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Emballage des monuments ou éloge du trompe-l’œil ?

Emballage des monuments ou éloge du trompe-l’œil ?

par | 18 décembre 2024 | Société

Emballage des monuments ou éloge du trompe-l’œil ?

Défenseurs du patrimoine, amoureux de Paris ou gens de bon goût se souviennent du Pont Neuf saucissonné, empaqueté dans des flots de cartons jaunes, emballé à l’automne 1985 par le Bulgaro-Américain Christo, adulé par Jack Lang qui louait ses installations pour « leur geste poétique » pendant que Louis Pauwels éructait dans le Figaro Magazine contre cette abomination. De son côté, l’ami Jean Bruel, le patron des Bateaux-Mouches aujourd’hui décédé, dénonçait le « laxisme esthétique affligeant et provocateur » de ce machin.

Perseverare humanum est

On aurait pu se croire débarrassé de ce genre d’invention après la disparition de Christo en 2020. Las, son neveu reprenait le flambeau en nous livrant un Arc de Triomphe, lui aussi transformé en paquet-cadeau en 2021 avec la bénédiction conjointe d’Emmanuel Macron et d’Anne Hidalgo.

Le tag, nouvel art pompier

Rebelote en 2025 avec l’entrée en piste d’un nouvel adepte de l’art urbain, un certain JR – encore un acronyme de mauvais aloi — qui veut rendre hommage à Christo, cinquante ans après le premier enveloppement du Pont Neuf. Il prépare, en effet, sa métamorphose en « une grotte géante au cœur de Paris », un spectacle offert pendant deux semaines aux Parisiens, l’automne prochain. Une idée qui ne manque pas de sel. Ne sommes-nous pas, en effet, retournés à la préhistoire avec nos nouveaux hommes des cavernes qui semblent affectionner la vie sauvage ? Et transformer cet endroit en grotte sauvage à deux pas de l’ancienne Cour des Miracles relève d’une certaine forme d’humour. D’ici à ce que ces fausses cavernes servent de refuge à des mineurs isolés, il n’y a pas loin et Sandrine Rousseau ou Ersilia Soudais trouveront sûrement le moyen de nous amuser.

Évidemment associée au projet malgré son endettement abyssal, la mairie de Paris jure ses grands dieux que cela ne coûtera pas un centime au contribuable parisien. À voir…

Le grand gagnant est incontestablement le fameux JR qui sévit dans le milieu de l’art urbain et en a franchi toutes les étapes, de Montfermeil à New-York en passant par Abou-Dhabi, chaudement recommandé par Macron. Comme l’ont méchamment écrit ses copains des Inrockuptibles, « il a transformé la pratique sauvage et illégale du graffiti en un art légal, pompier et officiel » en communion avec Banski et autres prétendus artistes.

Le trompe l’œil, une sorcellerie ?

Les œuvres rassemblées au musée Marmottan pour une rétrospective consacrée au « trompe-l’œil de 1520 à nos jours » et montrant aussi bien des peintures que des faïences ou des meubles donne un aperçu de l’imagination débordante des artistes qui ont voulu finalement, dès l’Antiquité et par le procédé de la mimétique, en quelque sorte tromper l’ennemi.

Platon, dans La République avait souligné que « la même grandeur, de près ou de loin ne se montre pas égale par le moyen de la vision. » (1)

Le même Platon ne manqua pas d’épingler les peintres, sculpteurs ou décorateurs de théâtre coupables, à ses yeux, de jouer avec la réalité. Toujours dans La République, il précisait : « La peinture en trompe-l’œil (ou « ombrée ») n’est pas loin d’être une sorcellerie, et aussi la prestidigitation, et nombre d’artifices du même genre. » (2)

Faisait-il ainsi référence à son jeune contemporain le peintre Zeuxis d’Héraclée qui avait représenté des raisins si parfaits que des oiseaux voletaient autour ? Etait-ce alors une toile ou un piège ? Un piège était plutôt la toile peinte par son ami Parrhasios d’Ephèse qui avait figuré un rideau censé cacher un tableau. Rideau que Zeuxis tenta en vain de tirer avant de constater qu’il s’était laissé duper par son copain, si l’on en croit Pline l’Ancien qui, des siècles plus tard, raconta cette scène dans son Histoire naturelle.

Au III ème siècle ap. JC, Philostrate, dans La vie d’Apollonios de Tyane, définissait ainsi la peinture : « La peinture est donc l’art d’imiter ? Pas autre chose. Si elle n’était pas cela, elle ne serait qu’un ridicule amas de couleurs assemblées au hasard. » Et il n’avait pas vu les « tableaux » de Basquiat….

Il faudra attendre les Italiens et surtout le génial peintre Boilly qui utilisa pour la première fois le terme « trompe-l’œil » en légende d’une œuvre exposée en 1800 pour donner un nom à cet art de l’escamotage ou plutôt du « plus vrai que vrai ». Trente-cinq ans plus tard, l’Académie française donnait à ce terme l’imprimatur final et cet art de la tromperie trouvait enfin son nom.

Trompeuses apparences

En hommage à la famille Marmottan, qui fonda ce musée, les organisateurs de l’exposition présentent sept œuvres illusionnistes léguées par cette famille d’évergètes qui occupent une place de choix parmi les 80 tableaux présentés, qu’il s’agisse de Cornelis Norbertus Gysbrechts, peintre de la cour de Copenhague du XVII° siècle ou de Boilly qui donna à cet art de la supercherie ses lettres de noblesse. Comme l’écrivait avec humour Jean Cocteau, « combien d’hommes profondément distraits pénétrèrent dans des trompe-l’œil et ne sont pas revenus ? »

Pourquoi avoir fait commencer cet art de la tromperie en 1520 alors qu’il existait depuis bien avant ? Selon les commissaires de l’exposition Sylvie Carlier et Aurélie Gavoille, 1520 correspond à celle de la réalisation d’un tableau anonyme Armoire aux bouteilles et aux livres, considéré comme l’un des premières natures mortes en trompe-l’œil. Prêté par le musée de Colmar, il simule les portes d’un placard avec son fermoir métallique et ses bouteilles regroupées sur une étagère avec un livre.

En regardant une petite peinture de Nicolas de Largillière, représentant deux grappes de raisin plus vraies que nature, on deviendrait volontiers oiseau pour aller picorer. En parcourant les salles, le visiteur découvre quantité de pêle-mêles sur fond de vieilles planches sur lesquelles sont accrochés lettre, billets cachetés, partitions musicales, cartes à jouer, plumes, besicles ou couteaux accrochés le long d’un ruban. Il s’agit, en fait, des quodlibets ( ce qui plait ) rassemblant tous les objets de gens lettrés ou s’intéressant à l’écrit … et aimant le foutoir.

Une ode aux animaux

De nombreux trompe-l’œil représentent des animaux, notamment un singe disgracieux dont la tête émerge d’une caisse en bois et qui regarde fixement le visiteur. Un trompe-l’œil de Gabriel-Germain Joncherie, réunit une fouine, des oiseaux plus vrais que nature, un œuf et un petit rat. Jean-Baptiste Oudry, peintre des chiens et des chasses de Louis XV, est présent avec un bois de cerf dans une audacieuse composition. Même chose pour La Grive morte de Houdon, dont le réalisme des plumes et du duvet exerça une réelle fascination lors du Salon de 1775. Et je suis persuadée que si les chiens étaient admis dans les musées, il y a longtemps qu’ils auraient becqueté le tableau.

Sur nombre de toiles présentées, le verre cassé est roi, la palme revenant à Louis-Léopold Boilly, avec ses simulacres de gravures, ses bas-reliefs en grisaille, ses pêle-mêles de différente sauds œuvres d’art-peintures, dessins, gravures avec des personnages aux bouilles incroyables.

Et n’oublions pas les porcelaines et faïences trompeuses comme ces terrines de la manufacture Hannong de Strasbourg représentant des hures de sanglier, faisans et autres dindons mais également des laitues, des choux ou des artichauts. Un clin d’œil également au grand Palissy et à ses céramiques figurant des animaux fantastiques.

Très émouvante, une œuvre du peintre Adolphe-Martial Potémont (1827-1883) pleurant la perte de l’Alsace-Lorraine par la France et qui montre des courriers déchirés à côté de fleurs de myosotis et de pensée, symboles de loyauté et de fidélité.

Des regrets

L’illusion contemporaine est présente mais les peintures accrochées ne convainquent pas le visiteur, qu’il s’agisse de la « seconde école de Philadelphie » ou du mouvement Trompe-l’œil /Réalité créé dans les années 60 par Henri Cadiou et qui avait cependant remporté un grand succès lors de l’exposition organisées en 1993 au Grand-Palais consacrée au Triomphe du trompe-l’œil. Reconnaissons cependant que son tableau La Déchirure laissant apparaitre la figure de La Joconde à travers un emballage déchiré est original.

Comble du manque du goût, plusieurs tableaux de représentants de l’Arte Povera montrent la pauvreté de leur inspiration comme cette composition de Daniel Spoerri fixant sur ses tableaux les reliefs de repas bien arrosés et les présentant à la verticale comme un tableau.

Des œuvres qui donnent raison à Adrien Goetz qui fixait l’heure du déclin de cette technique à la fin du XIX° siècle : « Au temps du réalisme de Courbet, de Manet et des Impressionnistes, après l’invention de la photographie, le trompe- l’œil n’a plus lieu d’être. ». Cruel – sauf que la photo ne produit pas le même effet visuel que le trompe-l’œil – mais réaliste, même si le genre a connu à une époque récente de belles réussites, avec le peintre Jacques Poirier notamment, dont Marmottan n’a hélas retenu qu’un seul tableau.

Françoise Monestier
18/12/2024

 (1) Platon La République 602 c-d Œuvres complètes I op -cit p1215
(2) Ibid.
(3) Ouvrage dirigé par Patrick Mauriès, Le Trompe- l’Oeil

LE TROMPE-L’ŒIL DE 1520 A NOS JOURS. Jusqu’au 2 mars. 2025, Musée Marmottan-Monet, 2 rue Louis Boilly, 75016 Paris.

Crédit photo : Michel Bourdais [CC BY-SA 4.0]

Françoise Monestier

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