Un projet d’arrêté sur la thèse de doctorat en France circule actuellement. Quelques commentaires ont été faits, par des universitaires ayant notamment dirigé des thèses dans un très grand nombre de sujets. Ils sont universellement défavorables.
On lira notamment celui de Pierre Dubois sur son blog référencé ci-dessous :
La logique des changements introduits est celle de la bureaucratie centralisatrice. Celle-ci ne peut pas supporter que des situations concrètes, même rarissimes, ne soient pas encadrées par des règles, des procédures. Elle ne veut pas comprendre qu’il est impossible de tout régler centralement ; il existera toujours des zones d’incertitude, dont Crozier a démontré, il y a plus de 60 ans, qu’elles étaient aussi des zones de pouvoir. La bureaucratie n’aime pas les libertés académiques, n’aime pas les décisions à la base qui reposent sur la confiance. La bureaucratie est méfiante et souhaite que le sommet de la hiérarchie organisationnelle (le président de la COMUE ou de l’établissement) décide de tout, contrôle tout. Cet arrêté pousse les règles plus loin qu’auparavant, repose sur une méfiance généralisée à l’égard des directeurs de thèse.
Le domaine paraîtra technique et n’intéressera pas. Sous d’autres angles, les critiques faites au projet d’arrêté seront imputées à une caste défendant ses privilèges. Mais il présente une tout autre gravité. Notre ami Alain Cardon, professeur des universités dans le domaine particulièrement difficile des sciences informatiques, reprend les mêmes critiques et exprime les mêmes craintes. Nous publions ci-dessous son article.
En préambule, on peut se demander quelles sont les forces souterraines qui s’expriment actuellement en France pour combattre le rôle des universités, et auxquelles le gouvernement actuel donne le relais ? S’agit-il de lobbies économiques et industriels français pour qui il n’y a de recherche valable que terre-à-terre ? S’agit-il de leurs équivalents au niveau de la recherche européenne et surtout de la recherche américaine pour qui l’indépendance de la recherche universitaire française a toujours été présentée comme un archaïsme dangereux – même si de fait un grand nombre de thésards diplômés en France vont immédiatement travailler dans des entreprises américaines, dont beaucoup dans le secteur confidentiel de la défense, et dont personne n’entend plus parler.
S’agit-il, ce qui serait tout aussi dangereux, de faire de la thèse un moyen de promouvoir les « jeunes » méritants des banlieues ? On leur éviterait de fournir l’effort nécessaire pour comprendre ce qu’est la science et contribuer effectivement à ses progrès. On leur distribuerait, par des voies administratives et au prétexte d’intégration, un chiffon de papier qui leur permettrait d’accéder à des emplois sous-payés. Le bon sens consisterait au contraire à aider les volontaires, dès le secondaire, à progresser dans le cursus des connaissances, plutôt qu’abaisser continuellement les niveaux requis pour ce faire.
Dans un texte que nous venons de publier par ailleurs, nous constatons que la décision gouvernementale qui vient d’être prise, consistant à privatiser Arianespace, relève de la même démarche : détruire ce qui faisait la spécificité et l’audace de la science et de la technique française publique. Comme on dit, nous sommes mal partis.
Jean-Paul Baquiast
Source : Automates Intelligents n° 158
12/06/2015