Par Camille Galic, journaliste, essayiste ♦ L’épuration littéraire ne sévit pas seulement en France avec les récentes campagnes contre Céline, Maurras et maintenant Pierre Loti. Quantité d’auteurs anglo-saxons naguère célébrissimes sont victimes du même ostracisme comme le montre Christophe Dolbeau dans son dernier livre Des Gentlemen à part*.
Les lecteurs et les spectateurs fascinés par l’univers et la cosmogonie du Seigneur des anneaux savent-ils que, pour le personnage du roi elfe Aragorn, J.R.R. Tolkien s’inspira d’un autre Oxonien natif d’Afrique du Sud, Roy Dunnachie Campbell (1901-1957) ? Doté d’une belle prestance, familier à ses débuts de Wyndham Lewis (auquel il inspira également le personnage de Zulu Blades dans le roman The Apes of God) et du fameux « groupe de Bloomsbury » bobo en diable avant la lettre, il se révéla rapidement infréquentable.
En effet, « poète et producteur de talent mais aussi bon cavalier, chasseur, jouteur émérite et torero amateur, il se proclamait en outre catholique pratiquant et fervent anticommuniste, ce qui faisait un peu de lui, et là n’est pas son moindre attrait, l’archétype de ce que les intellectuels exècrent le plus », écrit Christophe Dolbeau dans le portrait de Campbell ouvrant la galerie des douze (treize en incluant le hors-la-loi australien Ned Kelly) gentlemen que notre auteur, angliciste émérite et excellent connaisseur du monde anglo-saxon**, a le mérite de ressusciter après leur enterrement par la bien-pensance.
Contre le déclin de l’Occident et le mondialisme
Si son cousin Gilbert Keith Chesterton, le pourfendeur des « idées chrétiennes devenues folles », a survécu – surtout grâce à ses énigmes policières élucidées par le Père Brown, sorte de Poirot en soutane -, Arthur Kenneth Chesterton, valeureux soldat également né en Afrique du Sud et « l’un des plus vigoureux défenseurs de l’Empire » disparu en 1973, a aussi disparu de la mémoire de ses compatriotes qu’il s’était épuisé à protéger par ses écrits « du déclin de l’Occident, du “gros argent” apatride, du métissage universel [également rejeté par Campbell, pourtant hostile à l’apartheid] et des fricotages mondialistes » ainsi de la démocratie que, très jeune encore, il décrivait comme « écervelée dans sa petite enfance, vile et corrompue à l’âge adulte et compulsivement meurtrière dans ses vieux jours ». Ce qui l’incita à se rapprocher de sir Oswald Mosley, fondateur de la British Union of Fascists.
Si le seul nom de Mosley fait aujourd’hui bondir, « c’est oublier un peu vite, rappelle Dolbeau, qu’à cette époque Mosley n’est pas si marginal que cela : cet ancien plus jeune député du royaume et ancien ministre a vu le roi George V et le roi Albert 1er de Belgique assister à son mariage*** ». Et son hostilité aux juifs, « fourriers du capitalisme sauvage » selon lui, n’empêcha d’ailleurs pas A. K. Chesterton de s’enrôler en 1939 dans l’armée britannique où il servit jusqu’en 1943 avec honneur… avant, démobilisé en raison de la malaria contractée en Libye, de reprendre sa collaboration à des revues antisémites. Lesquelles ne cessèrent pas de paraître outre Manche pendant toute la guerre tant l’antisémitisme était alors « essentiellement banal », comme un critique le nota à propos de Wyndham Lewis justement.
Autre antisémite et anticapitaliste de choc mais non fasciste, l’élégant Anthony Ludovici, de très lointaine souche bolognaise mais dont tous les ascendants avaient épousé des Françaises, ce qui le conduisit à devenir un temps le secrétaire d’Auguste Rodin. Capitaine de l’Intelligence Service pendant la première guerre mondiale et titulaire de l’Ordre de l’Empire britannique, il fréquenta ensuite des mouvements dissidents dont le British People’s Party du marquis de Tavistock et le Right Club présidé par le duc de Wellington (l’ancrage très droitier de la haute aristocratie britannique de l’époque explique l’équipée de Rudolf Hess ralliant seul en avion l’Ecosse pour tenter d’y rencontrer le duc de Hamilton et de négocier par son intermédiaire une paix séparée entre le Reich et la Couronne), ce qui lui vaut quelques ennuis. Dégoûté, ce nietzschéen fanatique retourne alors à la terre et à l’écriture d’essais ponctués de réflexions d’une profonde actualité : « Un homme ne peut plus aujourd’hui avoir certaines idées et les énoncer dans être sanctionné » ou encore celle-ci, sur ce qu’on n’appelait pas encore la dictature de l’émotion véhiculée par les mass-media, à propos des migrants par exemple : « Nous devons apprendre à ne considérer la pitié comme vertueuse et admirable que lorsqu’elle concerne ce qui est prometteur et désirable. Lorsqu’elle porte sur autre chose, elle est morbide et ne traduit que nombrilisme et sentimentalisme ».
Australia et America first
La plupart des gentlemen déviants — du moins selon les critères de la saison — présentés par Christophe Dolbeau sont britanniques, à l’instar de Campbell, de Chesterton, de Ludovici ou encore de Henry Williamson. Ce dernier, « rêveur indocile » gazé et maintes fois blessé durant la Première Guerre mondiale sur laquelle écrivit plusieurs livres à succès, mais fit scandale en décrivant Adolf Hitler comme l’homme ayant « les yeux les plus sincères que j’aie jamais vu ».
Mais le panorama est plus large. L’auteur n’oublie pas l’Irlande avec l’écrivain Francis Stuart, dont l’abandon aux « charmes vénéneux de l’Allemagne » s’explique par la haine qu’il portait à Britannia crucifiant son peuple, ni son confrère Percy Reginald Stephensen chantre de l’« Australia first » (et d’abord blanche), ni l’inclassable poète Geoffrey Potocki de Montalk, prétendant au trône de Pologne et chemise noire, ni bien sûr les Etats-Uniens. Robert William Service, talentueux « jongleur de mots » et barde de la conquête de l’Ouest et des étendues glacées du Yukon ou l’ancien prédicateur (peut-être métis) Lawrence Dennis, adepte de Pareto et de Spengler, admirateur de l’Allemagne hitlérienne et isolationniste convaincu, dont l’influence — servie par une grande facilité d’écriture — fut considérable jusqu’à la fin des années 50 de l’autre siècle.
Ou encore Thomas Dixon jr., le sudiste intégral jamais guéri de la défaite du Dixie et dont le best-seller The Clansman à la gloire du Ku-Klux-Klan première manière (Dixon s’éloigna devant les dérives du Klan) inspira l’un des plus grands films jamais tournés : Naissance d’une nation de D.W. Griffith, film déchirant dont certaines scènes annonçaient les viols ethniques de masse commis à Cologne dans la nuit de la Saint-Sylvestre 2015.
On ne peut que savoir gré au Lyonnais Christophe Dolbeau d’avoir fait revivre dans cette promenade politico-littéraire (une excellente lecture pour l’été !), et avec autant d’érudition que d’alacrité, ces parias de la littérature annihilés pour leurs sympathies ou simplement leurs opinions jugées aujourd’hui insupportables et coupables, mais « essentiellement banales » à leur époque. La preuve : c’est bien Winston Churchill, cet impeccable paladin de la démocratie dont une statue trône sur nos Champs-Elysées qui, en 1936, avait déclaré à propos du chancelier allemand : « Si jamais notre peuple connaissait la défaite, j’espère que nous trouverions un champion aussi indomptable que lui pour nous rendre notre courage et nous conduire à la place qui nous revient dans le concert des nations. »
Camille Galic
14/06/2018
* Christophe Dolbeau : « Des Gentlemen à part ». 284 pages avec illustrations, bibliographie suivant chacune des treize biographies et index, 20 €. Editions Akribeia, mai 2018. www.akribeia.fr (remarquable catalogue).
** Ainsi que de la Croatie. Voir https://www.polemia.com/veridique-histoire-des-oustachis-de-christophe-dolbeau/ et https://www.polemia.com/jeune-membre-de-lue-la-croatie-toujours-diabolisee
*** Sir Oswald se remaria avec l’Honorable Diana, l’une des ravissantes et « extravagantes sœurs Mitford », filles de lord Redesdale. Admiratrice forcenée de Staline, Jessica rejoignit en 1936 en Rolls les rangs des républicains espagnols, Unity se prit d’une passion fatale pour Adolf Hitler et Nancy, romancière et biographe (de Mme de Pompadour notamment), s’éprit du très cosmopolite gaulliste Gaston Palewski, qui l’abandonna pour une Talleyrand-Périgord. Seule Deborah sauva l’honneur familial en épousant le richissime duc de Devonshire.
Source : Correspondance Polémia