Beaucoup de pays qui nous achètent des armes ne sont pas plus recommandables que la Russie de Poutine. La moindre des choses reste d’honorer les contrats signés.
Les Russes s’énervent face aux tergiversations françaises. Ils viennent de faire savoir, par le truchement d’une dépêche de l’agence Novosti, qu’ils exigeront de lourds dédommagements si le premier des deux navires Mistral commandés à la France n’est pas livré. Paris réitère sa position : pas de livraison sans une désescalade en Ukraine. Cela risque de prendre du temps…
La France, embarrassée, se drape dans une posture politico-morale qui laisse rêveur. En septembre dernier, Jean-Yves Le Drian se félicitait du fait que les commandes d’armements français à l’étranger aient augmenté de 43 % en 2013. Le ministre de la Défense faisait observer que les exportations d’armements avaient représenté le quart de nos exportations globales de 2010 à 2013, et pesaient pour 40 000 emplois, sur les 160 000 que représente ce secteur.
Or, d’où nous vient cette manne miraculeuse ? Les commandes d’armes proviennent-elles uniquement d’États vertueux, démocratiques, respectant scrupuleusement les droits de l’homme et les libertés publiques ? Nos clients observent-ils tous méticuleusement les règles du droit international ?
L’Arabie saoudite, notre plus gros client
La réalité est plus triviale : 40 % de nos exportations d’armements vont vers le Moyen-Orient, et principalement vers l’Arabie saoudite, notre plus gros client. Le royaume est régi selon les principes du wahhabisme, une interprétation particulièrement rigoureuse de l’islam qui a servi de matrice à toutes les organisations djihadistes qui ensanglantent la région. Le système politique est fondé sur une organisation dynastique et tribale d’un autre âge. Certains princes saoudiens ont été les parrains de plusieurs groupes qui ont basculé dans le terrorisme. En Arabie, les femmes n’ont pas le droit de conduire une voiture et tout autre culte que l’islam est interdit. La police religieuse – les muttawas – veille au respect des bonnes mœurs.
En mars 2011, une colonne d’un millier de soldats saoudiens pénétrait à Bahreïn, un petit émirat voisin, pour mater une révolte populaire chiite à la demande de l’émir sunnite. Une application locale de la doctrine de la « souveraineté limitée » jadis brandie par les dirigeants soviétiques pour justifier leurs interventions en Hongrie ou en Tchécoslovaquie.
La France a-t-elle envisagé de suspendre ses livraisons d’armes à l’Arabie saoudite ? Pas une seule seconde. Mais, nous dit-on, dans l’affaire des Mistral, il s’agit de faire pression sur Poutine et de ne pas indisposer nos partenaires de l’Est européen.
Influence
Croit-on sérieusement que la non-livraison de ces navires aurait quelque influence sur la position du Kremlin ? Dans la crise ukrainienne, Poutine bénéficie du soutien de l’énorme majorité de ses compatriotes pour lesquels l’Ukraine est intrinsèquement liée à l’histoire de la Russie.
La Pologne et les pays Baltes, qui ont souffert sous la botte soviétique, ont, eux, de bonnes raisons de se méfier de l’ours russe. La Pologne, notamment, invoque à tout bout de champ la solidarité européenne. Mais en 2003, lorsqu’il s’est agi de remplacer ses vieux chasseurs Mig 21, Varsovie a choisi d’acheter des F16 américains. Pas les Mirage que lui proposait Dassault… Alors, si l’on veut réellement moraliser nos ventes d’armes, démarchons la Suède ou la Suisse. Nos voisins helvétiques seraient peut-être intéressés d’ancrer un Mistral sur le lac Léman.
Pierre Beylau
Source : lepoint.fr
14/11/2014