Par Michel Geoffroy, auteur de La Super-classe mondiale contre les peuples ♦ En 2018 paraissaient deux ouvrages que l’on pourrait qualifier de prophétiques : en mars, celui de Fabrice Grimal, Vers la révolution. Et si la France se soulevait à nouveau ? »[1], et, en décembre, celui de Philippe Bornet, Demain la dictature [2].
Deux ouvrages certes différents dans la forme et le contenu. Celui de Fabrice Grimal repose sur une analyse détaillée de la situation présente et future de la France, alors que celui de Philippe Bornet décrit le phénomène dictatorial dans l’histoire et invite à une réflexion sur le Politique, l’autorité et le pouvoir.
Pourtant, ces deux essais se rejoignent quand on les met en regard de la situation présente de notre pays, depuis le déclenchement du mouvement des gilets jaunes.
La France entre-t-elle en révolution ? Et la dictature ne sera-t-elle pas, une nouvelle fois, la réponse apportée par l’oligarchie à la révolte des peuples ?
La révolution improbable ?
La révolution, écrit Fabrice Grimal, paraît improbable.
Mais il nous montre qu’elle est pourtant possible et même, de plus en plus présente dans les esprits. Dans la courte uchronie qui termine son essai, il la situe même dans le temps : en juillet 2023, après… la réélection d’Emmanuel Macron face à Marine le Pen, et après le déclenchement de la nouvelle crise financière mondiale qui a achevé de paupériser les classes moyennes et populaires !
La révolution semble improbable parce que « l’ancienne société disciplinaire qui savait susciter une opposition au moins discrète mais permanente, a été remplacée par une société de surveillance et de contrôle global, un totalitarisme mou générant des oppositions molles, qui peinent toujours à s’extraire d’un contrôle social intériorisé dominé par l’autocensure »[3].
Fabrice Grimal décrit alors, dans une belle synthèse documentée, ce totalitarisme mou, qui résulte du triomphe de l’idéologie libérale libertaire – laquelle provoque une explosion mondiale des inégalités économiques et sociales – mais aussi des abandons de souveraineté à l’Union européenne, qui détruit progressivement la démocratie, les nations et l’Etat en Europe.
Il montre aussi la trahison des élites – et notamment la gauche et les syndicats – qui ont abandonné le peuple français à son triste sort pour se rallier au mondialisme. Car « la mondialisation n’est en réalité que le produit de l’explosion des nations, sous les coups de leurs dirigeants eux-mêmes, que leurs peuples n’ont jamais mandatés pour cela »[4].
Les signaux faibles de la révolte qui vient
Certes, ces analyses sont bien connues et largement partagées parmi la dissidence française et européenne.
L’intérêt de l’essai de Fabrice Grimal est cependant de ne pas gloser à l’infini autour d’un décourageant « suicide français », mais bien au contraire de s’attacher à mettre en lumière la lente mais irréversible prise de conscience, par les peuples, de ce qui est en train de se passer à leurs dépens. En analysant les nombreux signaux faibles – en particulier parce que les médias mainstream nous les cachent – de la révolte qui vient en France.
La radicalisation de la jeunesse par exemple, qui a compris qu’elle serait victime du système que ses aînés ont laissé se mettre en place. Car « la société promet aux jeunes que tout leur sera possible (…) mais la réalité du monde du travail auquel ils se confrontent ne leur permet que très rarement de se réaliser pour de vrai »[5]. D’où leur attitude défiante vis-à-vis des institutions, de l’entreprise, des syndicats et du salariat. Et leur propension à voter pour les « extrêmes » de l’échiquier politique.
Fabrice Grimal étudie aussi en détail la progression des mouvements alternatifs et autonomes, signe d’un divorce croissant à l’égard de l’idéologie « progressiste [6]» dominante : la constitution de ZAD, le retour à la campagne de certains citadins, le développement de blogs et de collectifs contestataires, l’essor des monnaies locales, le mouvement Nuit Debout mais aussi les actions violentes sporadiques contre les institutions ou les grandes entreprises.
« Face à ce foisonnement de mouvements sociaux populaires et populistes, mûrs ou embryonnaires, qui se répandent à l’échelle du pays entier, tous les scénarios sont envisageables[7] » écrit l’auteur.
Une prédiction formulée plusieurs mois avant le déclenchement du mouvement des Gilets Jaunes…
La révolution pour quoi faire ?
Même si, à l’évidence, Fabrice Grimal puise nombre de ses références dans l’imaginaire et les références de gauche[8], il s’efforce de définir de façon synthétique les bases de la révolte qui vient.
Pourquoi le peuple français va-t-il se révolter ?
Au départ parce que la crise financière de l’Etat providence ne va plus permettre de payer la paix sociale par de larges transferts sociaux, comme cela a été le cas dans la dernière moitié du 20e siècle. Aussi parce que le néocapitalisme mondialisé, dérégulé et financiarisé va déboucher sur une crise financière et bancaire de très grande ampleur. Parce que les taux d’intérêt finiront par remonter, faisant exploser la montagne de dettes. Et parce que le peuple comprend que les élites l’ont trompé.
La révolution dans ce contexte consistera à« mettre des freins au néolibéralisme mondialisé et à la ruine sociale, à l’effacement des nations ou à la disparition programmée de la bioéthique. Poser des limites claires et immuables à ces dérives modernes est bien la question qui occupe, sous toutes ses formes, l’esprit de beaucoup d’opposants au système, qu’ils soient décroissants, protectionnistes, eurosceptiques ou collectivistes »[9].
La question de la démocratie constituera, également, un levier pour les nouveaux révolutionnaires. Car Fabrice Grimal montre que la démocratie représentative a atteint ses limites, puisque le peuple a perdu le pouvoir au profit des oligarchies et des lobbies, lesquels n’ont eu de cesse de déconstruire la nation. C’est pourquoi « le lien qui unissait le peuple français à sa classe politique est presque intégralement rompu, tandis que l’Etat sous emprise a littéralement abandonné toute velléité de protéger sa population »[10].
Or il ne peut y avoir de démocratie sans peuple, sans nation ni sans définition et protection du bien commun. D’où la nécessité de refonder la démocratie sur de nouvelles bases.
La police ou l’armée ?
Une révolution peut-elle réussir ?
Même s’il nous livre une conclusion optimiste, en particulier parce qu’il croit à l’union des minorités actives, Fabrice Grimal ne se berce pas d’illusions : l’oligarchie, appuyée sur un énorme appareil répressif – et notamment sur sa police – ne se laissera pas faire.
Une prévision que l’ampleur de la répression gouvernementale et de la diabolisation médiatique contre le mouvement des Gilets Jaunes – du jamais vu depuis la guerre d’Algérie – vient confirmer.
L’uchronie finale de l’auteur prévoit d’ailleurs que la police aura pour consigne zéro mort mais liberté totale de violence et n’hésitera pas à procéder à des tirs de flashball dans le visage des manifestants… Cela ne vous rappelle rien ?
Et de son côté Philippe Bornet rappelle le terrible mot du roi Louis-Philippe au lendemain de la répression ouvrière de 1848 : « La république a bien de la chance de pouvoir tirer sur le peuple »[11]….
Fabrice Grimal observe aussi que les révolutions n’arrivent que parce que l’armée – ultima ratio regum – et non la police, finit par basculer. Mais un tel scénario peut-il arriver dans la France d’aujourd’hui, avec une armée professionnelle, rabaissée au rang de valet d’arme de l’OTAN et dont les généraux rêvent de finir leur carrière dans les cabinets de conseil privés?
Demain la dictature ?
C’est là que l’essai de Philippe Bornet sur la dictature, vient éclairer d’un jour sombre celui de Fabrice Grimal. Car « la méditation des leçons du passé est la seule prophétie des gens raisonnables ».[12]
Qu’est-ce que la dictature en effet ? « Le propre de la dictature est d’être légale, au moins a posteriori »[13] avertit Philippe Bornet en s’appuyant sur une analyse détaillée des précédents historiques. Il montre que la dictature apparaît dans des circonstances précises : la guerre à l’extérieur, les factions et le chaos à l’intérieur.
« Les représentants de la nation doivent se sentir menacés par le peuple qui rêve de les voir finir au bout d’une corde. Aussi ces représentants prennent-ils le pari de se désister au profit d’un dictateur, qui confisquera peut-être ce pouvoir auprès duquel ils émargent, mais endossera aussi le passif de leur échec et confirmera leurs privilèges. Avant toute dictature, il y a négociation et rachat à bon compte d’une dette historique entre l’oligarchie et le futur dictateur »[14]. Et c’est pourquoi il est préférable que « le futur dictateur fasse partie de l’oligarchie, qu’il en partage les intérêts et les préjugés, les mœurs et le langage »[15].
La dictature vise donc à rétablir, par la force, un certain ordre. « Plutôt une injustice qu’un désordre », tel est toujours le mot d’ordre du parti de l’ordre. La dictature se présente alors comme le moyen d’empêcher la révolution ou de l’arrêter une fois déclenchée. Pour préserver parfois aussi l’intérêt de ceux qui en ont profité, comme ce fut le cas de la bourgeoisie française après la Terreur.
L’analyse de Philippe Bornet débouche évidemment sur une interrogation sous-jacente : la dictature peut-elle revenir au goût du jour en France – qu’elle soit une dictature 2.0 ou un totalitarisme mou ne changeant rien à l’affaire ?
Ou pour le dire autrement : qui peut prendre le pari que la dictature ne sera pas l’ultime recours des profiteurs de la révolution néocapitaliste – l’oligarchie, l’eurocratie, ses idiots utiles ou la macronie aux abois – qui a conduit les peuples à la déchéance, à la pauvreté et finalement à la révolte ?
Alors, la France est-elle à l’heure de la révolution ou de la dictature ? Ou bien des deux à la fois successivement ?
Pour répondre à ces interrogations, mais aussi mieux comprendre ce qui se passe dans notre pays, on ne saurait donc trop recommander la lecture croisée de l’essai de Fabrice Grimal Vers la révolution avec celui de Philippe Bornet Demain la dictature.
Michel Geoffroy
21/02/2018
[1] « Vers la révolution. Et si la France se soulevait à nouveau » FabriceGrimal ; éditions Jean-Cyrille Godefroy ;2018 ; 341 pages ; 24 euros
[2] « Demain la dictature » PhilippeBornet ; presses de la délivrance ; 2018 ; 248 pages ; 22 euros
[3] « Vers la révolution » op. cit. page 87
[4] « Vers la révolution » op. cit. page 166
[5] « Vers la révolution » op. cit. page 108
[6] Comme dirait Emmanuel Macron
[7] « Vers la révolution » op. cit. page 127
[8] Par exemple il ne dit mot de la dissidence de droite et des mouvements identitaires qui s’inscrivent pourtant dans le même contexte et d’une façon générale il évacue les questions liées à l’immigration
[9] « Vers la révolution » op. cit. page 138
[10] « Vers la révolution » op. cit. page 273
[11] « Demain la dictature » op.cit. page 128
[12] Phrase figurant sur la quatrième de couverture
[13] « Demain la dictature » op.cit. page 114
[14] « Demain la dictature » op.cit. page 217
[15] « Demain la dictature » op.cit. page 219
Source : Correspondance Polémia
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