Par Denis Bachelot, journaliste, essayiste et écrivain ♦ Donald Trump est-il l’idiot ou, pire, le fou dépeint par la quasi-totalité des médias subventionnés en France ? Comment expliquer la popularité intacte du président des Etats-Unis d’Amérique alors que presque tous les acteurs et artistes américains font ouvertement campagne contre lui ? Va-t-il au contraire être réélu comme l’affirme certains de ses soutiens ? Pour Polémia, Denis Bachelot tente de répondre à cette question avec deux textes. Voici le premier, centré sur la politique interne des Etats-Unis.
Polémia
Trump n’est-il plus qu’un président en sursis ? Vu de France, tout peut sembler l’indiquer, tant les campagnes médiatiques dont il est la cible sont virulentes. Il n’est pas dans nos moyens de démêler la part de manipulation ou de réalité dans ces mises au pilori du président et de ses soutiens, et d’évaluer précisément, en conséquence, leurs effets sur une opinion publique extrêmement divisée. Nous pouvons, en revanche, nous appuyer sur quelques fondamentaux de la vie politique américaine pour tenter de mieux cerner la réalité des rapports de force et des enjeux qui les portent.
Guerre des médias et fracture sociale
Le brouhaha médiatique, tout d’abord, doit être évalué à sa juste dimension ; un travail d’évaluation que les médias français, toujours portés sur les mêmes références, ne proposent pas. Or le paysage médiatique américain est nettement plus éclaté que son équivalent français, concentré entre quelques titres et quelques chaines et stations archi dominantes ; sans oublier, bien sûr la puissance des réseaux sociaux, plus influents qu’en Europe et le foisonnement des radios et des télévisions locales, souvent sous influence conservatrice. Un exemple parmi d’autres, l’émission radio la plus écoutée est celle du très « droitier » Rush Limbaugh, bête noire des « progressistes ». Quant à Fox News, la chaîne qui veut incarner l’Amérique profonde, elle se classe depuis plusieurs années largement en tête des télés câblées, loin devant CNN, cible privilégiée des attaques anti média de Trump, qui a donné le ton de l’information durant deux décennies.
Par ailleurs, le prestige international du New-York Times ou du Washington Post, qui sont à la pointe des campagnes anti Trump, doit être fortement relativisé vu à l’échelle américaine. Un article récent d’un professeur de l’université de New-York, Rodney Benson, montre clairement que la diversification physique du paysage médiatique américain s’accompagne d’un clivage idéologique de plus en plus radical, où les opinions publiques respectives se ferment au contact et à l’influence des medias jugés adverses. (1)
Aux Etats-Unis, note Rodney Benson, un immense fossé sépare le quart supérieur et le quart inférieur de la population. Et les médias sont au cœur de cette fracture : Ainsi, note le sociologue, « Qu’il soit élitiste, partisan ou de masse, aucun média américain n’est parvenu à se pencher sur la précarité liée à la mondialisation qui sous-tend le malaise politique actuel. Rares sont ceux qui daignent parler des populations vivant en marge de l’élite urbaine et culturelle, ou même s’adresser à elles. Il s’agit de groupes sociaux qui pèsent sur le plan électoral, mais qu’aucun indicateur ne place dans la case des donateurs en puissance, des abonnés potentiels ou des cibles publicitaires de choix ». Cette masse des classes invisibles, des « déplorables » dirait Hillary Clinton, se révèle imperméable aux discours politiques mainstream, aux campagnes médiatiques, et sont difficilement saisissables par le monde des sondages. Ils peuvent déjouer les prévisions des sondeurs qui participent largement de la culture dominante. Dans ce contexte incertain, les pronostics de défaite du camp républicain à l’issue des midterms doivent être pris avec la plus grande circonspection; les fondamentaux actuels laisseraient plutôt envisager un scénario favorable pour Donald Trump.
Un bilan économique positif
Le caractère pour le moins fantasque de l’hôte de la Maison blanche, ne doit pas occulter la cohérence globale de sa vision politique. Le premier objectif affiché par Trump est le rétablissement de la puissance économique des Etats-Unis, à travers deux axes prioritaires; la reconstitution du tissu productif national et son corollaire, le rééquilibrage des échanges internationaux, et l’allégement de la fiscalité des entreprises. Et, de fait, les chiffres plaident en faveur de l’action du nouveau gouvernement; la croissance évolue à un rythme de plus de 4% et le chômage est au plus bas, depuis la fin des années 50, avec un taux de 3,7%. Cela ne règle pas pour autant la question des déficits américains et des risques de crise qu’ils représentent pour le pays et le reste du monde, mais celle-ci n’est pas imputable à la politique de Trump. Aujourd’hui, les classes moyennes et populaires blanches qui l’ont soutenu, sont plus que jamais convaincues de la justesse de leur choix, et, en l’état, ne semblent pas perméables aux attaques sur la personnalité du président. Mieux encore, sa cote de popularité, initialement très basse, auprès de la population noire, a fortement progressé. Selon un récent sondage, 36% des afro-américains approuvent son action, contre 19% un an plus tôt (2). En novembre 2016, seuls 12% des électeurs noirs avaient voté pour le candidat républicain.
La perception française de l’actualité américaine ne transcrit pas cette réalité politique du redressement économique, d’autant qu’elle s’aveugle d’une survivance hexagonale du mythe Obama, dont l’image est très contrastée aux Etats-Unis. Sa cote auprès du show-biz hollywoodien, largement répercutée de ce côté-ci de l’Atlantique, nous dissimule une réalité bien plus décisive de la société américaine ; le rejet global de l’héritage d’Obama par la communauté entrepreneuriale qui considère l’ère Obama comme une période sombre pour l’économie nationale, par la multiplication des taxes, des règlements et des contraintes judiciaires. Au-delà des mesures fiscales très favorables aux entreprises, la politique de Donald Trump apparaît, pour beaucoup, comme un retour aux sources de l’esprit entrepreneurial américain, une forme de libération des esprits et des énergies. Nous avions évoqué cette dimension dans un article publié dans ces mêmes colonnes quelque mois avant l’élection présidentielle de 2016, en relevant les soutiens décisifs que le candidat Trump gagnait auprès de figures emblématiques du monde des affaires, et en soulignant l’importance de ces ralliements pour une possible victoire du trublion républicain sur la représentante de l’establishment traditionnel. (3)
Face à l’acharnement des démocrates et de l’action transversale des néo-conservateurs pour mettre à bas le gouvernement actuel, des personnalités parmi les plus influentes du big business américain- ils se dénomment eux mêmes «the few »- entérinent les effets bénéfiques des réformes de Trump pour l’économie des Etats-Unis et se montrent soucieux d’éviter toute crise politique majeure. La rupture entre les élites politico-administratives et médiatiques et le sentiment populaire majoritaire est telle, que la crainte d’une confrontation violente en cas d’entreprise de destitution de Donald Trump, est régulièrement, et confidentiellement, évoquée par ces hauts responsables économiques, soucieux de leurs intérêts et capables de jouer un rôle de stabilisateur du pouvoir. Par ailleurs, si le monde des services secrets et du renseignement en général, cœur de l’Etat profond, est très largement anti Trump, le monde militaire, et celui de la Garde nationale, sont en revanche très majoritairement derrière lui. Cette configuration laisse deviner la violence extrême des affrontements, non nécessairement extériorisés, entre les différentes forces en présence. Il en va des choix stratégiques de la première puissance mondiale.
Denis Bachelot
17/10/2018
(1) « Métamorphoses du paysage médiatique américain » : Le Monde diplomatique, septembre 2017.
(2) Sondage Rasmussen du 15 août 2018
(3) Polémia du 20 juin 2016 : « L’affrontement Trump/Clinton reflète bien les fractures de la société américaine ».
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Gage Skidmore from Peoria, [CC BY-SA 2.0], via Wikimedia Commons