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« Europe Mad Max demain ? Retour à la défense citoyenne » de Bernard Wicht

« Europe Mad Max demain ? Retour à la défense citoyenne » de Bernard Wicht

par | 9 septembre 2013 | Médiathèque

« Europe Mad Max demain ? Retour à la défense citoyenne » de Bernard Wicht

Le triptyque de l’avenir : sécurité, citoyenneté, identité ! La Suisse va se prononcer par référendum sur le maintien ou non de son armée citoyenne. Europe Mad Max demain ? de Bernard Wicht est un original et puissant plaidoyer en faveur d’un retour à la défense citoyenne. Georges Feltin-Tracol fait l’analyse pour nos lecteurs de ce passionnant essai de philosophie stratégique.
Polémia

La philosophie se décline souvent en différents registres spécifiques : la philosophie de l’histoire, la philosophie des sciences (ou épistémologie), la philosophie politique, la philosophie du droit. Grâce à l’universitaire suisse Bernard Wicht, on sait qu’il existe aussi une philosophie stratégique qu’il développe dans un essai passionnant et percutant au titre curieux et interrogateur : Europe Mad Max demain ?

La culture populaire révèle les conflits futurs

Si Bernard Wicht puise largement sa réflexion dans l’œuvre de Platon, Machiavel, Ernst Jünger ou Carl Schmitt, il tire aussi de riches enseignements de films grand public comme la trilogie australienne Mad Max ou le très surfait Matrix ou de romans parfois adaptés à Hollywood tels Fight Club. Pour l’auteur, la culture populaire actuelle révèle et explique les grandes tendances sociologiques qui risquent de bouleverser la présente configuration du monde.

Le XXe siècle a été marqué par une « Longue Guerre (p. 29) » (1914 – 1991). Durant cette période, des événements tragiques résumés par Verdun, Auschwitz, Hiroshima et le Goulag, ont ravagé l’esprit collectif des Européens, sapé la structure interne des sociétés européennes, remis en cause le sentiment d’appartenance collectif et dévalorisé un idéal viril plurimillénaire, à savoir « force, honneur, courage (p. 30) ».

Au-delà de l’État, le retour à la pluralité des allégeances

Cette histoire sanglante a aussi délégitimé l’État dans sa version stato-nationale si bien que « le court XXe siècle [ouvre] la transition vers l’Âge global compris comme un nouveau Moyen Âge en raison de sa multipolarité, du retour de l’empire et de la pluralité des allégeances caractérisant dorénavant les groupes humains (p. 32) ».

Bernard Wicht examine par ailleurs la raison historique de l’État. Il rappelle que celui-ci est d’essence militaire. « C’est la logique des guerres modernes, à partir de la fin du XVIe siècle, qui conduit à la création de l’appareil étatique moderne (p. 12). » Le conflit s’agence alors progressivement autour d’armées régulières disciplinées qui suivent les règles de la guerre. Les traités de Westphalie en 1648 et la réflexion clausewitzienne du XIXe siècle entérinent cet état du monde sur lequel repose un nomos de la Terre, et renvoient dans une marginalité tactique la petite guerre ou guérilla. Cependant, dès la fin du XVIIIe siècle, la guerre irrégulière prend une importance croissante au point qu’aujourd’hui les conflits sur la planète sont principalement des guérillas ou des guerres asymétriques. L’État en est perturbé, car les guérillas aiment le contourner et le neutraliser d’autant que « la guerre irrégulière est essentiellement le fait de combattants d’occasion et de groupes marginaux. Or ceux-ci répondent à un ordre qui leur est propre et qui ne correspond pas à celui des États (p. 14) ».

Le terroriste, le combattant des forces spéciales, le « contractor », le partisan et le « soldat »

Le format conventionnel des armées nationales constituées de conscrits, c’est-à-dire de citoyens appelés au service militaire, ne convient plus. Le nouveau cadre dépend des S.M.P. (sociétés militaires privées), symptômes caractéristiques de la privatisation des domaines non marchands. La mondialisation libérale, l’évitement notable de l’État-nation et la formation d’ensembles supranationaux font enfin apparaître « trois archétypes militaro-guerriers […] : le terroriste et ses adversaires désignés, le combattant des forces spéciales et le contractor – le premier en tant que nouveau guerrier souverain du monde globalisé, le deuxième comme prétorien du nouveau pouvoir impérial, le troisième comme l’entrepreneur militaire issu du marché global (pp. 60 – 61) ». Bernard Wicht y ajoute deux autres figures moins visibles : le partisan « qui se bat pour une cause que l’État n’est plus en mesure de lui donner (p. 61) » et, souvent vétéran des forces spéciales démobilisé, le soldat qui est l’« homme de main du crime organisé (p. 61) ».

De l’ennemi extérieur à l’« ennemi intérieur »

On pourrait croire que l’auteur se félicite de la disparition ou de l’évanescence de l’État. Erreur ! Non, il estime au contraire que l’État ne disparaît pas, mais change plutôt de nature et de mission. « Avec l’impossibilité croissante de la guerre entre États, la guerre elle-même s’est transformée, laissant la place à ce qu’on appelle souvent le “conflit de basse intensité” (de l’émeute à la guérilla, au terrorisme et au nettoyage ethnique). Désormais par conséquent, l’ennemi extérieur commun ciment de l’unité nationale est remplacé par un “ennemi intérieur”, légitimant le redéploiement de la coercition (terroristes, mafias, bandes et gangs) : d’où l’expression utilisée par certains de nord-irlandisation de l’État moderne, c’est-à-dire la généralisation des lois d’exception, de la surveillance électronique et de la présence militaro-policière (p. 49) ». Il définit cette mutation majeure par une formule saisissante : « le passage d’un État militaro-territorial tourné vers la guerre externe à un État pénal-carcéral accentuant son rôle répressif à l’intérieur (p. 46) ».

Maîtresse de l’État, l’oligarchie et ses sbires font valoir leurs propres intérêts et mobilisent à cette seule fin toutes les ressources disponibles de la puissance étatique. Quant au citoyen, ignoré, méprisé et ayant perdu le devoir de défendre sa patrie, il se voit réduit au statut de contribuable pressuré. Un nouveau servage subtil en quelque sorte… C’est la fin de la démocratie et de la citoyenneté, « liée à la res publica, c’est-à-dire la participation effective à la gestion des affaires communes (p. 63) ».

Vers une culture de légitime défense

Bernard Wicht est-il pour autant pessimiste ? Non, il juge au contraire que la refondation de la citoyenneté et par-delà elle, de la communauté démocratique, est possible grâce à la société de l’information et à la généralisation des appareils numériques qui favorisent « les petites structures, les formes d’organisation plates et   “ sans tête ” (p. 92) ». En puisant dans le patrimoine intellectuel de la civilisation européenne – « la philosophie occidentale semble contenir toute une culture de la légitime défense formant le socle des libertés politiques (p. 88) » – on peut concevoir de nouveaux espaces de liberté à la condition indispensable que les hommes agissent en citoyens, pratiquent l’autonomie et soient prêts à défendre la Cité au péril de leur vie.

L’avenir ? Le Swissbollah, moyen de restauration de la cité

Pour Bernard Wicht, le fait militaire, l’armée, peut, dans certaines circonstances particulières, apparaître « comme une cité de substitution pouvant remplacer ou, le cas échéant, pallier la vacance de la cité proprement dite (p. 78) ». L’observation n’implique pas le recours à de grandes masses armées. De petites unités militaires suffisent. Dans son argumentation, il mentionne les écrits de l’anarchiste étatsunien Hakim Bey sur la T.A.Z. (zone temporaire autonome). Par cet exemple théorique, l’auteur espère que l’avenir de la force armée au service des communautés et de leurs citoyens s’appellera Swissbollah. Contraction du mot allemand pour dire « suisse » et du Hezbollah chiite libanais, « Swissbollah symbolise le mariage de la liberté et de l’autonomie des Confédérés [les Suisses] avec les nouvelles formes d’organisation militaire et, par-là, une voie possible de restauration de la cité et de l’action stratégique (p. 122). » Pour lui, le dessein ultime demeure impérativement « la restauration de la cité, c’est-à-dire non plus la défense de l’État en terme d’instance (souveraineté, frontières, territoire) mais de substance (population, civilisation, valeurs) (p. 137) ». En termes plus abrupts, l’identité devient prioritaire par rapport à la souveraineté surtout quand cette dernière est contestée et dénaturée.

Les communautés enracinées, refuge dans un contexte de troubles massifs

On comprend que cet essai remarquable n’est ni une lubie anarchiste, ni un projet libertarien. Il s’agit plutôt d’un plaidoyer quasi-populiste en faveur de communautés enracinées, éventuels refuges dans un contexte de troubles massifs. C’est aussi une réponse appropriée à l’emprise tentaculaire incessante de l’État ploutocratique multiculturaliste. Il revient en fin de compte à l’homme du début du XXIe siècle de renouer avec ses voisins et ses frères de sang et/ou d’âme (de recréer des liens sociaux denses, solides et durables) afin de devenir ce grain de sable imprévu contre la terrifiante mécanique planétaire d’éradication des cultures. Notre avenir proche appartient donc aux communautés, à leur citoyenneté, à leur identité, surtout si revient le temps chaotique des guerres.

 Georges Feltin-Tracol
03/09/2013

 Bernard Wicht, Europe Mad Max demain? Retour à la défense citoyenne, Favre, Lausanne (Suisse), 2013, 148 p., 14 €.

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