Par l’Observatoire du journalisme ♦ Connaissez vous le CAPS ? Non, ce n’est pas un jeu de cartes dérivé du craps (jeu de dés nord américain) mais le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère français des affaires étrangères. Et l’IRSEM ? Ce n’est pas un institut d’insémination régional mais l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Que du beau monde. CAPS le civil et IRSEM la culotte de peau sont copains. Ils dépendent tous deux du gouvernement en place, produisent des rapports chacun de leur côté et parfois ensemble. Le CAPS aguerri (créé par Michel Jobert en 1973, il a déjà dépassé la quarantaine) a pris sous son bras le jeune IRSEM (créé par fusion de précédents instituts en 2009) et ils ont concocté un rapport présenté en grande pompe à l’école militaire le 4 septembre 2018. Un rapport sur Les manipulations de l’information, un défi pour les démocraties. Suivez le guide.
Une ministre qui fait la leçon
Dans le grand amphithéâtre de l’École militaire à Paris, tous se sont mis au garde à vous quand la ministre des armées Florence Parly est entrée dans la salle. Plus de la moitié d’officiers (invités ? convoqués ?) et le reste de civils dont un auditeur de l’Ojim. La ministre, parfaitement cornaquée par un nombre indéterminé de clones de son cabinet fût sans péchés donc impeccable au sens étymologique et macronien du terme.
Paraphrasant Lénine, « les manipulations de l’information, c’est les soviets plus internet », la ministre s’est longuement étendue sur les Macronleaks de la campagne présidentielle. Dans son esprit, les Macronleaks constituent une attaque à la souveraineté nationale et comme telle une attaque potentielle contre nos forces armées (sic). Sans doute une manière de sensibiliser à la bonne cause les nombreux officiers de la salle.
Pour répondre aux nouveaux défis des manipulateurs de l’information, Florence Parly cite trois outils. Les institutions, l’innovation (via le fast checking) et les partenariats. Partenaires envisagés : les ministères, les GAFA (nos amis américains), l’OTAN et l’Union Européenne, nous reviendrons sur ces derniers.
Le rapport lui-même
Il est divisé en cinq parties, Pourquoi, Comment, Réponses, Défis futurs, Recommandations. Certaines sources émanent clairement d’agences d’influence américains comme DisinfoLab et sa société sœur Saper Vedere comme l’a montré le site Les Crises. L’Observatoire a lui-même abordé ce sujet le 25 septembre 2018.
Obsession russe, penchant américain
Dans un sous-chapitre Qui (qui manipule) le rapport consacre 9 pages sur 16 à la Russie et encore 4 pages dans le chapitre Défis. Sans compter les innombrables mentions sur le danger russe, comme au plus beau temps de la guerre froide. Pas une seule fois la plus grande manipulation historique du XXIème siècle, l’invention des armes de destruction massive de Saddam Hussein, création des services de renseignements américains, pas une fois cette manipulation hors normes n’est mentionnée. Une manipulation qui a bouleversé le champ géopolitique dans la région, a provoqué des millions de morts, des déplacements massifs de population, et continue de semer le trouble dans toute une partie du monde. Rien, pas une ligne.
Il est vrai que le curriculum vitae de trois des quatre auteurs n’incitait pas à ce type de curiosité. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, directeur de l’IRSEM a étudié à l’université McGill, à Yale et King’s College de Londres. Il est membre du conseil scientifique du Collège de Défense de l’OTAN. Alexandre Escorcia (directeur adjoint du CAPS) a été affecté comme conseiller diplomatique du premier commandant suprême allié de l’OTAN à Norfolk. Il est un spécialiste de l’OTAN. Marine Guillaume a étudié à Columbia University.
Imaginons un instant que ces trois personnes aient étudié ailleurs qu’aux États-Unis et au Canada, en Russie par exemple. Imaginons le tollé : trois des quatre auteurs d’un rapport français sur les manipulations de l’information sont liés de manière directe ou indirecte à une éducation russe à des institutions dominées par les russes, à des intérêts russes. Quelle conclusion en serait tirée ?
Les recommandations
Elles sont au nombre de cinquante, nous en extrayons quatre. La 17 propose de renforcer l’éducation aux médias et la pensée critique. C’est ainsi que l’éducation nationale en France va employer le récent documentaire de propagande réalisé par France 2, dont nous vous avons déjà parlé. La 19 souhaite marginaliser les organes de propagande étrangers (lire RT, Sputnik, tous deux russes). Mais ne s’interroge pas un instant sur le programme américain Young Leaders et son influence sur les médias français. La 33 veut renforcer la confiance à l’égard du journalisme et cite comme exemple les initiatives du Washington Post, La Repubblica italienne et de l’anglais The Economist, trois médias de grand chemin, tous d’inspiration libérale libertaire. La 45 veut élever le coût des manipulations de l’information en incitant Facebook non pas à agir au cas par cas mais à « censurer l’ensemble des manifestations » des contrevenants citant l’action contre l’IRA (sic) comme exemple.
Qui seraient les partenaires de choix pour mettre en œuvre ces délicieuses recommandations ? Les GAFAM, l’Union Européenne, et … l’OTAN. Chassez le naturel…
Observatoire du journalisme
01/11/2018
Source : OJIM.fr
Crédit photo : Domaine public, via PixaBay