Jean-Yves Le Gallou, homme politique, ancien député européen
♦ Tous les cinq ans les Français vivent dans le rêve présidentiel : la « reine des batailles » appelée à changer leur vie selon ses prophètes. Or le lien direct voulu par De Gaulle entre le peuple et le chef de l’Etat est doublement perverti :
– d’abord parce que les médias pèsent sur le discours des candidats dont ils sont devenus les intermédiaires obligés ; les « méchants » candidats sont éreintés malgré leurs compromis ; les « gentils » candidats sont, eux, encensésn voire purement et simplement « inventés » comme Emmanuel Macron. L’équité ne gouverne l’élection ni dans le traitement médiatique, ni dans le soutien des entreprises et des associations, ni dans l’accès au crédit bancaire. L’élection présidentielle est sinon fraudée, du moins biaisée et trafiquée ;
– ensuite, la marge de manœuvre du président élu est singulièrement étroite : le pouvoir réel a quitté les enceintes parlementaires et les palais nationaux au profit des grandes entreprises, des machins mondialistes et des palais de justice. En matière d’immigration notamment nous avons assisté depuis quarante ans à un coup d’Etat judiciaire. Et, sans changement en profondeur de la Constitution, il ne se passera rien – quel que soit l’élu(e) – en mai 2017.
Voici quelques-unes des réflexions que Jean-Yves Le Gallou, interrogé par l’abbé Guillaume de Tanoüarn, a livrées à Monde et Vie de septembre 2016.
Polémia.
Jean-Yves Le Gallou suit attentivement la vie politique en général et le Front national en particulier. Mais pour lui la campagne dépasse les partis. Le pouvoir n’est plus là où l’on pense. Tant que ce sont les médias qui font la présidentielle et la décision des juges qui l’emportent sur les velléités du président « en exercice », on s’éloignera toujours plus de la démocratie.
Jean-Yves Le Gallou, nous entrons dans une année très politique, avec l’élection présidentielle de 2017 et les primaires de droite et de gauche, qui jouent le rôle d’une gigantesque explication de gravure à l’intérieur de la classe politique…
La question qui se pose me semble être plutôt : est-ce que l’on doit parler de l’élection présidentielle ou d’un spectacle présidentiel ? L’élection est en effet de plus en plus scénarisée par les médias, qui créent des candidats. L’idée de l’élection du président au suffrage universel était de favoriser un contact direct entre le peuple et les hommes qui sollicitent la charge suprême. Aujourd’hui il y a une intermédiation très importante des médias qui établissent la liste des candidats prêts à concourir. C’est ainsi qu’à gauche les médias ont sorti de leur chapeau Emmanuel Macron, le candidat politiquement correct issu de la Banque Rothschild. Chez les Républicains, on voit bien que Nathalie Kosciusko-Morizet a eu ses parrainages parce qu’elle est la femme dans le camp du Bien, côté Républicain, alors que Nadine Morano, qui aurait nettement plus de légitimité auprès des électeurs, les médias ne lui laissent aucune chance.
En même temps, cette campagne est très encadrée financièrement…
La campagne est effectivement encadrée par des lois sur le financement politique : interdiction des dons des entreprises et des personnes publiques, plafonnement des dépenses et des dons des particuliers. Officiellement on fait la chasse à tout ce qui peut s’apparenter à la fraude électorale. Certains candidats font pourtant massivement campagne avec l’argent d’associations subventionnées ou de médias subventionnés. Les Echos, par exemple, qui appartiennent au milliardaire Arnault, soutiennent Juppé et Emmanuel Macron. Il est bien évident que dans l’hypothèse d’un deuxième tour entre Marine Le Pen et un autre candidat, elle aura contre elle l’ensemble des médias et sa campagne en sera complètement déséquilibrée. Quand vous pensez qu’un journal comme Libération vient de créer un Observatoire du Front national ! On peut multiplier les exemples en ce sens, dans le cas d’un deuxième tour avec Marine Le Pen, toutes les associations subventionnées feraient campagne contre elle ; cela pose le problème du respect de la légalité électorale. Il me semble que les institutions qui reçoivent de l’argent public ainsi que les médias devraient s’interdire une position politique quelconque. Sinon on sera devant ce fait que les plafonds de campagne s’imposeront à Marine Le Pen mais pas aux autres. Comment une élection peut-elle être légitime dans cette situation ?
Vous pensez comme Jean-Claude Martinez que nous avons affaire maintenant non plus à l’élection présidentielle au suffrage universel mais à l’élection présidentielle par les médias ?
Effectivement et, de manière plus radicale, je dirais que de façon habituelle, avant, pendant et après l’élection, le vrai pouvoir n’est plus à l’Elysée, il est dans les médias. Le président Hollande passe plus de 40% de son temps avec les médias. Florian Philippot, selon toutes apparences, c’est 70% ! Le président ne gouverne plus, il met en scène.
L’actualité récente, montrant le Conseil d’Etat qui a cassé les décisions de la mairie de Villeneuve-Loubet dans l’affaire du burkini, montre bien aussi que le pouvoir citoyen (celui d’un maire en l’occurrence, qui est un élu) est facilement confisqué par des juges, chargés de l’interprétation des textes républicains…
Dans la question principale qui est celle de notre identité française, il est très clair que ce sont les juges qui décident et qui décideront qui peut être naturalisé français ou non. La décision appartient au Conseil d’Etat. Nous vivons depuis quarante ans sous un régime qui est celui du coup d’Etat des juges. Lorsque Raymond Barre et son ministre de l’Intérieur Christian Bonnet se fendirent d’un décret mettant un terme à cette politique migratoire fondée sur le regroupement familial – cela parce qu’ils avaient vu le danger d’une immigration de peuplement – leur décision fut invalidée par le Conseil d’Etat. C’était l’arrêt Gisti du 8 décembre 1978 sur le « droit de mener une vie de famille ». A ce moment on peut dire que le Conseil d’Etat a pris le pouvoir par rapport à l’autorité politique et c’était justement à propos des politiques migratoires qu’a eu lieu ce coup d’Etat des juges.
Si l’on prend en compte ce que l’on appelle aujourd’hui le Bloc de constitutionnalité, un ensemble de textes formés par la Déclaration des droits de l’homme de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 (Quatrième République) et la Convention européenne des droits de l’homme de 1950, et de plus, si l’on accepte, sur ces documents, la jurisprudence établie par la Cour européenne des droits de l’homme, par le Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat et les tribunaux judiciaires, aucune réforme n’est possible. Maxime Tandonnet, qui était Conseiller Immigration au Cabinet du président de la République de 2007 à 2012, a évoqué ses souvenirs dans un livre intitulé Au cœur du volcan. Il raconte avoir assisté à des réunions au cours desquelles des décisions sont bel et bien prises par le président, en présence du secrétaire général de l’Elysée et de tout le haut appareil d’Etat. Mais au moment de les mettre en œuvre, rien n’est possible, à cause des hautes instances judiciaires nationales ou européennes. Si demain Nicolas Sarkozy était réélu, si Marine Le Pen était élue, l’un et l’autre rencontreraient les mêmes difficultés. Les mêmes contraintes s’appliqueront et rien ne sera davantage possible.
Mais justement, si l’on reprend l’exemple du burkini et de Sisco en Corse, Nicolas Sarkozy a déclaré, comme Marine Le Pen, qu’il fallait faire une loi, la loi anti-burkini…
En apparence cela pourrait permettre de tourner le bloc constitutionnel que j’évoquais il y a un instant. Mais en réalité, comme l’a fait remarquer Didier Mauss, constitutionnaliste, une telle loi ne manquerait pas d’être déclarée anticonstitutionnelle par le Conseil constitutionnel. Vous me faites penser à une anecdote que m’a rapportée Philippe Martel, l’ex-directeur de cabinet de Marine : il avait rencontré Jean-Louis Debré, à l’époque président du Conseil constitutionnel. Anciens collègues du RPR, Jean-Louis avait dit à Philippe : « Viens prendre un café ». Puis il s’écrie : « Bon sang, mais c’est vrai tu es au FN ». Et d’ajouter finalement : « Ça n’est pas grave, de toute façon, nous verrouillons tout ». Jean-Louis Debré, président du Conseil constitutionnel, avait parfaitement raison : rien n’est possible si l’on ne change pas le bloc de constitutionnalité.
Vous ne croyez pas que vous mettez la barre un peu haut : changer le bloc de constitutionnalité ?
Le moyen de faire autrement ? Il y a encore cinq ou dix ans, je n’osais émettre de critiques au sujet de ce bloc de constitutionnalité qu’en tremblant. Aujourd’hui, le climat a beaucoup changé. On peut dire beaucoup de choses. Les catholiques se sont heurtés au bloc de constitutionnalité lors des discussions concernant le mariage homosexuel. Au départ, la loi devait approuver le mariage homosexuel, mais pas l’adoption. Et puis le CEDH, la Cour européenne des droits de l’homme a interdit cette distinction entre couples mariés pouvant adopter et couples mariés, de même sexe, ne pouvant pas adopter. Elle a déclaré que cette distinction entre couple de sexes différents et couple de même sexe était discriminatoire. Et la loi française a dû s’aligner. Pour éviter cela, il faut revenir sur ce bloc de constitutionnalité qui est obsolète. Il a été élaboré à l’époque où l’Europe était constituée de sociétés fermées et où le problème de l’identité européenne de la France ne se posait pas. Ce sont aujourd’hui des textes décalés, face à la réalité des sociétés européennes.
Que proposez-vous ?
Si on reprend la question du burkini comme un bon exemple : le burkini n’est, au fond, ni un problème de laïcité ni un problème d’ordre public. La question que pose ce vêtement de plage, c’est celle de l’identité collective. Si dix filles portent le burkini, la onzième est obligée de le porter. Pour éviter une telle contrainte, il faut introduire dans le bloc de constitutionnalité la question de l’identité collective. Tout candidat à la présidence de la République qui n’annonce pas un changement constitutionnel profond ne peut faire que des promesses constitutionnellement intenables sur les questions concernant l’immigration. C’est le problème d’une candidature comme celle de Marine Le Pen : ou bien elle s’engage dans la voie d’un changement profond du bloc de constitutionnalité, ou alors elle devra renoncer à la priorité nationale, la réforme du code de nationalité et la réforme du regroupement familial. Toutes ces lois n’ont aucune chance d’avoir le moindre débouché concret ; c’est ce qui était arrivé à Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012.
Que pensez-vous du discours de Brachay, à l’occasion duquel Marine Le Pen vient de faire sa rentrée politique ?
Ce qui est surprenant, c’est que le discours de Brachay (discours de « rentrée » de Marine Le Pen) aurait pu avoir été prononcé en mai ou juin 2016, au moment du Brexit anglais. Mais après l’été islamique que nous avons connu (Nice, Saint-Etienne-du-Rouvray, Sisco), ce discours pouvait paraître singulièrement décalé, alors que se faisait de plus en plus urgente la nécessité de défendre notre civilisation européenne et chrétienne, comme j’aime à dire. Je note qu’en Allemagne, lorsqu’elle était anti-euro et anti-Union européenne, l’AFD faisait 4% des voix. C’était en 2013. Depuis que le mouvement aborde la question de l’immigration (poussé par l’actualité allemande que l’on connaît), il fait 20% des voix. En Meklembourg-Poméranie, le Land de la chancelière Merkel, il dépasse largement le parti au pouvoir CDU, en utilisant des slogans comme « défense de la civilisation allemande ». Ces gens ont simplement compris que le vivre-ensemble avec l’islam est impossible, car, par principe, l’islam n’accepte pas la réciprocité.
Vous pensez à la France en évoquant l’Allemagne ?
Il ne faudrait pas que Florian Philippot transforme l’or identitaire en plomb souverainiste. La souveraineté n’existe pas historiquement, elle ne gagne électoralement que si elle est mise au service de l’identité.
Jean-Yves Le Gallou
Monde et Vie de septembre 2016
Jean-Yves Le Gallou, énarque, haut fonctionnaire, ancien député européen, co-fondateur du Club de l’horloge, président fondateur de la Fondation Polémia.
Propos recueillis par l’abbé Guillaume de Tanoüarn
Image : Jean-Yves Le Gallou
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