Comme en plus l’armée française n’a pas un rond, elle en est arrivée à concevoir de partager ses bases avec les Américains, et donc à perdre doublement son autonomie opérationnelle.
Emmanuel Macron, catalyseur du désastre
Et c’est bien sur ces causes structurelles que le style macronien, orienté essentiellement vers l’autoglorification, avec une prédilection pour les grandes messes télévisuelles lui permettant de se mettre en valeur, quitte à insulter ses hôtes[14] – « Ces grands raouts seront l’alpha et l’oméga de la politique étrangère française au cours des deux quinquennats. Aussi coûteux qu’inefficaces[15] » – a agi comme un catalyseur.
Pour Macron, l’activisme a plus d’importance que le fait d’avoir des résultats.
Le bilan n’est vraiment pas glorieux d’autant que, la nature ayant horreur du vide, d’autres crocodiles[16] qui font moins la fine mouche (sic) se sont engouffrés dans le vide laissé par la France. Peut-être savent-ils résoudre le paradoxe sur lequel bute la diplomatie française en Afrique depuis Mitterrand : « Comment se maintenir dans un pays sans garantir le fauteuil d’un chef d’État contre la volonté du peuple[17] ? »
Pour conclure, Leslie Varenne montre bien ce que ce déclassement aura comme conséquences. Après tout, ces cinq pays du Sahel font partie des plus pauvres du monde, mais « [la] déroute de la France entraîne des conséquences lourdes sur sa place au sein des institutions internationales, de l’Union européenne et du Conseil de sécurité.[18] »
En effet, la place un peu particulière de la France en Europe et dans le monde tenait, entre autres, à un leadership industriel dans quelques domaines stratégiques (armement, aéronautique, énergie…) aujourd’hui bien abîmé, à son siège au Conseil de sécurité, son arme nucléaire, son empire ultramarin, et sa présence africaine qui lui donnait une voix que les autres (l’Allemagne notamment) n’ont pas. C’est tout cet édifice, relativement solidaire, qui est en train de s’effondrer. Et force est de reconnaître que Macron aura été le chef de chantier de cette démolition, même si d’autres avant lui avaient bien affaibli les fondations[19].
Sa conclusion contre Macron est assassine, pourtant on ne peut que la rejoindre dans la constatation de ce que cette vanité aura eu de coupable : « Le président français aura seulement mis la touche finale au processus de marginalisation [de la France] et, par son style inimitable, cristallisé les rancœurs et les rejets[20]. »
Prochaine étape, la fédéralisation de l’Europe.
Frédéric Éparvier
09/06/2024
Notes
[1] Varenne (Leslie), Emmanuel au Sahel, éditions Max Milo, 2024, p. 171.
[2] Que les dieux nous préservent…
[3] Revoir le film Les Bronzés.
[4] L’épisode de la réaction des épiscopats africains à la déclaration pontificale « Fiducia supplicans » est particulièrement révélatrice à cet égard.
[5] Varenne (L.), op. cit., p. 11.
[6] Ceux-là, je les aime vraiment bien…
[7] Varenne (L.), op. cit., p. 42.
[8] Un parfait exemple de cette évolution, est l’enseignement de l’Afrique à Saint-Cyr et à l’École de guerre, où Bernard Lugan, chantre des causes politico-ethniques, a été remplacé en 2016 par une professeure privilégiant les causes économico-sociales.
[9] Un excès de modernisme, sans doute. Que Bernard Lugan me pardonne.
[10] Un de mes amis ambassadeurs me confiait, désolé : « C’est l’éternel problème généralistes (ceux qui ne savent pas grand-chose sur tout) versus spécialistes (ceux qui savent presque tout sur pas grand-chose). » Ajoutant que la suppression du corps diplomatique par Macron allait accentuer ce phénomène.
[11] Je ne suis pas d’accord avec elle sur le virage néoconservateur, car il y a pour moi plus de suivisme que d’idéologie dans la politique étrangère française… C’est encore moins glorieux.
[12] Varenne (L.), op. cit., p. 55.
[13] Ibid., p. 37.
[14] L’épisode de 2017 lors duquel Macron a insulté le président burkinabé en indiquant qu’il était parti réparer la « clim » est éloquent.
[15] Varenne (L.), op. cit., p. 38.
[16] Il se trouve d’ailleurs que le premier crocodile est un ours.
[17] Varenne (L.), op. cit., p. 198.
[18] Ibid., p. 222.
[19] Chirac, Sarkozy et Hollande…
[20] Varenne (L.), op. cit., p. 209.
- Donald Trump ou Kamala Harris ? Un scrutin extrêmement serré - 31 octobre 2024
- Donald Trump en route vers la victoire ? Analyse électorale et pronostic - 17 octobre 2024
- Occident go home ! Cuisine et géopolitique avec Michel Geoffroy - 1 octobre 2024