« Cette Charte met en danger l’identité de la France et celles de ses régions ce dont Jean-Marc Ayrault ne se soucie guère. »
Le 22 janvier doit être débattue à l’Assemblée nationale la proposition de loi constitutionnelle socialiste permettant de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. La Constitution qui énonce que « la langue de la République est le français » devrait donc être réformée. Qu’en sera-t-il et surtout, en cette période d’instabilité politique, quel sera le processus retenu : la loi constitutionnelle qui exige l’approbation des trois cinquièmes des parlementaires ou le référendum dont les résultats sont toujours incertains ? Bruno Guillard nous livre son analyse.
Polémia
Lorsqu’il est venu à Rennes le 13 Décembre dernier pour signer avec le Conseil régional le Pacte d’avenir pour la Bretagne, Jean-Marc Ayrault, qui a toujours refusé de prendre en compte les identités régionales et tout particulièrement l’identité bretonne, s’est engagé à relancer le processus de ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Peut-être a-t-il fait cette promesse en Bretagne, à quelques mois d’élections qui s’annoncent difficiles pour les socialistes, afin d’éviter un désaveu trop cinglant dans une région qui a voté massivement pour François Hollande en 2012 mais qui compte désormais énormément de déçus, ce qui explique sans doute la montée importante de la cote de sympathie dont bénéficie aujourd’hui Marine Le Pen en Bretagne.
La Charte et ses conséquences
La Charte européenne des langues régionales et minoritaires qui a été rédigée en 1992 à l’initiative du Conseil de l’Europe a pour objectif d’assurer l’avenir des langues régionales et minoritaires, ce qui en soit est tout à fait louable. Les États signataires de cette charte s’engagent à promouvoir ces langues et à faciliter leur usage oral et écrit dans la vie publique et privée.
Le problème qu’elle pose réside dans l’interprétation qui peut en être faite ; en effet, bien que les langues des migrants en soient clairement exclues, il est tout à fait possible d’affirmer, comme l’a fait Bernard Cerquiglini du CNRS dans un rapport remis aux ministres en 1999, que des langues allochtones telles que l’arabe dialectal et le berbère peuvent être considérées comme minoritaires en France du fait de l’histoire spécifique de la France et de son empire colonial, ce que les thuriféraires de la charte omettent de préciser.
La Charte se prête aux interprétations parce qu’elle utilise deux expressions ambiguës (« langues minoritaires dépourvues de territoires » et « langues historiques ») sur lesquelles B. Cerquiglini s’est appuyé pour faire son interprétation favorable à la reconnaissance de l’arabe dialectal et du berbère (en plus du romani et de l’arménien occidental).
Le risque qu’une telle interprétation soit faite par le gouvernement actuel qui est incité par ses conseillers à promouvoir l’utilisation de toutes les langues parlées par les populations immigrées (rapports sur l’intégration remis au premier ministre en décembre dernier) est suffisamment important pour refuser l’application de cette charte; si l’arabe dialectal et le berbère obtenaient le statut de langues minoritaires, il deviendrait difficile de ne pas satisfaire les revendications inévitables de tous les locuteurs de langues étrangères installés en France. Cette Charte met en danger l’identité de la France et celles de ses régions ce dont Jean-Marc Ayrault ne se soucie guère.
Le philosophe canadien Will Kymlicka qui a consacré une grande partie de ses travaux au fédéralisme et aux relations interculturelles au sein d’un pays dans lequel cohabitent des tribus indiennes, des descendants de Français et d’Anglais installés depuis plusieurs siècles et des immigrants récemment arrivés, a écrit que seules les cultures indiennes, francophone et anglophone pouvaient être considérées comme indigènes, à des titres différents il est vrai, et que par conséquent, elles seules devaient avoir un statut officiel parce qu’à la différence des colons Anglais et Français venus s’installer au Canada dans le cadre des politiques menées par les États dont ils dépendaient respectivement, les immigrants récents sont venus s’installer à titre personnel et que, de ce fait, ils ne peuvent réclamer des droits culturels collectifs.
Ce point de vue est transposable à la France dans laquelle seules les langues autochtones doivent pouvoir bénéficier d’un statut officiel. L’arabe dialectal et le berbère étaient autochtones en Algérie qui a été un département français jusqu’en 1962 mais l’État n’a pas imposé aux habitants de ce département de migrer dans la métropole ; les Algériens qui ont migré en France l’ont fait, comme tous les autres migrants, à titre individuel et ne peuvent donc pas revendiquer des droits collectifs.
Vers un référendum ?
Les langues sont des éléments essentiels de l’identité des peuples ; elles ont une dimension affective et symbolique très importante. Toute innovation en matière de politique linguistique devrait faire l’objet d’une décision réellement démocratique c’est-à-dire d’un référendum. La Charte, bien qu’elle ait été signée par Lionel Jospin en 1999 est incompatible avec plusieurs points essentiels de la Constitution de 1958, notamment avec son article 2 qui prévoit que « la langue de la République est le français »; son éventuelle ratification impose une réforme constitutionnelle préalable, laquelle ne peut être adoptée que par une majorité des trois cinquièmes au Parlement réuni en Congrès ou par un vote référendaire majoritaire. Ne pouvant espérer une telle majorité qualifiée au Parlement, Jean-Marc Ayrault aura peut-être recours à un référendum qui portera sur l’adoption d’un texte inacceptable à cause des interprétations qui peuvent en être faites et du fait qu’il ne peut être ratifié avec des réserves.
Si le gouvernement a un réel souci du devenir de nos langues régionales, il lui est tout à fait possible de préparer un projet de loi visant à leur donner de réels moyens d’existence et de développement dans leurs territoires historiques et de le soumettre à référendum, sans ratifier la Charte européenne, mais en s’en inspirant et en limitant ce projet de loi aux seules langues d’origine strictement autochtone (dans l’esprit de la Charte d’ailleurs).
Florian Philippot, la Charte et le Général
Florian Philippot a récemment écrit dans un tweet que la Charte européenne des langues régionales et minoritaires était « antinationale, anti-française et antirépublicaine ». On peut en effet considérer qu’elle est « anti-française » dans la mesure où elle peut mettre en danger l’identité de notre pays et de ses régions du fait de la reconnaissance possible de certaines langues extra-européennes comme nous l’avons écrit précédemment. Par contre, la reconnaissance et la valorisation des langues régionales autochtones est nécessaire et ne nuirait en rien à l’identité de la France dont la diversité culturelle est bimillénaire. La France est un pays qui est à la croisée des mondes germanique, latin et celtique et elle a toujours été depuis deux mille ans un carrefour des différentes cultures d’Europe occidentale ce qui était parfaitement accepté avant la Révolution malgré la politique royale d’uniformisation linguistique des documents officiels et juridiques (Ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 entre autres). Le bilinguisme de certaines communautés locales ne représente en rien une menace pour la cohésion et l’unité du pays et sa reconnaissance contribuerait au contraire à resserrer les liens entre la communauté nationale et ces communautés locales qui se considèrent à juste titre comme injustement brimées et victimes d’une tyrannie linguistique qui vise à les couper de leurs racines immémoriales. Au nom de quoi peut-on imposer un traitement inégal (au nom de l’égalité bien sûr) à ces communautés, dont la mémoire et l’héritage collectifs valent autant que ceux des communautés francophones ? Au nom, sans doute, de l’obsession maladive d’uniformité qui taraudait les idéologues révolutionnaires et sur laquelle il est urgent de tirer un trait.
Florian Philippot a surpris tous les observateurs en revendiquant récemment l’héritage gaullien, ce dont on ne peut que le féliciter. Ceci dit, il est important de souligner que le Général De Gaulle n’avait pas hésité à bousculer la vision « républicaine » de la France laquelle ne coïncidait pas avec l’idée qu’il se faisait de notre pays ; par exemple, en affirmant en 1969, dans un discours cité par Claude du Granrut, le génie des régions, la place essentielle qu’elles doivent occuper dans la vie du pays, leur capacité et leur droit d’avoir « une vie propre » et même, horresco referens, leur dimension ethnique qui de toute évidence ne l’effarouchait pas, bien au contraire. Dans un autre discours prononcé à Lyon le 24 mars 1968, il dit que le temps de la centralisation était terminé parce que la France était désormais un pays uni et il ajouta que toutes les régions devaient bénéficier de l’enrichissement du pays en participant également à l’activité économique. Par ailleurs, et pour en revenir à la question linguistique, il déclama, lors de son voyage à Quimper en Février 1969, quelques vers d’un poème rédigé en breton par son oncle Charles Ge Gaulle qui était un défenseur acharné de cette langue. Ces quelques phrases prononcées par le Général à la fin de sa vie méritent d’être méditées parce qu’elles permettent de penser que le Général avait une « certaine idée de la France » qui n’était pas du tout celle des révolutionnaires, ni celle de Bonaparte dont certains ont voulu faire le père putatif du gaullisme. La conception régionaliste ou plutôt provincialiste (Charles De Gaulle utilisa le mot « provinces » dans les discours cités) qui était la sienne relève de toute évidence d’une conception « organique » de la France dans laquelle chaque région participe de manière complémentaire et avec son propre génie à la personnalité et à la grandeur du pays.
Bruno Guillard
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