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Face à Darmanin, Marine Le Pen entre logiciel dépassé et sous-motorisation

Face à Darmanin, Marine Le Pen entre logiciel dépassé et sous-motorisation

par | 20 février 2021 | Politique

Face à Darmanin, Marine Le Pen entre logiciel dépassé et sous-motorisation

Par André Murawski, conseiller régional (ex-FN/RN) des Hauts-de-France ♦ Le jeudi 11 février 2021, Marine Le Pen et Gérald Darmanin étaient invités à débattre sur France 2 dans le cadre de l’émission politique « Vous avez la parole » présentée par Léa Salamé et Thomas Sotto. Réunissant la présidente du Rassemblement national et le ministre de l’Intérieur, ce débat était attendu par la classe politique et par les médias en ce qu’il faisait figure de test. Test pour Marine Le Pen dont l’image restait sensiblement écornée après le calamiteux débat qui l’avait opposée à Emmanuel Macron le 3 mai 2017. Mais test aussi pour Gérald Darmanin dont le projet de loi sur le séparatisme empiète directement sur ce qui distinguait le discours du Front national de celui des autres partis depuis sa création en 1972 : la question de l’immigration.
Voici le point de vue d’André Murawski, ancien membre du Rassemblement national, sur ce rendez-vous en forme de test.
Polémia

 

Si certains observateurs ont tiré des conclusions parfois assez différentes de ce débat public, notamment sur les réseaux sociaux, la plupart des commentateurs ont néanmoins conclu à une relative proximité des protagonistes. Ainsi, le journal Le Monde a noté une « dédiabolisation par procuration ». Sud Ouest a évoqué « un débat à fleurets mouchetés ». France Culture a parlé de « match nul » tandis que RTL jugeait le débat « entre approximations et déception ». Estimant que le débat avait eu lieu « à front renversé », le journal La Croix a indiqué que « la candidate à la présidentielle et le ministre de l’intérieur n’ont pas affiché de grandes divergences de fond ». Et c’est peut-être en raison de cette absence de divergences que Marine Le Pen a, une nouvelle fois, déçu ses partisans.*

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire…

À commencer par le choix du contradicteur. Initialement sollicitée pour rencontrer Jean Castex, Marine Le Pen a décliné l’invitation. Peut-être ne se sentait-elle pas prête à affronter le Premier ministre sur les thèmes de l’autorité de l’État, de l’insécurité et, surtout, du plan de relance ? Peut-être s’est-elle senti plus d’assurance pour aborder un projet de loi en cours d’examen à l’Assemblée nationale, et abordant un sujet qu’elle connaissait mieux ? Mais en acceptant de débattre avec Gérald Darmanin, Marine Le Pen a donné l’image d’une candidate à la présidence de la République, âgée de 52 ans, qui se posait face au ministre de l’Intérieur, âgé de 38 ans et non candidat à cette fonction. Elle a ainsi donné le sentiment d’une différence d’envergure entre les deux débatteurs qui aurait dû tourner à son avantage, ce qui ne fut pourtant pas le cas.

À front renversé !

Comme la presse s’en est fait l’écho, le débat a montré un ministre de l’intérieur qui n’a pas craint de désigner l’islam politique comme « un ennemi mortel pour la République », tandis que Marine Le Pen se bornait à dénoncer « l’islamisme » qu’elle a défini comme une idéologie. La présidente du Rassemblement national sait-elle que les historiens de la IIIe République utilisaient le mot « islamisme » pour désigner la religion fondée par Mahomet, comme ils employaient les mots « judaïsme », « christianisme », « catholicisme » ou « anglicanisme » ? Sait-elle aussi qu’en 1928 Hassan-el-Banna a fondé le mouvement des Frères musulmans, qui, aux nationalistes égyptiens qui revendiquaient l’indépendance au nom de la démocratie, répondaient : « le Coran est notre constitution » et « l’islam est un système complet et total » ? Un autre courant de l’islamisme est le salafisme. On voit que l’islamisme n’est pas une idéologie, mais qu’il est un phénomène religieux présentant une matrice islamiste majeure présente aujourd’hui du Maroc à l’Indonésie en passant par l’Afrique subsaharienne et le Xinjiang, ainsi qu’un phénomène présentant une dérive violente connue sous le nom de « djihad ».

Comme l’indique l’historien et philosophe Rémi Brague, si « le christianisme se comprend comme une foi, l’islam se comprend comme une loi[1] ». Une loi divine qui l’emporte nécessairement sur les lois humaines. Il est donc singulier que Marine Le Pen considère l’islamisme comme une idéologie. Mais peut-être est-ce pour faire accepter son point de vue selon lequel « l’islam, laïcisé par les Lumières, est compatible avec la République[2] » ?

Toujours un peu fâchée avec les chiffres…

Abordant la question de l’immigration, Marine Le Pen a affirmé que 471 000 titres de séjour avaient été délivrés en France en 2019. Il existe plusieurs catégories de documents permettant à un étranger de séjourner dans notre pays, pour des durées très variables. Ces documents étant délivrés par l’administration, les pouvoirs publics disposent d’informations statistiques précises, que chacun peut librement consulter. Les dernières informations, datées du 12 juin 2020, font état de 274 676 admissions au séjour de ressortissants de pays tiers à l’Union européenne à 27, à l’Espace économique européen et à la Suisse. Les 277 000 annoncés par les journalistes correspondent peut-être à des données consolidées. En indiquant un chiffre très éloigné de la réalité, la présidente du RN a donc perdu en crédibilité dans un domaine qu’elle était pourtant supposée bien connaître.

Pourtant, le chiffre de 471 000 annoncé par Marine Le Pen n’était pas absurde. Mais là où la présidente du RN s’est trompée, c’est que ce chiffre n’est pas celui des titres de séjour mais celui des entrées connues en France. Sans doute Marine Le Pen a-t-elle tenté de se rattraper en citant les demandeurs d’asile et les mineurs isolés. Le drame est qu’elle n’a pas su l’expliquer. Car, en effet, on peut considérer, comme le démontre le dernier livre de Jean-Yves Le Gallou et Polémia intitulé L’Invasion de l’Europe – Les chiffres du Grand Remplacement[3], qu’aux 280 000 titres de séjour délivrés en 2019 il faut ajouter environ 160 000 demandeurs d’asile et 50 000 mineurs isolés. Évidemment, un certain nombre de demandes d’asile sont acceptées et donnent lieu à la délivrance d’un titre de séjour, mais elles ne représentaient que 36 000 titres de séjour pour 160 000 demandes. On peut donc évaluer le nombre d’entrées « non clandestines » sur le territoire français en 2019 entre 450 000 et 500 000[4].

Le Grand Remplacement à l’épreuve des chiffres – Le Zoom – Jean-Yves Le Gallou

Toujours sur le thème de l’immigration, Marine Le Pen a affirmé que seules 12,6 % des expulsions sont réellement exécutées. Le projet de loi de finances pour 2018 a effectivement pointé du doigt les résultats insuffisants de la lutte contre l’immigration irrégulière. Selon ce document, 92 076 mesures d’éloignement ont été prononcées en 2016, et 16 489 éloignements ont été réellement exécutés. La proportion pour 2016 était donc de 18 %. En 2018, le ratio se serait situé aux alentours de 15 %. Les affirmations de Mme Le Pen sont donc davantage crédibles dans ce domaine, même si l’on peut regretter qu’elle n’ait pas plaidé en faveur d’une application beaucoup plus stricte des décisions prononcées. Par exemple, elle aurait pu faire observer que Gérald Darmanin focalisait son action sur 850 clandestins fichés pour terrorisme, alors qu’il pourrait en faire expulser cinq fois plus en agissant aussi contre les étrangers fichés pour terrorisme mais en situation régulière sur le territoire national[5].

Darmanin, tartuffe de la lutte contre l’islamisme

Soumission au politiquement correct…

Le ministre de l’Intérieur a annoncé qu’il y a en France cinq millions d’étrangers, représentant 7,4 % de la population, sans que Marine Le Pen n’ait cru devoir commenter ces affirmations et, le cas échéant, lui porter la contradiction. Pourtant, la première observation que l’on peut faire consiste à préciser la source de cette information. Elle provient des statistiques de l’INSEE qui distinguent les étrangers des immigrés. En effet, les immigrés entrés en France comprennent les personnes de nationalité étrangère, les étrangers nés en France et les immigrés naturalisés français. Ainsi, selon l’INSEE, les immigrés totalisaient en 2019 6,7 millions de personnes, représentant 9,9 % de la population totale. Pour schématiser, la naturalisation de 2,5 millions d’immigrés a fait baisser « mécaniquement » de 10 % à 7,5 % la proportion d’étrangers présents dans notre pays, ce qui est déjà assez significatif. À ces chiffres il y a lieu d’ajouter, bien entendu, l’immigration clandestine dont on ne peut évidemment pas connaître précisément le poids, mais que Patrick Stefanini évalue à environ 900 000[6], ce qui porterait le nombre d’étrangers en France à 5,9 millions (8,8 % de la population) et le nombre d’immigrés à 7,6 millions (11,3 % de la population).

Au reste, en s’appuyant sur les mêmes statistiques, Marine Le Pen aurait également pu opposer à Gérald Darmanin l’évolution du poids de l’immigration en France. Ainsi, on peut remarquer que, si les immigrés constituaient entre 9,9 % et 11,3 % de la population en 2019, ils en représentaient 8,5 % en 2010, 7,3 % en 1999, 7,4 % en 1990, 6,6 % en 1968, 5,4 % en 1954, 6,6 % en 1931 et 3,7 % en 1921. On est donc passé d’une proportion de 3,7 % d’immigrés en France en 1921 à plus de 10 % cent ans plus tard, en 2021. Ceci à supposer que les données de l’INSEE soient justes et Marine Le Pen aurait pu soulever aussi la question de la fiabilité de ces données.

Un autre sujet que Marine Le Pen aurait pu évoquer est la question des naturalisations qui, selon l’INSEE, ont représenté plus de 2 700 000 personnes entre 1999 et 2019. Cette question est fondamentale pour ce qui concerne la cohésion nationale. En effet, on sait que les migrants issus d’aires culturelles extra-européennes entretiennent des liens communautaires fondés sur l’origine, et que les comportements diasporiques ont tendance à devenir la norme et à se substituer à l’ancien processus immigration-intégration-assimilation. Si à ces comportements diasporiques s’ajoute un taux de fécondité supérieur à celui du pays d’accueil, la théorie du grand remplacement pourrait devenir une réalité. Mais Marine Le Pen prétend ne pas connaître le grand remplacement[7].

Cette diasporisation est pourtant visible dans les statistiques officielles. Ainsi, une étude de l’INSEE a montré que 21 % des prénoms attribués aux enfants nés en France en 2018 étaient des prénoms arabo-musulmans[8]. L’interprétation combinée de ces diverses informations permettait donc à Marine Le Pen de contester les 7,4 % d’étrangers annoncés par Gérald Darmanin, et d’argumenter en faveur d’une proportion plus proche de 20 à 25 % si l’on considère que la nationalité n’est pas qu’une citoyenneté « administrative », mais qu’elle doit être aussi une identité « culturelle » et une allégeance de cœur.

Un débat pour rien ?

Une candidate à l’élection présidentielle contre un ministre non candidat. Une députée affirmant qu’elle aurait pu signer le livre écrit par ce ministre, mais qui ne sait pas si elle votera la loi que le même ministre défend pour lutter contre le séparatisme. Une présidente de parti politique qui souhaite un référendum visant à supprimer le droit du sol, mais qui ne croit pas au grand remplacement et passe sous silence la question inévitable de la remigration. Comment s’étonner dans ces conditions que le débat tant attendu n’ait pas passionné les téléspectateurs ? En part d’audience, le débat Darmanin-Le Pen a recueilli 8,6 % de parts de marché, moins que le film C’est beau la vie quand on y pense qui apportait 9,8 % de parts à France 3, loin derrière Section de recherches qui passait sur TF1 et qui a reçu 22,3 % des parts du marché ce soir-là !

Finalement, si Gérald Darmanin s’est efforcé de plagier Nicolas Sarkozy braconnant sur les terres du FN en 2007, Marine Le Pen a manqué de repartie et, surtout, de cette réflexion personnelle qui lui aurait permis d’appréhender avec justesse la menace que l’immigration fait peser sur notre société, et de répondre par des propositions autrement audacieuses à l’attente des Français dont 63 % considéraient en 2019 « qu’il y a trop d’étrangers en France[9] ».

André Murawski
20/02/2021

 

Source : Correspondance Polémia

[1] Front populaire n° 3, hiver 2020, p. 51.
[2] https://www.marianne.net/politique/lislam-compatible-avec-la-republique-la-phrase-de-marine-le-pen-qui-trouble-les-militants
[3] Jean-Yves Le Gallou et Polémia, L’Invasion de l’Europe – Les chiffres du Grand Remplacement, Via Romana, 2020.
[4] https://www.polemia.com/le-grand-remplacement-a-lepreuve-des-chiffres-le-zoom-jean-yves-le-gallou/
[5] https://www.polemia.com/darmanin-tartuffe-de-la-lutte-contre-lislamisme/
[6] Patrick Stefanini, Immigration – Ces réalités qu’on nous cache, Robert Laffont, 2020.
[7] https://www.francetvinfo.fr/monde/asie/attentats-a-christchurch/video-marine-le-pen-dit-ne-pas-connaitre-la-these-du-grand-remplacement-pourtant-elle-la-rejetait-2011_3237607.html
[8] https://fr.theepochtimes.com/insee-au-moins-21-des-prenoms-des-nouveaux-nes-en-2018-etaient-des-prenoms-arabo-musulmans-998289.html
[9] https://www.lci.fr/population/immigration-inquiete-les-francais-qui-sont-63-a-penser-qu-il-y-a-trop-d-etrangers-en-france-2132387.html

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