Par Johan Hardoy ♦ À l’occasion de la parution de son dernier livre, Gouverner par le chaos – Ingénierie sociale et mondialisation – Nouvelle édition 2023 (Éditions Max Milo, 125 pages, 11,90 euros), l’essayiste Lucien Cerise juge le moment opportun pour révéler qu’il est l’auteur d’un manifeste marquant paru sous couvert d’anonymat en 2010 puis en 2014. Cet ouvrage avait parfois été attribué à des milieux d’extrême gauche, ce qui n’a rien d’étonnant chez un auteur qui défend des positions souverainistes en s’inspirant des philosophies politiques les plus diverses.
La mondialisation implique un contrôle social accru
Hostile à l’instauration d’une « société de surveillance des populations », Lucien Cerise donne le ton en se plaçant d’emblée sous le patronage de l’article 35 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »
À l’occasion des révélations – suivies de persécutions – diffusées par des lanceurs d’alerte tels que Julien Assange (Wikileaks) et Edward Snowden (NSA), le grand public a pu découvrir « ce qui était devenu un secret de Polichinelle, à savoir que les USA se fichent de la légalité internationale et espionnent le monde entier, à commencer par les chefs d’État et les pays alliés ! » Cette surveillance de l’espace privé concerne également les GAFAM (les cinq grandes firmes américaines qui dominent le marché du numérique), comme le révèle « l’analyseur logométrique de Google Zeitgeist, qui définit les grandes tendances de l’esprit mondial à partir des milliards de mots-clés tapés quotidiennement sur le moteur de recherches ».
En France, « l’article 20 de la loi de programmation militaire 2014 banalise l’espionnage de la population en dégageant officiellement de tout encadrement juridique la collecte d’informations sur les réseaux de communications électroniques ».
Depuis cette involution du droit positif, « le stratagème pour justifier la surveillance et l’autosurveillance des populations » est aujourd’hui associé à une « menace sanitaire » (et bientôt écologique) d’autant plus efficace qu’elle flatte « les tendances hypocondriaques de chacun ».
En 2020, le président du Forum économique mondial Klaus Schwab et le consultant Thierry Malleret ont décrit dans leur livre, Covid-19 : la Grande Réinitialisation (Éditions Forum Publishing, 316 pages), « le déploiement concerté à l’échelle planétaire d’une nouvelle réalité transhumaniste au prétexte de l’épidémie de Covid-19 ».
L’oligarchie gère ainsi les masses humaines en utilisant la science et les technologies les plus avancées, en vue de réduire les incertitudes du comportement des populations et d’aboutir à la fusion de « la multitude des groupes humains hétérogènes dans un seul groupe global, un seul système d’information ».
De l’exploitation d’une crise à son orchestration, il n’y a qu’un pas que franchissent des auteurs comme l’altermondialiste canadienne Naomi Klein, qui avance que les crises économiques sont planifiées par l’oligarchie « afin d’anéantir les structures données jusqu’à une table rase permettant d’en implanter de nouvelles ». Cette stratégie du « pompier pyromane » provoquerait donc les crises pour faire avancer un agenda de destruction des économies nationales et locales, en vue de placer ces dernières sous la tutelle d’entreprises multinationales privées ou d’organisations transnationales telles que le Fonds monétaire international (FMI).
Comme le constate Lucien Cerise, « il s’agit à chaque fois de faire perdre à une entité sa souveraineté pour la mettre sous un contrôle extérieur ».
Comment procède le nouveau Big Brother ?
Alors que les dictateurs du passé étaient connus de tout le monde, de même que le vieux Big Brother de George Orwell, le nouveau pouvoir « est plus subtil car il est invisible ». Selon Lucien Cerise, il existe aujourd’hui un pouvoir officieux, bien caché dans les coulisses, derrière l’organigramme officiel. Lui vous voit mais vous ne le voyez pas, ce qui accroît sa puissance. Comme le font les pirates informatiques dans les ordinateurs, il peut s’infiltrer dans votre cerveau en opérant selon une méthode appelée « ingénierie sociale », après avoir procédé à un hameçonnage (phishing) invisible pour vous.
« Pour prendre le pouvoir et le conserver, notre nouveau Big Brother applique donc cette méthode d’ingénierie sociale de manière systématique », comme on peut le constater de façon spectaculaire dans les médias [de grand chemin].
Un ordre social lucide et stable ne convient pas à Big Brother car il pourrait se retourner contre lui. Il lui est nécessaire de plonger la population dans le chaos pour engendrer la peur et susciter des comportements « instinctifs, stéréotypés, rigides, faciles à modéliser et à prévoir ». En effet, « plus un sujet est chaotique, plus il est prévisible », du fait de la primauté du cerveau reptilien sur le néocortex dans de telles conditions.
Pour vaincre la résistance au changement et déplacer la « fenêtre d’Overton » [l’ensemble des idées, opinions ou pratiques considérées comme plus ou moins acceptables dans l’opinion publique], rien de tel pour Big Brother que le « dysfonctionnement intentionnel de ce qui marche bien » mais qui échappe à la spéculation et au marché. « Pour ne parler que de la France, ce pays est, depuis Sarkozy, et confirmé par Hollande, l’objet d’une destruction totale, méthodique et méticuleuse, tant de ses structures sociales que politiques et culturelles, destruction accompagnée d’un gros travail de fabrique du consentement de sa population à une dégradation sans précédent de ses conditions de vie afin de les aligner sur celles de la mondialisation libérale. »
Ce programme nécessite une « fluidification » consistant à fragiliser la culture et les traditions françaises « par l’injection de facteurs de troubles et d’éléments perturbateurs ».
À titre d’exemple, la réforme pénale soutenue par Christiane Taubira quand elle était garde des Sceaux, qui aboutissait à la libération anticipée de délinquants et de criminels, avait pour « première fonction évidente » de produire du « chaos social », tout en présentant l’avantage pour Big Brother de s’inscrire « dans un dispositif ultra-répressif visant à réduire la différence de traitement entre ce qui est coupable et ce qui ne l’est pas ». De cette manière, « nous devenons tous suspects a priori » !
La dystopie comme avenir radieux
Au terme de ce processus, « un monde mondialisé, unipolaire, sans frontières et politiquement unifié sous un gouvernement centralisé et un système unique de valeurs et de normes, en finirait une bonne fois pour toutes avec la possibilité de penser “autrement”. À monde unique, pensée unique. »
Comme le disait le très influent politologue américain Zbigniew Brzeziński, « deux dixièmes » de la population active suffiraient à maintenir l’activité de l’économie mondiale, le reste étant voué au « tittytainment » destiné à garantir sa docilité et consistant en divertissements abrutissants et en alimentation suffisante [la « malbouffe » suffira amplement !].
« L’ingénierie sociale se donne ainsi pour objectif de rendre tolérable, et même désirable, une involution civilisationnelle profondément morbide en la parant de tous les traits du rajeunissement perpétuel, donc apparemment de la vitalité et de l’avenir », tout en rejetant « ce qui rappelle le Père, c’est-à-dire l’instance qui fissure l’emprise exclusive et englobante du monde maternel pour introduire au “monde extérieur” et au réel. »
Le réel étant, comme disait Lacan, « ce qui ne se contrôle pas », l’ingénierie sociale aspire donc ni plus ni moins à une abolition du réel pour faire advenir une « déréalisation parfaitement contrôlée », représentée ultimement par « l’imposition d’une dictature transhumaniste mettant fin à l’espèce humaine, mais conservant les apparences du débat démocratique et de la diversité des opinions ».
Big Brother est nu !
Loin d’être pessimiste, car « évidemment, ça ne marche jamais, pour une raison toute simple : nous sommes “encore” en vie » et « des millions de fois plus nombreux que notre ennemi », Lucien Cerise prône la création d’un Deuxième Conseil national de la Résistance, composé d’hommes et de femmes de toutes origines politiques, sociales et confessionnelles, afin de lutter contre cette « classe transnationale de privilégiés » qui organise un chaos planifié dans nos sociétés.
En effet, « nous sommes en guerre » et il s’agit de la mener de façon constructive en évitant les « émeutes incohérentes et acéphales » ou le « terrorisme stérile ».
« L’ennemi utilise les institutions, la bureaucratie et la technocratie comme champ de bataille pour se camoufler, c’est donc là qu’il faut lui répondre », en lui substituant une subversion invisible située au cœur du système et inscrite dans le long terme.
Cessons de croire en Big Brother et le réel apparaîtra, car « il sait bien, au fond de lui, qu’il repose sur le mensonge. Inconsciemment, il nous demande de le frapper pour le ramener à la raison. Ne nous privons pas. Il nous remerciera à la fin ».
Johan Hardoy
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