Par André Murawski, conseiller régional Rassemblement national des Hauts-de-France ♦ La fête de la musique 2018 est entrée dans l’histoire. En effet, Emmanuel Macron, président de la République française, a organisé une soirée musicale très particulière sur le perron de l’Elysée. De quoi provoquer la réaction d’André Murawski.
Le 21 juin a marqué l’arrivée de l’été. Dans le cycle des saisons, cette date se rapporte à la nuit la plus courte de l’année. Sur le plan cosmique, elle correspond au solstice. Dérivant du latin solstitium qui fait référence à sol, le soleil, et sistere, retenir, le solstice faisait l’objet de nombreuses célébrations depuis l’antiquité la plus lointaine et, même, depuis les temps protohistoriques.
Au fil du temps, le christianisme a également célébré le solstice d’été en l’assimilant à la fête de la Saint-Jean. A l’origine, les feux de joie de la Saint-Jean auraient été copiés sur des rites celtes, germaniques et slaves de bénédiction des moissons. Depuis 1982, en France, le solstice d’été a été sécularisé sous la forme de la fête de la musique.
Une fête de la musique très particulière en cette année 2018 puisque le Président de la République française a choisi d’ouvrir au public le palais de l’Elysée où des stars de la musique « electro » entourés de danseurs et de danseuses se sont produits devant les façades classiques que les lumières dansantes déformaient.
Si la question des goûts musicaux du couple présidentiel ne saurait être discutée, la portée symbolique du choix d’une fête « electro » au siège même de la République française mérite réflexion. L’ouverture au public d’un monument national marque-t-elle une évolution de la fête de la musique vers les journées européennes du patrimoine ? Dans cette hypothèse, de quoi le patrimoine musical français et européen est-il fait ? Surtout, la musique « electro » est-elle un produit de notre histoire et, partant, de notre civilisation ?
De la fête de la musique à l’ouverture au public des monuments nationaux
Née d’une idée du musicien américain Joel Cohen en 1976, la fête de la musique a pour objectif de promouvoir la musique d’une part en encourageant les musiciens amateurs à se produire dans les rues et dans les espaces publics, et d’autre part en permettant au public de se rendre à de nombreux concerts gratuits donnés par des amateurs comme par des professionnels.
Les concerts gratuits ont lieu dans les endroits les plus divers : places publiques, cafés-concerts, établissements d’enseignement, églises, conservatoires et, bien entendu, salles de concert. Certains vont jusqu’à ouvrir les hôtels de ville ou encore les préfectures. Le sénat s’associe traditionnellement à la fête. L’assemblée nationale a accueilli plusieurs concerts de 18 heures à 22 heures. Dès lors, patrimoine et musique se marient pour le meilleur et, parfois, pour le pire, tous les styles musicaux ne s’harmonisant pas forcément très bien avec tous les styles architecturaux.
Les journées du patrimoine ont pour objectif de permettre la visite d’édifices et de monuments habituellement fermés au public. Elles rencontrent un succès jamais démenti mais sont conçues dans un esprit de respect des sites exceptionnellement ouverts, qu’il s’agisse d’instruire les visiteurs sur l’origine des constructions, sur leurs usages successifs au fil du temps ou encore sur leurs utilisations actuelles. Ce respect implique le cas échéant une mise en scène adaptée à la fonction du bâtiment et au symbole qu’il représente. Dès lors, la fête présidentielle à l’Elysée doit-elle être considérée comme une heureuse initiative ou, au contraire, comme une malheureuse faute de goût ?
Musique française ? Musique européenne ? Musique de l’humanité ?
La musique, à l’instar de l’architecture, de la peinture, de la sculpture, de la littérature, du théâtre ou du cinéma, est une composante incontestable du patrimoine de l’humanité. Patrimoine immatériel, elle nécessite qu’on la produise ou, à défaut, qu’on la reproduise sous la forme d’enregistrements. Ce patrimoine présente d’innombrables aspects : elle peut être instrumentale ou vocale, monodique ou polyphonique, profane ou sacrée, appeler un seul interprète ou mobiliser de nombreux musiciens. Surtout, la musique est porteuse d’âme.
Inséparable de l’humanité, la musique reflète le temps. Le style baroque se distingue nettement du style classique. La musique sérielle ne peut être confondue avec le plain chant grégorien. L’opéra vériste n’est pas le jazz. A une même époque, la musique distingue aussi les compositeurs. Le style de Mozart n’est pas le style de Haydn. Berlioz, Chopin, Wagner ou Schumann étaient contemporains. Pourtant, leurs œuvres ne peuvent être confondues. De même, la musique révèle l’âme des Peuples. La musique russe est différente de la musique allemande, elle-même différente de la musique française ou italienne.
La musique éveille donc plusieurs génies : le génie du compositeur, le génie d’une époque, le génie d’un Peuple ou d’une Nation. Les Etats l’ont compris en adoptant des hymnes nationaux dont la portée symbolique est immense même si la valeur musicale peut en être parfois médiocre. Au même titre que les drapeaux, les hymnes nationaux assurent la fierté et la cohésion nationales. La musique n’est donc pas qu’un moyen de distraction. Elle a une triple compétence biologique, culturelle et adaptative. Elle est spontanée chez l’homme, mais elle peut aussi être apprise et assurer du lien social.
La musique « electro » est-elle élyséenne ?
Esprit d’un Peuple, la musique française dite « classique » est unique. Elle plonge ses racines dans les profondeurs des terroirs avec les folklores breton, mais aussi flamand, alsacien, corse, savoyard, landais, occitan, auvergnat, berrichon, poitevin, bourbonnais… Ces racines ont produit des branches traditionnelles souvent de tradition orale aujourd’hui encore associées à des cultures régionales ou à la culture nationale. D’autres branches, davantage fondées sur l’écriture, ont donné naissance à la grande musique française, louée pour ses qualités de grâce, de mesure et d’équilibre, et allant des troubadours à Debussy, de Janequin à Messiaen, de Rameau à Fauré, de Guillaume de Machaut à Ravel. Une troisième branche, enfin, a produit la musique populaire, la chanson française, dont l’electro français se réclame, parmi une trentaine d’autres styles dont certains trouvent leurs origines loin des terroirs français.
Une première question se pose de savoir s’il était pertinent de fêter la musique au palais de l’Elysée en y produisant de la musique « electro ». L’architecture classique de cet hôtel particulier construit au début du XVIIIe siècle s’harmonisait-elle avec la rythmique syncopée caractéristique de l’electro ? Il semble que non puisque le bâtiment est ordre et mesure tandis que la musique « electro » est explicitement « machinique » ou « robotique ». Ici, on perçoit une association inappropriée comme ce peut être le cas dans les couleurs de la vêture ou dans le choix d’un vin inadapté aux mets dégustés. Mélanger architecture classique et musique « electro » constiturait donc alors une faute de goût.
Une seconde question est plus politique et porte sur le symbolisme de la présidence de la République. Etait-il opportun de laisser se produire des musiciens « electro » au palais de l’Elysée sachant que de nombreux Français restent attachés à une certaine idée de la dignité présidentielle. Nul n’aurait probablement rien trouvé à redire si un concert de musique classique ou de musique militaire avait été donné parce que les musiques de ce genre s’accordent à la dignité de la fonction présidentielle. On pense à la lettre de Jules Ferry demandant aux instituteurs de la IIIe République de s’abstenir de tenir devant leurs élèves des propos susceptibles de choquer un seul père de famille. Le 21 juin 2018, le Président de la République aurait pu s’en inspirer et éviter de choisir une musique susceptible de choquer les Français. La multitude de réactions sur les réseaux sociaux montre que le spectacle qui a été donné ne correspondait pas à la conception que beaucoup de nos compatriotes ont de la fonction présidentielle et de la symbolique qui lui est attachée.
La fête de la musique devait-elle entrer à l’Elysée ? Il est permis de s’interroger. Dans l’affirmative, la musique choisie devait-elle être en décalage non seulement avec le cadre général du palais présidentiel, mais aussi avec l’image que de nombreux Français ont de la dignité de la fonction présidentielle ? Il faut croire que non tant il est vrai que, face aux immenses défis civilisationnels auxquels il est confronté, notre pays a besoin de retrouver la cohésion nationale et, surtout, la grandeur qui est partie intrinsèque de son identité.
André Murawski
26/06/2018
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Instagram @poc17