Par André Posokhow, consultant spécialiste de l’immigration ♦ À quelques semaines des élections présidentielles, Emmanuel Macron joue les gros bras sur la reconduite aux frontières des clandestins. Il souhaite ainsi créer un « Office de lutte contre l’immigration clandestine ». Problème, un organisme similaire existe déjà ! Surtout, Emmanuel Macron aura été un président qui aura vu le nombre d’expulsions de clandestins baisser significativement sous son mandat. Certes, une partie de cette baisse est imputable au contexte sanitaire. Mais une grande partie de celle-ci vient également d’un grave manque de fermeté politique.
Dans cette note factuelle, André Posokhow démontre que la situation est grave.
Polémia
Certaines informations relevant de 2021 n’étant pas encore accessibles il sera parfois uniquement possible de se référer à des données chiffrées de 2020.
Combien de mesures d’éloignement?
Sans accès au nombre de mesures d’éloignement de 2021, on en est réduit à évoquer ceux de 2019 et de 2020 :
– 2019 : 152 181[1]
– 2020 : 125 713.
Il est donc possible de constater une diminution importante de 17 % des mesures d’éloignement prises par les pouvoirs publics entre 2019 et 2020. Ce repli serait surtout porté par les réadmissions dans l’UE sans qu’une explication de fond soit donnée.
Attention, les OQTF (Obligations de quitter le territoire français) ne sont qu’une, certes la plus importante et la plus connue, des mesures d’éloignement envisageables. C’est ce qui expliquerait pour 2019 la différence entre le chiffre 152 181 évoqué ci-dessus et le nombre d’OQTF : 122 839, cité par LCI [2] qui se fonde sur le dernier avis de la Commission des Affaires étrangères sur le projet de loi de finances de 2019.
Les chiffres globaux d’éloignements et de départs effectifs
Ces chiffres[3] globaux ont baissé de moitié de 2019 à 2022 :
– 2019 : 31 404
– 2020 : 15 949
– 2021 (provisoire) : 16 819
En 2019 ils représentaient 21 % des mesures d’éloignement et seulement 13 % en 2020.
Selon L’essentiel de l’immigration, du fait de la pandémie de Covid-19 et du confinement de 2020, les sorties du territoire enregistrées ont diminué de moitié entre 2019 et 2020. Parmi les éloignements, les retours forcés des ressortissants des pays tiers vers les pays tiers ont affiché une baisse de 62 %. La France s’est heurtée à des refus de tests PCR, à la fermeture des frontières avec plusieurs pays dont le Maghreb, et à la non délivrance de LPC (laissez-passer consulaires) dans les délais. Nous y reviendrons plus loin
Ce qui est inquiétant est que le chiffre des éloignements et des départs ne s’est guère amélioré en 2021. La baisse serait-elle pérenne ?
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Les chiffres détaillés d’éloignements et de départs
(Voir le tableau ci-dessous)
Les éloignements forcés passent de 19 000 en 2019 à 10 000 en 2021 et représentent seulement 7 % des mesures d’éloignement en 2020.
Les éloignements et départs aidés baissent de près de la moitié entre 2019 (5 000), et 2021 (3 000).
Les retours et départs spontanés passent de 7 000 en 2019 à près de 4 000 en 2021.
Tableau
Libellés | 2019 | 2020 | 2021 |
Éloignements forcés | 18 906 | 9111 | 10 091 |
Éloignements et départs spontanés | 7 231 | 4 250 | 3 743 |
Éloignements et départs aidés | 5 267 | 2 588 | 2 985 |
Total | 31 404 | 15 949 | 16 819 |
Les données officielles sur l’immigration sont-elles sous évaluées ?
La question des laissez-passer consulaires (LPC)
Selon L’essentiel de l’immigration en 29 fiches de 2020, le nombre de demandes de LPC a été en forte baisse en 2020 (- 44 %), année au cours de laquelle 4 685 demandes ont été adressées aux autorités des pays de destination. Et ce contre 7 500 en 2018 et 8 400 en 2019 .
Le nombre de laissez-passer obtenus dans les délais utiles a été de 2 600 en 2020 contre 5 600 en 2019 et a été inférieur à ceux des années précédentes.
Le bilan 2020 de la coopération des autorités locales apparaît fortement en recul, surtout dans le cas des pays du Maghreb qui ont reçu près de la moitié des demandes de LPC. Le taux de délivrance des LPC dans les délais utiles à l’éloignement a connu une forte baisse pour atteindre un taux de 28 % en Algérie.
En pleine Chikaya entre la France et l’Algérie, la question des LPC se pose maintenant de manière aiguë. La tension s’est accrue depuis que le président algérien a dénoncé le 10 octobre 2021, le « gros mensonge » de Gérald Darmanin sur le nombre de 7 731 OQTF prononcées contre des ressortissants algériens de janvier à juillet 2021. C’est ce qu’a contesté le chef de l’Etat algérien : « Il n’y a jamais eu 7 000 [clandestins algériens], c’est complètement faux ». Rigolade générale ! Malheureusement il ne semble pas que le ministre de l’Intérieur français ait, selon le journal Le Monde [4] , eu raison sur toute la ligne.
S’il est vrai que 7 731 OQTF ont bien été prononcées par la justice française, la France n’aurait formulé que 597 demandes à Alger au cours de la période indiquée soit 8 %. C’est sur ce point que Damarnin se trouverait doublement en faute : tout d’abord d’avoir été peu diligent pour annoncer en temps utile l’ensemble des OQTF aux autorités algériennes ce qui pourrait expliquer en partie la baisse sensible des expulsions, et d’avoir donné un avantage au président algérien par ses déclarations approximatives.
D’un autre côté les autorités algériennes n’ont délivré que 31 LPC sur les 597 demandés, soit 5 %, par manque de coopération et mauvaise volonté.
Le gouvernement français avait annoncé le 28/09/21 une réduction de 50 % du nombre de visas accordés aux ressortissants algériens. Il est clair cependant qu’un dossier aussi mal ficelé et finalement mensonger ne pourrait que fragiliser la position française. Une fois de plus.
Ça n’a pas manqué. Dans un courriel confidentiel du ministère de l’intérieur, qu’a pu consulter Médiapart, il est indiqué que les « autorités centrales algériennes n’acceptaient plus aucun retour forcé depuis la France ». [5] L’affaire du renvoi des clandestins vers leur pays d’origine devient réellement compliquée et conflictuelle.
On se demande pourquoi le Portugal, pays qui n’a pas en principe la puissance du notre, procède couramment au renvoi de clandestins dans leur pays sans grande difficulté. Peut-être tout simplement parce que les dirigeants de cette nation n’ont pas pour habitude d’aller ramper avec délectation outre Méditerranée pour clamer leur repentance et provoquer le seul mépris des interlocuteurs.
Les placements en centre de rétention administrative (CRA) en baisse
Le nombre de places de CRA atteint 1 916 au 31 décembre 2020 dont 1 689 en métropole. Le taux d’occupation annuel moyen est en baisse sur le territoire métropolitain (à 61 %) . En effet, afin de respecter les contraintes imposées par la crise sanitaire du Covid-19, la capacité d’accueil des CRA a été réduite à 50 % à compter du 17 mars 2020. Onze CRA ont même totalement suspendu leur activité pendant trois mois.
L’offensive des immigrationnistes contre les centres de rétention administrative
D’après La Voix du Nord du 28 septembre 2021, sur les sept premiers mois de 2021 les CRA ont chuté de 55 % par rapport à 2020 pour les ressortissants algériens 597 contre 1321 sur la même période de 2020.
Un programme d’ouverture de places supplémentaires a été pourtant lancé à l’automne 2017 pour permettre la mise à disposition de 480 places supplémentaires à la fin de l’année 2020 parmi lesquelles 350 places ont été livrées à cette date.
Si le taux d’occupation est en baisse pourquoi construire des places supplémentaires ?
Le nombre de bénéficiaires de l’AME
Au 30 septembre 2020, 368 890 personnes étaient bénéficiaires de l’AME, en hausse significative par rapport à 2019 : 335 000. À raison d’une augmentation de 10 % par an ce nombre pourrait avoisiner le chiffre de 400 000 à la fin de 2021 sauf retour conjoncturel.
Une bonne nouvelle enfin : hausse des non-admissions aux frontières
En 2020 le nombre de noms admission s’élève à 78 500 ont forte hausse par rapport à 2019 (plus 40 %). Cependant ce n’est que dans la moyenne des années précédentes.
Conclusion
La conclusion est double :
Les chiffres des éloignements et des départs effectifs de 2020 et 2021 se sont effondrés par rapport à ceux des années précédentes déjà trop faibles. La pandémie en constitue une cause. N’est-il pas craindre que cette évolution devienne pérenne ?
Le problème du renvoi des clandestins vers leur pays d’origine est en cours d’aggravation et est appelé à devenir conflictuel avec ceux-ci si un minimum de fermeté n’est pas manifesté par les pouvoirs publics français.
André Posokhow
26/01/2022
[1] Ministère de l’intérieur, les chiffres clés de l’immigration en 28 fiches, 2020. (Pages 78 à 81)
[2] LCI, est-il vrai qu’en 2012,44 % des obligations de quitter le territoire étaient exécutés, Felicia Sideris, 30/9/21.
[3] Ministère de l’Intérieur, l’essentiel de l’immigration, chiffres clefs, janvier 2022.
[4] Le Monde, comprendre la querelle sur les chiffres de l’immigration illégale entre la France et l’Algérie, 14/10/21.
[5] Valeurs actuelles.com du 20 janvier 2022.
- Demandes d’asile. Des données inquiétantes pour 2021 - 1 février 2022
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