Par Joaquín Leguina, homme politique socialiste, économiste, démographe et écrivain ♦ Le premier ministre espagnol, l’immigrationniste et mondialiste Pedro Sanchez, a décidé de raviver, 80 ans après sa fin, les plaies de la guerre civile espagnole. En s’en prenant au mémorial de la Vallée de Los Caidos et en retirant la dépouille du général Franco.
Cette volonté d’imposer une histoire en noir et blanc – où les « méchants » seraient d’un seul côté et les « gentils » de l’autre – est loin de faire l’unanimité en Espagne. Y compris du côté socialiste. Parmi d’autres, le socialiste madrilène Joaquín Leguina, acteur politique majeur de la « transition démocratique », critique sévèrement cette décision. Et rappelle que des atrocités ont été commises des deux côtés.
Polémia
La signification de la loi d’amnistie de 1977 et celle de la Constitution de 1978 était la réconciliation nationale et l’oubli de la guerre civile, car dans la guerre, les deux camps se livrent au « nettoyage de l’ennemi », même si on cherche aujourd’hui à sanctifier l’un des deux camps.
Il est invraisemblable que le nouveau PSOE veuille réécrire l’histoire avec une nouvelle Loi de mémoire historique [1] qui interdirait de dire ce que je vais maintenant vous raconter. Car il s’agit de deux histoires terribles qui impliquent des socialistes avec leur carte du parti.
Le 2 juillet 1936, des tueurs membres des JSU (Jeunesses socialistes unifiées) sont entrés dans un bar fréquenté par des jeunes et ont tué deux étudiants phalangistes [2]. Peu de temps après, des tueurs de droite ont assassiné José del Castillo, qui était un lieutenant de la Garde d’assaut [3] et un socialiste bien connu. Le 12 juillet 1936, un capitaine de la Garde Civile, Fernando Condés (un militant de gauche qui avait participé à la révolte contre le gouvernement d’Alejandro Lerroux à Madrid, en octobre 1934) [4], habillé en civil et accompagné de quatre hommes armés, qui étaient des socialistes de la Motorizada [5], ont présenté leurs lettres de créance aux policiers qui protégeaient le parlementaire de droite José Calvo Sotelo, ont pénétré chez lui et l’ont emmené dans une camionnette de la Garde d’assaut. Luis Cuenca, un socialiste proche d’Indalecio Prieto, lui a aussitôt tiré deux balles dans la tête par derrière. Puis, ces hommes se sont rendus au cimetière de l’Almudena et ont jeté le corps du parlementaire à l’entrée du funérarium. Condès est allé ensuite se cacher chez la député socialiste Margarita Nelken. La guerre civile n’a pas tardé à éclater et à l’arrière-garde du camp républicain, quelques 40 000 personnes ont été assassinées, dont 7 000 prêtres, religieuses, séminaristes, dont douze évêques.
À Madrid, plus de 60 tchékas [6] (pour reprendre la terminologie russe) ont fonctionné à plein régime. Grâce à leurs méthodes de détentions illégales, plus de 10 000 personnes ont été tuées dans la seule arrière-garde de Madrid. La tchéka la plus célèbre s’appelait La brigada del amanecer (La brigade de l’aube). Elle était dirigée par Agapito García Atadell, l’ancien secrétaire général du syndicat des imprimeurs de l’UGT (Union générale des Travailleurs). Ces personnes dépourvues de toute humanité, entraient dans les maisons pour les piller et emmenaient les gens jugés suspects pour les liquider au cours d’une « promenade ». Lorsqu’en novembre 1936 les troupes franquistes ont menacé de prendre Madrid, le courageux combattant García Atadell a récupéré une bonne partie des biens qu’il avait volés et, rejoint par deux complices et leurs épouses respectives, il s’est enfui à Marseille. Une fois parvenu dans le port français, il a pris un bateau pour l’Amérique. Mais il a été arrêté à Las Palmas où le navire a fait escale (on a dit que les gens de Prieto l’avaient dénoncé). Atadell a été par la suite transféré à la prison de Séville, où il a rencontré l’écrivain Arthur Koestler, et il a été très rapidement exécuté. Est-ce à dire qu’Atadell est aussi une victime du franquisme ?
Les gens de ma génération, et encore moins ceux des générations suivantes, n’ont aucune responsabilité dans les événements que je viens de relater, mais en tant que personne morale, le PSOE ferait bien d’oublier toutes les atrocités de la guerre, celles des deux camps.
Joaquín Leguina
09/09/2018
[Toutes les notes sont du traducteur]
[1] A la suite de la présentation d’une proposition de nouvelle loi modifiant la loi de Mémoire historique de 2007, présentée au nom du groupe socialiste, par Margarita Robles Flores (actuelle ministre de la défense) fin 2017, le journaliste Carlos Herrera a interpellé le leader socialiste en ces termes: « Voyons Sánchez, tu proposerais qu’on me mette une amende et qu’on me jette en prison si je mettais une plaque à la porte de la maison de mon grand-père rappelant qu’il a été assassiné par des miliciens anarchistes en 1938 ? Ce n’est pas une question rhétorique, c’est la réalité historique […] On pourrait donc rappeler seulement les grands-pères des uns et pas ceux des autres ? … Les socialistes veulent être ceux qui décident de la réalité de l’histoire… Ils ont lu Orwell, ils l’ont cru et ils l’ont intériorisé… Il ne manquerait plus qu’ils inventent une nouvelle sorte de tcheka pour attraper les dissidents » (Carlos Herrera, « Aquellos fusilados en las tapias », ABC, 16 février 2018) [NdT].
[2] Les deux étudiants phalangistes étaient Miguel Arriol (19 ans) et Jacobo Galán (18 ans). Ils étaient à la terrasse du Bar Roig de Madrid, rue Torrijos, lorsqu’ils ont été criblés de balles à partir d’un véhicule surgi soudainement. Plusieurs autres personnes furent blessées, dont le joueur du Real Madrid, Felix Quesada [NdT].
[3] Équivalent des CRS [NdT].
[4] Alejandro Lerroux était le leader du parti radical (auquel s’opposait la branche radicale-socialiste qui avait fait sécession). Lors du soulèvement socialiste, putsch en bonne et due forme d’octobre 1934, Franco qui était aux ordres de Lerroux est apparu comme le sauveur de la République [NdT].
[5] La Motorizada était une milice socialiste aux ordres d’Indalecio Prieto dont la tendance relativement modérée, se distinguait de celle du socialiste bolchevisé, le Lénine espagnol, Francisco Largo Caballero [NdT].
[6] En espagnol les checas ou chekas étaient des organisations officielles ou non, de l’État, des partis ou des syndicats, qui arrêtaient, jugeaient, torturaient et assassinaient en toute impunité dans la zone républicaine ou du Front populaire [NdT].
Source : Traduction d’une tribune pour El Economista via correspondance Polémia
Crédit photo : [CC BY-SA 4.0], via Wikimedia Commons