« Portrait de Didier Lallement » issu de la lettre d’informations confidentielles Faits & Documents (n° 505, février 2022, 12 pages, 8 euros). La lettre mensuelle fondée par feu Emmanuel Ratier aborde cette fois le cas du préfet de police qui part à la retraite en juillet 2020, après une dérogation l’ayant autorisé à une prolongation de quelques mois.
Une carrière fulgurante
Didier Lallement naît le 27 août 1956 à Lyon Vie, dans une famille de la classe moyenne. Son père est technicien commercial et sa mère secrétaire de direction.
Lors de ses études où il obtient un DESS de droit des collectivités locales, il s’engage dans le syndicalisme étudiant au sein du CERES, le courant de Jean-Pierre Chevènement au Parti socialiste. En 1984, il fait ainsi partie d’une délégation qui se rend au Nicaragua par solidarité révolutionnaire avec le mouvement sandiniste.
Parallèlement, il commence sa carrière en 1981 comme chef de bureau à la mairie d’Épinay-sur-Seine, ville de Seine-Saint-Denis dont il devient secrétaire général du syndicat intercommunal quatre ans plus tard.
Le 8 décembre 1987, son initiation au sein d’une loge parisienne du Grand Orient de France constitue un véritable accélérateur pour sa carrière. Après un semestre, il est nommé chef de cabinet de Roger Bambuck au secrétariat d’État chargé de la Jeunesse et des Sports. Il rejoint ensuite le secrétariat d’État chargé des Collectivités locales avant d’exercer, en tant que sous-préfet, les fonctions de directeur du cabinet du préfet de l’Essonne.
Après la débâcle de la gauche aux élections législatives de 1993, il exerce les missions de secrétaire général de la préfecture de la Marne et de chef de service de l’action régionale et rurale de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale.
Lors du retour de la gauche au gouvernement en 1997, il revient comme conseiller technique du ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement, avant d’être rapidement promu directeur général des collectivités locales.
En 2000, ce ministre lui permet de « prendre sa casquette » en lui offrant la préfecture de l’Aisne, un poste qu’il occupe brièvement avant de se voir confier la direction de l’Administration pénitentiaire, où il est maintenu par le Garde des Sceaux Dominique Perben malgré l’alternance politique de 2002. Ce dernier négocie ensuite son arrivée à la préfecture de Chalon-sur-Saône avant de l’intégrer au ministère des Transport, où il occupe la fonction de directeur de cabinet avant d’être nommé directeur général de l’Aviation civile et commissaire du Gouvernement auprès des Aéroports de Paris.
Préfet du Calvados et de la région Basse-Normandie entre 2010 et 2012, il rejoint le ministère de l’Écologie après l’élection de Nicolas Sarközy, puis fait son retour en force place Beauvau après la victoire de la gauche à l’élection présidentielle, en tant que secrétaire général, un poste qui donne notamment la main sur les carrières du corps préfectoral.
Ses manœuvres à ciel ouvert pour prendre la tête de la préfecture de police de Paris finissent par entraîner une levée de boucliers contre lui. Il n’est pas considéré comme fiable par François Hollande et reste maintenu à distance par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, mais il est nommé au tour extérieur conseiller maître à la Cour des Comptes en 2014 avant d’être promu président de section en 2017.
Bien que fort détaillé, son CV disponible sur Internet omet une des fonctions qu’il a occupées à l’époque, à savoir la présidence de la Commission d’examen des offres de la Société du Grand Paris, soit un des plus grands chantiers d’Europe. Des marchés « pour lesquels les procédures et les grands principes de mise en concurrence n’avaient pas été respectés, soit en attribuant un marché à une entreprise dont l’offre aurait dû être rejetée pour irrecevabilité, soit en modifiant en cours de procédure les modalités de calcul des offres financières, ce qui a eu pour effet de modifier l’ordre de sélection des candidats », note la Cour des Comptes dans un rapport rendu public le 17 janvier 2018.
Quand les cartes sont rebattues avec l’arrivée d’Emmanuel Macron, Didier Lallement est nommé préfet de la Gironde et de la région Nouvelle-Aquitaine puis, après seize mois passés à Bordeaux, à la tête de la préfecture de police (« PP »). Cette puissante institution est considérée comme un État dans l’État, gérant Paris et les départements de la petite couronne avec sa propre police judiciaire, ses prestigieuses brigades, son service de renseignement, son siège au Conseil de Paris, ses compétences en matière de lutte contre l’immigration, etc.
Une grande casquette
Ce « fana mili » dont les insignes de la Légion étrangère décorent le bureau n’a pourtant fait l’armée que dans les jeux vidéo qu’il affectionne. Selon Le Monde (février 2020), il aurait, en effet, échappé au service militaire.
La grande presse le décrit ainsi : « Cela fait quelques décennies que Didier Lallement vit entouré de la haine de ceux qui ont eu à subir son autorité. (…) Visage dépourvu de la moindre mobilité et voix métallique, le petit homme fluet (…) est tout simplement un fanatique de l’obéissance » (Le Canard enchaîné, mars 2019) ; « Une casquette. Elle devance l’homme, comme le prolongement de l’être. (…) Lorsqu’il descend dans la rue, impossible de le rater : le couvre-chef le dévore, comme une galette trop grande pour lui » (Le Monde, février 2020) ; « Dieu qu’il est raide, bec d’aigle, teint hâve sous le masque, chemise à épaulettes bardée de médailles » (Paris Match, décembre 2020).
Toujours plus grand la casquette ! 😂 pic.twitter.com/EMmTJm3dxX
— Illuminati Reptilien (@IllumiReptilien) March 23, 2019
On se souvient également du fameux « Nous ne sommes pas dans le même camp, Madame ! », adressé à une Gilet jaune qui lui demandait pourquoi il n’arrêtait pas les black blocs.
[De même que de cette perle à propos des malades du Covid-19 : « Ceux qui sont aujourd’hui hospitalisés, ceux qu’on trouve dans les réanimations, ce sont ceux qui, au début du confinement, ne l’ont pas respecté, c’est très simple, il y a une corrélation très simple » (BFM TV, avril 2020), alors que la presse nous informe qu’il en a été atteint à plusieurs reprises !]
La force prime le droit
C’est à Bordeaux que le « préfet au visage émacié et au regard de loup » (L’Opinion, décembre 2020) expérimente sa nouvelle doctrine du maintien de l’ordre.
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Le 21 mars 2019, sa nomination à Paris signe la reprise en main de la « PP » par l’exécutif, avec la concrétisation, à la faveur du mouvement des Gilets jaunes, d’une purge qui a germé dans le climat de paranoïa et de complotisme ayant envahi l’Élysée depuis l’affaire Benalla. Son prédécesseur Michel Delpuech est jugé « trop laxiste » [!] face aux manifestations, tandis qu’il est reproché à Frédéric Dupuch, directeur de la Sécurité de proximité de l’agglomération parisienne, d’avoir appelé à un usage modéré des lanceurs de balles de défense (LBD 40) [rappelons que ces armes ne doivent pas être utilisées pour disperser des manifestants désarmés mais seulement en cas de légitime défense, comme leur nom l’indique…].
Le mouvement des Gilets Jaunes, ses causes et ses conséquences
Dix mois plus tard, l’avocat Jean-Pierre Mignard livre un bilan de la répression des Gilets jaunes dans Le Monde : « vingt-cinq éborgnés », « cinq mains arrachées », « un pied déchiqueté », etc. [aucune procédure concernant les mutilés n’a encore abouti à un procès pénal permettant d’établir les diverses responsabilités alors que les faits remontent à 2018 et 2019].
En interne, les ordres de Didier Lallement d’« impacter » les cortèges, en rupture avec la doctrine française d’emploi de la force graduée et d’évitement de la confrontation directe, sont vivement critiqués dans plusieurs notes émanant de hauts responsables de la Gendarmerie et des CRS.
Dès le mois d’avril 2019, ces méthodes font pourtant l’objet d’un premier rapport de l’Observatoire girondin des libertés publiques dans lequel sont pointés l’usage « purement formel » de sommations, l’usage abusif des « nasses » (encerclement des manifestants) et la mise en place de pelotons de « voltigeurs » à moto. Ces derniers, supprimés en 1986 à la suite du décès de Malik Oussekine, font leur grand retour à Paris avec l’arrivée du préfet. Didier Lallement parle ainsi de « ses » Brigades de répression de l’action violente motorisée (BRAV-M), qui sont placées sous son contrôle direct contrairement aux CRS et aux gendarmes mobiles.
Gilets Jaunes. Médias et immigration : deux combats révolutionnaires
Outre les multiples provocations de l’intéressé (référence à Trotski dans sa carte de vœux à en-tête de la préfecture en 2021, interdiction d’un rassemblement de policiers organisé à la suite du suicide d’une de leur collègue, etc.), son passage à la « PP » est notamment marqué par une explosion de la délinquance et, dernièrement, par le fiasco du stade de France.
Son « cadeau de départ » aux Gilets jaunes
Le 14 juillet 2022, à l’occasion d’un appel national, les Gilets jaunes se voient interdire tardivement le droit de manifester dans l’Est parisien mais sont gracieusement autorisés par la préfecture à se rassembler place de la Bastille.
Pour cette dernière grande mobilisation avant son départ annoncé, le préfet leur réserve une surprise : sous une chaleur étouffante, les manifestants, pourtant pacifiques, vont subir un long « nassage » de la part d’imposants cordons de police.
Le 10 juin 2021, le caractère illégal de cette technique d’encerclement a pourtant été affirmé par le Conseil d’État, celle-ci étant « susceptible d’affecter significativement la liberté de manifester et de porter atteinte à la liberté d’aller et venir ».
Une plainte a été déposée par les organisateurs. Affaire à suivre…
Johan Hardoy
25/07/2022
Crédit photo : Jeanne Menjoulet [CC BY 2.0]
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