« La loi Pléven a réintroduit dans notre droit le délit d’opinion. »
L’Établissement politique et médiatique perd son sang-froid, depuis que M. Hollande a été tancé par Roger Cukierman à l’occasion du soixante-dixième anniversaire du CRIF (1). Le président de la République a répondu bien humblement « Nous vous écoutons ». Or, le CRIF rend fous ceux qui veulent l’embrasser. L’hystérie collective à laquelle nous assistons contre un humoriste, il est vrai talentueux et charismatique, est l’aboutissement d’un long travail de conditionnement intellectuel et moral. Au nom du bien, c’est-à-dire des « valeurs » dites « républicaines » d’un nouvel ordre moral, les libertés de pensée, d’expression et de réunion ont été démantelées, sous couvert de bien-pensance, au fil de quatre décennies. E.D.
Quatre décennies de restriction des libertés
Tout commence avec la loi du 1er juillet 1972, dite antiraciste ou Pleven, promue par la Ligue internationale contre l’antisémitisme ou LICA (devenue LICRA), alors présidée par Jean Pierre-Bloch (1905-1999). Cette loi, pour s’en tenir à son seul volet restrictif de la liberté d’expression, réprime l’injure, la diffamation et la provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence communautaire.
Précédemment, les lois sur l’injure et la diffamation ne protégeaient les personnes qu’à titre individuel, indépendamment de toute attache communautaire, et il n’était pas question de provocation. Depuis 1972, ce sont des communautés qui sont protégées, définies par l’origine, la nation, l’ethnie, la race ou la religion. Ensuite, la loi a prospéré, d’une droite à l’autre, et ont été ajoutées, par la loi Perben II (2004), les communautés de sexe, de mœurs et d’infirmité (« handicap »). Il ne reste plus que les discriminations par l’argent ou la classe sociale (marxisme oblige) qui demeurent libres.
Notons que, si les lois Pleven-Perben ont transformé insidieusement la société française, le Système n’a pas encore tiré les conséquences vertigineuses du communautarisme ainsi instauré. Car sinon, les avocats de Dieudonné M’bala M’bala auraient pu, au nom du devoir d’impartialité du juge, récuser le conseiller d’État Bernard Stirn (auteur de l’ordonnance novatrice du 9 janvier), la cause de l’instance étant l’antisémitisme supposé de leur client… Ils auraient dû le faire ; ils devront se résoudre à glisser cette quenelle aux juges. La reconnaissance d’entités tribales implique une autre logique judiciaire. Le droit, c’est un peu comme les trains : quand ils déraillent on ne sait pas trop ce qu’il va advenir des wagons…
Aujourd’hui c’est à travers l’atteinte au droit de réunion que la liberté d’expression est achevée, avec restauration d’une censure préalable qui se fonde sur le concept flou et moralisateur de « dignité de la personne humaine ».
Il y a là un revirement de jurisprudence dont la gravité n’a d’égale que la célérité de la reddition : quatre heures entre l’ordonnance de première instance et celle d’appel ! Si le ministre Valls avait tout fait tout seul, cela n’aurait pas été plus rapide ! Voilà qui laisse un certain malaise au juriste, au point d’entacher la décision d’un certain soupçon.
Le premier juge, à Nantes, dans le droit fil de la jurisprudence antérieure, exposait que les tournées précédentes de Dieudonné n’avaient « pas donné lieu à des troubles à l’ordre public » et que les autorités ne pouvaient invoquer la simple « possibilité d’une manifestation devant la salle prévue pour le spectacle » alors qu’il n’était pas « justifié de ce que le préfet ne disposerait pas des moyens nécessaires propres à assurer le maintien de l’ordre public ». En effet, auparavant, depuis l’arrêt Benjamin (Conseil d’État, 19 mai 1933) et jusqu’à ce 9 janvier 2014, l’autorité administrative ne pouvait interdire une réunion qu’en cas de risques de troubles matériels à l’ordre public que les forces de police disponibles ne seraient pas à même de contenir.
Dans la foulée, les juges des référés des autres tribunaux administratifs se sont pliés à une jurisprudence non stabilisée contre laquelle ils auraient pu se rebeller. Ils ont rompu ainsi avec une tradition d’indépendance qui faisait l’honneur des tribunaux administratifs.
Cette forme nouvelle de censure est particulièrement odieuse ici, en ce qu’elle est en fait ad hominem, visant à l’interdiction professionnelle de celui qui met les rieurs de son côté. En effet, même son nouveau spectacle à la Main d’Or, dont la teneur est inconnue, a été interdit le 11 janvier !
Pour M. Valls, perdu de passion, un Noir ne doit-il être que balayeur ou éboueur ?
Annie Kriegel, Dieudonné et Zemmour lanceurs d’alerte
En 1990, au fil de cette décadence moralisante du droit, la loi Gayssot a été imposée par MM. Rocard et Fabius. Concoctée à la diable contre le professeur Faurisson, cette loi a ajouté un nouveau délit d’opinion, fossilisant un point d’histoire, ainsi sacralisé en un dogme. C’en était trop pour Annie Kriegel (1926-1995) qui s’était alors insurgée en ces termes :
« En confiant au pouvoir judiciaire la tâche détestable de paraître traquer le délit d’opinion et d’expression, en espérant de la concurrence entre organisations “antiracistes” une obsessionnelle chasse aux sorcières (…), en s’abritant derrière des institutions juives inquiètes pour légitimer une insupportable police juive de la pensée, Michel Rocard devrait s’interroger en conscience (…) » (2).
Dans l’intérêt de la tranquillité des juifs eux-mêmes, c’est Annie Kriegel qu’il fallait écouter, pas Pierre-Bloch ou Cukierman… Sur I-Télé, Ça se dispute, 10 janvier, 21h), Éric Zemmour a condamné l’interdiction professionnelle qui frappe Dieudonné. Il a rappelé qu’il s’agissait là de l’un des derniers véritables humoristes. Il a rappelé que traditionnellement leur rôle était de choquer le bourgeois et qu’aujourd’hui c’est précisément en plaisantant sur la Shoah, pilier du Système, qu’on y parvient – bref, que l’ennemi du genre républicain est bien resté conforme à la loi du genre…
Récemment Arno Klarsfeld, collègue au Conseil d’État du susnommé Stirn, appelait de ses vœux des troubles à l’ordre public (3) (cf. arrêt Benjamin précité). En réponse, dans une vidéo vite mise en ligne, le saltimbanque lui répondait, sur le registre digne de Desproges : « je ne suis pas antisémite, mais je pourrais le devenir ».
Métaphysique et Terreur
La loi Pleven, qui a réintroduit dans notre droit le délit d’opinion (ce que la bien-pensance interdit de dire), a également introduit un concept métaphysique redoutable, retour sur la théocratie, celui du Bien, avec un grand B. En introduisant la répression de la « haine », le législateur « républicain » a subverti notre droit pénal au nom du Bien. La haine, c’est comme l’enfer de Sartre, c’est les autres : eux, gens du Système, sont bons ; les autres, les dissidents, sont pleins de haine, ils procèdent du Mal. Voilà pourquoi la République manichéenne se lance dans une « obsessionnelle chasse aux sorcières ».
Après la haine, voici un autre un concept flou, celui de dignité de la personne humaine, défini par le ministre de l’Intérieur, et qui permet le retour de la censure préalable disparue avec Napoléon III. Tout cela relève de la morale, alors que l’Empereur, au moins, faisait de la politique. Pour la haine, comme pour la dignité de la personne humaine, il s’agit du retour du devoir de vertu cher aux théologiens théocratiques, mais aussi à Robespierre, et rejeté hors de l’empire du droit depuis le temps des Lumières. Mais les Lumières n’éclairent plus guère la gauche et ses satellites de la soi-disant droite institutionnelle (pour Kant, le devoir de vertu ne pouvait en aucun cas procéder du droit).
Aussi la République appelle-t-elle à la mobilisation contre le Mal. La fin justifie les moyens : plus de droit, une morale égalitariste et cosmopolite, plus de sentiments humains, un puritanisme passionnel. A bas Satan ! Un énergumène qui assassinerait M. M’bala M’bala pourrait compter sur la plus grande bienveillance de la part de l’oligarchie qui usurpe tant l’adjectif démocratique.
Si nous ne nous révoltons pas, sachons que la Terreur est aujourd’hui insidieusement de retour – et ne repartira pas toute seule. Manuel Valls a quelque chose de Robespierre… Comme le prophétisait Jean-Luc Roméro, parlementaire et militant homosexualiste, lors du vote de la loi Perben II réprimant entre autres l’homophobie : « Maintenant fini de rire »…
Ne devenons pas comme M. Valls, cet homme méprisable qui ne rit jamais. Révoltons-nous et rions, rions avec le Nègre !
Éric Delcroix
12/01/2014
Notes
- Conseil représentatif des institutions juives de France (lire à ce sujet le livre d’Anne Kling, Le CRIF, un lobby au cœur de la République, Editions Mithra, 2010).
- Le Figaro, 3 avril 1990, page 2.
- Arno Klarsfeld a été nommé au Conseil d’État « au tour extérieur » (c.à.d. sans qualification) par la volonté de Sarkozy (2010). Pour des raisons qui échappent au droit commun, il se dispense impunément du « devoir de réserve ».
Note de la rédaction
Voir Pour rétablir la liberté d’expression, par Aurélien Portuese, juriste, maître de conférences à l’Université de Westminster et Gaspard Kœnig, philosophe, président de Generation Libre,19 décembre 2013.
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