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Éloge de la trahison, de Jacques Aboucaya

Éloge de la trahison, de Jacques Aboucaya

par | 21 février 2012 | Médiathèque

Éloge de la trahison, de Jacques Aboucaya

Le 12 janvier dernier, Le Point consacrait trois pages virulentes à « La trahison de Viktor Orban ». Pourquoi un réquisitoire aussi violent dans l’hebdomadaire appartenant au milliardaire François Pinault et dont Bernard-Henri Lévy (1) est l’éditorialiste vedette ?

Il paraît qu’avec ses amendements du 1er janvier à la constitution magyare (où la Hongrie, qui n’est plus une République mais un État – comme Israël du reste – se voit explicitement rappeler ses « racines chrétiennes » depuis le règne de saint Étienne), l’homme fort de Budapest a « trahi » non pas son peuple mais, ce qui est bien pis, l’idéal démocratique de 1989 ! « Comment croire qu’en deux décennies, s’interroge Le Point, le briseur de tabous plein de panache se soit mué en un premier ministre toujours plus autoritaire que l’Union européenne doit rappeler à ses devoirs démocratiques ? » Et BHL de stigmatiser lui aussi le dirigeant de ce « pays qui renoue avec le chauvinisme le plus obtus, le populisme le plus éculé, la haine des Tziganes et des juifs mués, de plus en plus ouvertement, comme aux heures les plus sombres de l’Histoire du continent, en boucs émissaires de tout ce qui ne va pas », ce « pays où l’on est en train d’adopter, au nom d’un principe d’appartenance qu’il faut bien qualifier d’ethnique ou de racial, un régime électoral que l’on croyait mort avec le nazisme ».

Par l’une de ces coïncidences dont l’actualité est coutumière paraissait la même semaine de janvier un pénétrant essai intitulé Éloge de la trahison. Titre d’ailleurs trompeur mais imposé par le nom de la collection, « Éloge de… », dirigée par François Cérésa. « Tous traîtres » eût en effet mieux convenu, qui résume la thèse de l’auteur, Jacques Aboucaya, autrement dit P.-L. Moudenc, jusqu’à ces derniers mois critique littéraire de l’hebdomadaire Rivarol où le grand critique Robert Poulet, le « découvreur » de Michel Tournier, d’Albert Cohen, de Pierre Gripari et de tant d’autres, l’avait imposé en 1985 comme son successeur.

Pour Jacques Aboucaya, célinien averti et biographe du polémiste Albert Paraz (2), la trahison est rarement affaire de tempérament mais bien plutôt d’époque. « Tel est traître aujourd’hui qui sera héros demain. » Ce fut le cas du maréchal Ney, « le brave des braves, qui finit sous le feu du peloton après avoir servi successivement la république, l’empire et la royauté. Comment lui en vouloir ? Il fut simplement moins chanceux que d’autres » ; moins chanceux que Bernadotte, par exemple, traître à l’Empereur et donc à la France napoléonienne, mais révéré en Suède où il fonda l’actuelle dynastie.

L’auteur n’est pas le premier à pourfendre une idée reçue. Dans son ouvrage Tradition de la trahison chez les maréchaux (de Murat à un certain Philippe-Omer Pétain), Galtier-Boissière, fondateur du Crapouillot, avait déjà établi que le « traître » est avant tout victime des circonstances. De même, dans son Essai sur les trahisons (éd. Calmann-Lévy), André Thérive estimait-il qu’ «en politique, il n’y a pas de traîtres, il n’y a que des perdants ». Aussi Jacques Aboucaya peut-il écrire à bon droit : « Si les Allemands l’avaient emporté en 1940 ou en 1941 – ce qui était dans l’ordre des choses possibles, voire probables, à un moment du moins –, qui eût été alors taxé de trahison ? »

Et il est dans le vrai aussi quand il affirme qu’il y existe « des centaines » de raisons de trahir : « L’intérêt et l’esprit de lucre. L’ambition. Le ressentiment. L’opportunisme. L’absence de tout principe moral. La faiblesse. Le désir charnel. Ou, à l’inverse, l’abnégation. L’altruisme. Le sens du sacrifice. Le culte des plus hautes valeurs. Et même, tenez, la loyauté. »

Sans parler d’une ultime raison : la fidélité à soi-même, à l’héritage reçu et à celui qu’on a reçu mission de transmettre. Comme l’a écrit Paul Léautaud, « la trahison peut être le fait d’une intelligence supérieure, affranchie des idéologies civiques ». Ceux qui s’opposent aujourd’hui à la dissolution de leur peuple et de leur nation dans le grand magma mondialiste et métisseur auquel la Ve République, si riche en renégats de toute sorte, participe avec tant d’enthousiasme, sont-ils des résistants ou des traîtres ? Or, c’est dans cette dernière catégorie que les rangent les fossoyeurs des identités nationales, ainsi que Viktor Orban vient de l’apprendre à ses dépens.

On l’a compris : sous son ton ironique et volontiers provocateur, cet essai est un précieux outil de réinformation et, ce qui ne gâte rien, de déculpabilisation.

Claude Lorne

Notes

(1) Sur Pinault et BHL, voir Les médias en servitude, Fondation Polémia, accessible sur polemia.fr en PDF.
(2) Paraz le Rebelle, éditions L’Âge d’homme, 2002.

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