Par Michel Geoffroy, essayiste ♦ Les politiciens adorent les commémorations et les hommages : cela permet de parler et de parader à bon compte. Donc de co-mmu-ni-quer ! Et de se moquer des Français par la même occasion. Cela suffit !
En France tout finit par des… commémorations !
En France tout finit par devenir sujet à « commémoration » ou à « hommage » : la guerre de 1914-1918, la guerre de 1939-1945, la fin de l’esclavage, les victimes de déportations, les victimes des tsunamis, les victimes des attentats terroristes, les victimes des guerres de religion ou de Vendée, mais aussi la mort de Simone Veil, et aujourd’hui celle de Jean d’Ormesson ou de Johnny Hallyday.
La machine à commémorer fonctionne en effet à plein selon un rituel désormais bien établi : pompe républicaine, troupes en armes, drapeaux, minutes de silence, marche blanche, bougies, mise en lumière de la Tour Eiffel et rétrospective télévisée sur toutes les chaînes ; sans oublier l’essentiel : le discours présidentiel en costard sombre, comme dirait Emmanuel Macron.
Lequel a même appelé le mois dernier à une minute de silence en hommage aux femmes tuées par leurs conjoints ou compagnon (1) !
Et Johnny Hallyday aura droit aux Champs-Élysées : on a sans doute évité le Panthéon de justesse.
Ils aiment bien les Français mais plutôt saignants ou froids
Il faut dire que les politiciens aiment bien les Français, mais de préférence saignants ou froids.
Car sinon, en effet, ces derniers ont la déplorable habitude de mal voter et de mal penser. À la différence des gentils migrants qui viennent, eux, nous apporter leurs compétences toujours formidables (2).
Les politiciens aiment aussi les commémorations car ils ne peuvent plus faire grand-chose d’autre. Les commémorations servent à cacher un grand secret : le Pouvoir n’a plus de pouvoirs. Macron comme les autres.
Commémorations : le carnaval des impuissants
On commémore les victimes du terrorisme, car le Pouvoir n’a plus les moyens de l’empêcher : la police n’entre plus dans les zones de non-droit et la politique migratoire est de la compétence des juges et non plus de l’exécutif. Et les frontières ont disparu dans l’espace Schengen.
On fait des « marches blanches » pour les victimes de la criminalité, parce que les prisons sont pleines et qu’on ne sait plus que relâcher ceux que la police arrête.
Le Pouvoir commémore les violences faites aux femmes, parce qu’il n’ose pas désigner les véritables harceleurs et les véritables agresseurs.
Le Pouvoir commémore la mort d’un académicien médiatique, pour tenter de faire oublier le naufrage de la culture et de l’enseignement en France.
Le Pouvoir commémore les guerres passées, car il ne sait plus comment assurer la sécurité des Français et la protection du territoire.
Comme le Pouvoir fait du sociétal car il a perdu toute possibilité de faire du social dans une économie mondialisée, dérégulée et soumise à la dure loi du libre-échange. Car le Pouvoir a abdiqué devant la toute-puissance des grandes firmes mondialisées, qui dictent leur loi en Occident.
Alors que reste-t-il ? L’apparence du Pouvoir, le discours officiel, la tchatche, les selfies présidentiels, les commémorations et la communication sur les médias de propagande.
Et il y a quelque chose de comique à voir tous ces tenants de la déconstruction et de la table-rase libérale/libertaire, découvrir, un court instant médiatique, les vertus du collectif et du mémoriel. Comme quand Emmanuel Macron fait l’éloge funèbre d’un académicien, lui qui déclarait en début d’année que la culture française n’existait pas (3).
De qui se moque-t-on sinon des Français.
La France en marche arrière
Il y a surtout quelque chose de morbide dans ce prurit français de sempiternelles commémorations : la France se trouve en effet en permanence appelée à passer la marche arrière de son destin, mais, bien sûr, avec les lunettes de l’idéologie dominante : les lunettes de la culpabilisation et de la repentance européenne de commande.
Car si on rend un hommage quasi national à Johnny, on n’ose pas commémorer la victoire d’Austerlitz ni la figure de Napoléon, par exemple, de peur de déplaire aux lobbies communautaristes. De Gaulle, trop indépendant et pas assez atlantiste, devient suspect à son tour. On ne commémore jamais nos grandes figures ni nos grandes réussites collectives : cela, c’est politiquement incorrect aux yeux de la superclasse mondialisée !
On n’en est pas encore à déboulonner les statues comme aux États-Unis mais on fait déjà la chasse aux plaques de rue et à l’orthographe.
On se croirait revenu dans les années 1920 où le pèlerinage républicain au monument aux morts était une formalité obligatoire, où les associations d’anciens combattants tenaient la rue car « ils avaient des droits sur nous » et où il ne faisait pas bon être accusé de rire dans un cimetière (4).
Assez commémoré ! Agissez !
Nietzsche avait prophétisé que l’homme de l’avenir aurait « la mémoire la plus longue » : une phrase souvent mal comprise, en particulier à droite, car dans son esprit cette mémoire constituait un handicap et non une opportunité ; car pour Nietzsche l’homme de l’avenir n’était que le dernier homme, celui qui a rapetissé le monde et tué toute grandeur. C’est pourquoi Nietzsche revendiquait au contraire un droit à l’oubli, pour libérer l’homme de cette maladie mémorielle !
Les commémorations, les minutes de silence et les larmes de crocodile médiatiques commencent vraiment à nous fatiguer !
Il serait temps que nos concitoyens se projettent dans l’avenir au lieu de regarder dans le rétroviseur de l’histoire avec une mentalité de pleureuse.
La France mérite mieux que des commémorations, des lois mémorielles et des hommages bidonnés.
Michel Geoffroy
08/12/2017
Notes :
- Le Monde du 25 novembre 2017.
- « Ce sont des femmes et des hommes qui ont aussi des qualifications remarquables » : interview d’Emmanuel Macron sur la chaîne israélienne i24 news le 25 décembre 2016.
- À Lyon le 5 février 2017, Emmanuel Macron a déclaré : « Il n’y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse. »
- Le président Raymond Poincaré en fut accusé alors qu’il grimaçait parce qu’il était ébloui par un rayon de soleil.
Correspondance Polémia – 09/12/2017
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