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Du djihad aux larmes d’Allah : Afghanistan, les sept piliers de la bêtise, du Colonel Cagnat

Du djihad aux larmes d’Allah : Afghanistan, les sept piliers de la bêtise, du Colonel Cagnat

par | 23 janvier 2013 | Médiathèque

Du djihad aux larmes d’Allah : Afghanistan, les sept piliers de la bêtise, du Colonel Cagnat

Lorsque François Hollande s’est adressé aux Français, en novembre dernier, pour les assurer de son engagement à ne pas intervenir militairement au Mali en y envoyant des troupes au sol, on aurait pu penser qu’il avait lu le livre du colonel Cagnat, publié peu de temps avant. Avec une plume de révolté, cet ancien officier supérieur d’infanterie cherche à faire réfléchir son lecteur à travers son expérience de terrain en Asie centrale et sa riche carrière militaire sur les enseignements à tirer de plus de dix ans d’intervention occidentale en Afghanistan. Cet ouvrage, dont Polémia présente ici une recension à ses lecteurs de Bertrand Renouvin, est à verser au dossier de la guerre du Mali. L’auteur redoute, après le départ de Kaboul de l’OTAN, une contagion de la déstabilisation dans les pays voisins. En Afrique, après avoir constaté, suite à la chute de Kadhafi, les désordres survenus au Mali frontalier, ne peut-on pas craindre dans cette ancienne Afrique occidentale française les mêmes phénomènes ? Polémia

Colonel d’infanterie, docteur en sciences politiques, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques, René Cagnat s’est établi au Kirghizstan après avoir été attaché militaire dans plusieurs pays de l’Est et en Asie centrale.

L’ouvrage qu’il vient de publier (1) dénonce les erreurs tragiques commises par les Américains en Afghanistan, analyse les conséquences de leur échec et ouvre le débat sur les moyens d’y remédier.

René Cagnat fait partie de ceux qu’on n’écoute pas. Ils sont nombreux dans cette confrérie formée d’hommes et de femmes riches d’expériences et de savoirs toujours généreusement offerts pour le service de la France. En haut lieu, on refuse de les connaître, au mieux on lit leurs notes sans rien en retirer parce qu’elles sortent du cadre assigné. De droite ou de gauche, les dirigeants tiennent un anti-discours de la méthode : ils prennent au sérieux les experts qui sont de leur avis et de leur monde mais récusent sans les discuter les analyses dérangeantes et novatrices. Le coup à jouer, le plan de communication efficace, le respect de la Pensée correcte nationale et mondialisée sont les critères d’une réussite attestée par les éditoriaux du Monde et de Libération.

C’est ainsi que Jacques Chirac et Lionel Jospin et surtout un Nicolas Sarkozy qui a longtemps bénéficié de la complicité du Parti socialiste, ont jeté la France et ses soldats dans le piège afghan. Décisions insensées, qui marquent cruellement la dérive occidentaliste de nos oligarques. Décisions jamais soumises au débat dans notre pays car je sais de source sûre que l’Elysée a pris soin, entre 2007 et 2012, de contrôler étroitement tout ce qui était écrit dans la grande presse sur l’Afghanistan. Bien entendu, les spécialistes pouvaient librement publier des livres et des articles – y compris dans la revue Défense nationale – mais l’audience de Jean-Dominique Merchet (2), de René Cagnat, de Gérard Chaliand (3) restait limitée.

Pourtant, ceux qui ont averti que l’affaire afghane était mal engagée, puis expliqué pourquoi les Américains perdaient cette guerre, étaient dans le vrai. René Cagnat présente et reproduit dans son livre les articles qu’il a publiés depuis 2001. Ce ne sont pas ceux d’un anti-américain : il a espéré que les Etats-Unis joueraient un rôle positif en Asie centrale puis montré comment l’OTAN pourrait se redéployer utilement dans cette région du monde. Ce ne sont pas ceux d’un prophète de malheur : il propose une politique permettant d’éviter que le Très Grand Jeu ne se fasse au détriment de la France et de la grande Europe. C’est pour préparer l’avenir que René Cagnat fustige les sept piliers de la bêtise américaine dont il a pu constater les effets désastreux depuis Bichkek et sur place, à Kaboul :

  1. Le bombardement de l’Afghanistan à partir du 7 octobre 2001 est un acte de vengeance qui consiste à faire payer à des Afghans innocents – surtout des Pachtouns – l’attentat qui a tué les Américains innocents du World Trade Center. « C’est une victoire pour Ben Laden, car les bombes rassemblent les Pachtouns derrière les Talibans dressés contre les infidèles et tenants du devoir d’hospitalité ». Contre Al-Qaïda, c’est une guerre de renseignement qu’il aurait fallu mener.
  2. Les Américains n’ont pas tenu compte des leçons de leur échec au Vietnam et de l’échec soviétique en Afghanistan : ils ont mené une guerre classique mais la maîtrise du ciel, les systèmes d’armes hautement performants et le contrôle des grandes villes n’ont pas pu détruire les Talibans qui, au contraire, se sont renforcés après avoir abandonné Kaboul.
  3. Bénéficiant du soutien plus ou moins actif d’une partie de la population afghane, les Talibans ont pu mener leurs opérations à partir de leurs bases au Pakistan, pays allié des Etats-Unis mais qui a mené un double jeu afin d’assurer à terme son influence prépondérante à Kaboul et sur les territoires pachtouns.
  4. Parce qu’ils ignoraient délibérément les réalités afghanes, les États-Unis ont voulu démocratiser à l’américaine un pays musulman composé de peuples différents, dominé par des seigneurs de la guerre et résolument hostile aux agressions étrangères. « Au lieu d’installer un fantoche de plus à Kaboul [le douteux Hamid Karzaï], il fallait recourir à la famille royale autour de Zaher Shah. Avec une restauration véritable de la royauté, il y aurait eu à Kaboul, grâce à l’immense prestige de Zaher Shah, une autorité respectée en mesure de rétablir les subtils équilibres ménageant une paix relative entre les ethnies ».
  5. Trop faible et mal répartie, l’aide financière n’a pas permis de reconstruire l’Afghanistan selon un plan méthodique de développement. L’aide étrangère est la source d’une immense corruption, qui touche les dirigeants afghans mais aussi les milieux occidentaux.
  6. L’islamisme a été sous-estimé. Dans les zones tribales, les Talibans ont pu former des fanatiques toujours prêts au sacrifice suprême. « La conception stratégique aussi bien que l’action tactique sur le terrain ont incombé le plus souvent à des responsables et officiers totalement ignorants de l’histoire, de la sociologie, des spécificités de l’Afghanistan et même de l’islam ». Le sursaut d’intelligence incarné par le général Petraeus n’a été qu’une parenthèse sans incidence positive sur le déroulement de la guerre. Au lieu de freiner l’insurrection, les campagnes d’élimination des cadres talibans en Afghanistan et, au moyen de drones, au Pakistan, n’ont fait qu’ajouter la haine à la haine.
  7. La lutte contre la drogue n’a pas été engagée. Pourtant, les Talibans l’avaient interdite et les contrevenants étaient exécutés. Mais les Américains n’ont pas voulu déplaire à leurs alliés de l’Alliance du Nord, grands producteurs de pavot. Au contraire, à Kaboul en 2003, les milieux bien informés m’avaient affirmé que la CIA encourageait la culture du pavot afin de s’attirer les bonnes grâces des seigneurs locaux. Le résultat de cette brillante politique ? Tout simplement ceci qui est à tous égards accablant : « les narcotiques ont rapporté en 2007 plus de 80 milliards de dollars aux trafiquants afghans qui s’efforcent de « commercialiser » un tonnage d’opium qui est équivalent à 92% de la production mondiale ». En Asie centrale, en Russie, en Europe de l’Ouest, nous constatons les effroyables dégâts engendrés par ce commerce.

Ce que je présente comme un bilan des erreurs, des fautes et des crimes américains a été dénoncé tout au long de la décennie par ceux, civils et militaires, qui avaient appris à connaître et à aimer l’Afghanistan. Décidé par Nicolas Sarkozy pour plaire aux Américains et marquer le retour complet de la France dans l’OTAN, l’envoi en 2009 de soldats français dans des zones très dangereuses fut une aberration couverte, il faut le répéter, par le Parti socialiste : la guerre était manifestement perdue dès 2007 et l’engagement français n’a été précédé d’aucune discussion sur les buts de la guerre, sur la stratégie, sur la tactique, sur la présence de mercenaires, sur le gouvernement du pays. On s’est contenté, à l’Elysée, de reprendre les slogans de la guerre contre le terrorisme alors que nul n’ignore que le terrorisme se combat par les actions de renseignement et les opérations spéciales. L’armée française, qui s’est comportée avec courage et intelligence, sans se livrer aux actes insultants et criminels des Américains, a durement payé les rodomontades qui cachaient l’alignement sarkozyste : au mois d’août 2012, nous déplorions 88 tués et 700 blessés.

Maintenant amorcé, le départ de nos soldats ne doit pas détourner la France de l’Asie centrale. Tels que les présente René Cagnat, les scénarios pour l’Afghanistan sont d’une plus ou moins grande noirceur : constitution d’un narco-Etat par improbable consensus entre Afghans, guerre civile, parachèvement de la domination talibane sur une partie du pays. Il est donc urgent de concevoir une action politique et militaire pour la défense de l’Asie centrale, qui est en continuité territoriale avec l’Europe continentale et qui la pénètre – par exemple au Tatarstan (4).

Quant à cette défense de l’avant, nous avons déjà fait écho aux analyses et aux propositions de René Cagnat, dans l’espoir de susciter un débat public qui n’a pas eu lieu (5). Nous continuons à le demander, car les dirigeants socialistes risquent fort de mettre un terme à notre présence militaire en Asie centrale sous prétexte d’économies budgétaires, en laissant les États-Unis faire n’importe quoi.

Les échecs des Américains au Vietnam, en Irak, en Afghanistan, prouvent leur incompréhension totale des guerres non-conventionnelles et leur manque d’intérêt pour les nations et les peuples au sein desquels ils déploient leurs troupes. Leur doctrine de la guerre d’anéantissement (6) est à l’opposé de la nôtre, toujours inspirée par le souci politique. Cette opposition radicale des conceptions et des méthodes devrait nous conduire à quitter définitivement l’OTAN et à nous garder de toute action militaire aux côtés des États-Unis.

Les affrontements violents qui se sont déroulés en juillet à Khorog , principale ville du Pamir, soulignent le risque de déstabilisation, au Tadjikistan et au Kirghizstan, des zones proches de l’Afghanistan. Notre présence militaire à Douchanbe et nos relations cordiales avec les gouvernements nationaux et avec les troupes russes basées au Tadjikistan et au Kirghizstan devraient permettre des actions communes contre les infiltrations islamistes et les trafiquants de drogue.

Plus généralement, il nous faudrait tracer avec la Fédération de Russie et avec les nations ouest-européennes qui le souhaitent les lignes de défense de l’Europe continentale et une doctrine d’intervention qui, loin de tout occidentalisme, permettrait de protéger et de promouvoir les intérêts communs.

Bertrand Renouvin
Source : blog de Bertrand Renouvin
31/12/2012

Article publié dans le numéro 1020 de Royaliste – 2012
René Cagnat, Du djihad aux larmes d’Allah : Afghanistan, les sept piliers de la bêtise, Éditeur : Éditions du Rocher, coll. Documents, septembre 2012, 148 pages.

Notes

(1) René Cagnat, Du djihad aux larmes d’Allah, Afghanistan, les sept piliers de la bêtise, Éditions du Rocher, 2012. Toutes les citations sont tirées de ce livre.
(2) Jean-Dominique Merchet, Mourir pour l’Afghanistan, Jacob-Duvernet, 2008.
(3) Gérard Chaliand, L’impasse afghane, L’aube, 2011.
(4) Cf. ma Lettre de Kazan sur mon blog
(5) Cf. Entretien avec René Cagnat, Royaliste n° … ainsi que mon éditorial du numéro 1010 « Défendre l’Asie centrale ».
(6) Cf. mon compte-rendu de l’ouvrage du Général Vincent Desportes : Le piège américain dans Royaliste n° 997, et notre entretien avec Thomas Rabino, pour son ouvrage De la guerre en Amérique, dans Royaliste n° 1017.

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