Par André Murawski, conseiller régional (ex-FN/RN) des Hauts-de-France ♦ Le 6 novembre 2018, France Info a diffusé une nouvelle selon laquelle un groupe « d’ultradroite » aurait projeté un attentat contre le Président de la République, Emmanuel Macron. Bientôt reprise par de nombreux organes de presse, cette information a été reproduite, souvent telle quelle, pendant plusieurs jours, avant de connaître une fin très discrète et pour cause : tout cela « était un coup monté ».
Un coup monté qu’un simple examen critique permettait pourtant de déceler d’emblée tant l’information était invraisemblable. Ainsi, Jean-Jacques Fifre titrait-il dès le 7 novembre dans Riposte laïque : « Menaces d’attentat contre Macron ou mensonge d’Etat ? » tandis que le 11 novembre, Boulevard Voltaire se posait « quelques questions ». Finalement, C’est Le Canard Enchaîné qui a dévoilé le pot aux roses dans un article publié le 14 novembre sous le titre humoristique : « Un projet d’attentat bien emballé ».
On constate donc que la plupart des médias ont largement relaté la nouvelle non vérifiée d’un projet hypothétique d’attentat contre le Président de la République en dépit du doute raisonnable qui aurait dû prévaloir dans ces circonstances. Cela a provoqué sur les réseaux sociaux les réactions de certains internautes qui n’hésitaient pas à parler de désinformation. Alors, y a t-il eu tentative de manipulation de l’opinion ? Pour le savoir, les lecteurs devraient s’interroger sur ce qu’est vraiment cette « ultradroite » ; puis considérer la faisabilité du projet décrit par les services de l’État et relaté par les médias ; enfin, se poser la question du « Pourquoi ? » de cette manœuvre visant à influencer l’opinion.
L’effrayante ultradroite
Hannibal ad portas. C’est de cette expression passée à la postérité que les mères romaines usaient pour effrayer leurs enfants lorsqu’ils se montraient trop turbulents. L’ultradroite est-elle appelée à devenir le nouvel Hannibal de notre société, et la seule évocation du nom d’ultradroite doit-elle à l’avenir éteindre toute réflexion, effacer tout sens critique, interdire tout examen raisonnable ?
L’expression ultradroite, parfois aussi rédigée avec un trait d’union (ultra-droite), est relativement récente. Elle tire peut-être son origine de l’histoire de France et, plus précisément, de la Restauration qui vit l’apparition des ultra-royalistes, encore appelés Ultras, et dont on disait qu’ils étaient plus royalistes que le roi. Larousse définit le nom d’ultra comme « une personne exaltée, qui pousse à l’excès ses opinions, ses goûts. » Dans le vocabulaire courant, le terme ultradroite a été utilisé par différents politologues pour désigner des individus dont les convictions les portent « à droite de l’extrême droite. »
L’histoire de l’ultradroite est assez récente puisque le mouvement serait apparu en réaction à la politique de dédiabolisation du Front national voulue par Marine Le Pen au début des années 2010. Ne se retrouvant plus dans ce parti politique ni dans aucun autre, les « partisans » de l’ultradroite seraient à présent dispersés en dehors de toute structure organisée dans une nébuleuse de groupuscules sans influence. Un profil-type a été réalisé. Le « partisan » d’ultradroite serait jeune, de sexe masculin, pas ou peu éduqué, issu d’un milieu familial décomposé, en rupture avec la société et sans perspectives d’avenir sur le plan professionnel. Il serait également pas ou peu violent et surtout attaché à un discours exutoire ne conduisant donc pas au passage à l’acte.
Sur le plan politique, le « partisan » d’ultradroite serait favorable aux idées de Nation européenne, de chrétienté, et hostile au mariage pour tous, à l’immigration ou encore à l’islam. Les « partisans » de l’ultradroite seraient entre 2 000 et 3 000 selon le politologue Jean-Yves Camus, et entre 5 000 et 10 000 selon Anaïs Voy-Gillis, doctorante en géopolitique et membre de l’Observatoire Européen des Extrêmes. Soit entre 0,003 % et 0,015 % de la population française.
Un projet croquignolesque
L’examen objectif des informations relatées par les médias apprenait aux Français qu’un attentat ou, plus précisément, un projet d’attentat aurait visé le Président de la République lors d’un déplacement que celui-ci devait accomplir à Charleville-Mézières le 7 novembre. Les titres, à cet égard, ne laissaient planer aucun doute : « Attentat contre Macron déjoué : ce que l’on sait, l’utradroite évoquée » (L’Internaute, 6 novembre 2018) ; « Six personnes liées à l’ultradroite arrêtées pour un projet d’attentat contre Macron » (L’Obs, 6 novembre 2018) ; « Six personnes liées à l’ultradroite arrêtées pour un projet d’attentat contre Macron » (Les Inrrockuptibles, 7 novembre 2018) ; « Projet d’attaque contre Macron : les suspects voulaient poignarder le président » (Le Point, 10 novembre 2018). On note que certains médias utilisent mot pour mot le même titre. De son côté, le service de communication de l’Elysée évoquait des « militants » de l’ultradroite.
Les informations divulguées évoquaient un groupe de 6 personnes, 5 hommes et 1 femme, âgées de 22 à 62 ans, demeurant dans les départements de l’Isère, de la Moselle et de l’Ille-et-Vilaine et repérées grâce à des interceptions téléphoniques. Des interceptions qui amènent à s’interroger puisque le principal instigateur du pseudo projet d’attentat, Jean-Pierre B., n’aurait été mis sous surveillance que le 31 octobre.
Un instigateur dont le profil ne correspond d’ailleurs pas vraiment à celui du « partisan » d’ultradroite décrit par les politologues. Âgé de 62 ans, Jean-Pierre B. n’est plus tout jeune. S’il est de sexe masculin, la question de son éducation et de son avenir professionnel ne se pose pas puisqu’il est négociant en bois à la retraite. Nul ne sait vraiment si ses opinions le portent à idéaliser la Nation européenne ou la chrétienté, mais il administre sur Facebook une page intitulée selon les versions « les Barjols » ou encore « les Barjols 38 ». Un nom pour le moins peu sérieux. Aussi peu sérieux que le prétendu projet d’attentat que Jean-Pierre B. aurait évoqué sur Facebook sans discrétion aucune dans un message assez loufoque : « Je vous laisse une semaine pour m’envoyer un message en mp (messagerie privée) à la suite de cela, je procéderai au nettoyage de cette page ». Un appel aux volontaires qui prête à rire. Surtout, un précédent message du 11 juillet contredit le projet d’un attentat dans l’esprit de Jean-Pierre B. : « Pourquoi vouloir verser le sang alors que nous sommes capables de changer notre pays uniquement par solidarité ? » Voilà les éléments factuels qui auraient conduit les enquêteurs de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) à interpeller le groupe afin de vérifier « le degré de préparation de l’attaque ».
Dans la voiture de Jean-Pierre B., les enquêteurs ont trouvé un couteau avec une lame en céramique. Jean-Pierre B. aurait projeté de poignarder Emmanuel Macron avec ce couteau peut-être indétectable aux portiques de sécurité, mais surtout inapproprié car les lames en céramique ne permettent que de trancher et non de percer. D’après BFMTV, un calibre 44 et des amorces de grenades ont été trouvés chez lui.
Toujours selon les médias, les protagonistes seraient passés aux aveux. Cependant, 2 d’entre eux ont été mis hors de cause après 3 jours. En particulier, la femme, âgée de 61 ans, a affirmé lors de sa garde à vue de 80 heures qu’elle n’était pas au courant du projet et même qu’elle n’était pas d’ultradroite. Finalement, 4 sympathisants de l’ultradroite interpellés mardi ont été présentés à un juge antiterroriste samedi et mis en examen pour association de malfaiteurs et détention non autorisée d’armes en relation avec une entreprise terroriste. Placés en détention provisoire après avoir reconnu qu’ils étaient sur le point de passer à l’action, les 4 hommes se seraient revendiqués « survivalistes ».
On peine à se convaincre du sérieux de cette affaire, au point que le nouveau secrétaire d’État à l’Intérieur, Laurent Nunez, a fort prudemment déclaré le 11 novembre : « Il faut rester prudent, car l’enquête est en cours, mais il semble que le président de la république était pour eux une cible potentielle, même si le projet n’était pas abouti ». Comme l’écrivait Le Canard enchaîné le 14 novembre : « On a connu plus convaincu », même si le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a parlé de « menaces concrètes qui nous ont inquiétés ».
Est l’instrument d’un coup monté ?
Un nouveau directeur de la DGSI a pris ses fonctions le 5 novembre 2018. Il y a 10 ans, l’histoire de Tarnac, montée à la hâte au moment de la création de la DCRI (ancienne appellation de la DGSI), avait saturé les médias sur le thème du « terrorisme d’ultragauche » avant de finir en eau de boudin. Les services ont-ils voulu « offrir » une affaire à leur nouveau directeur en guise de cadeau de bienvenue sur fond d’attentat de l’ultradroite contre Emmanuel Macron ? Pourtant, dans une note récente, la DGSI estimait que les capacités opérationnelles de l’ultradroite étaient limitées.
Les médias ont aussi mentionné l’affaire du groupuscule Action des forces opérationnelles (AFO) qui, il y a un an, aurait projeté des attentats contre Christophe Castaner, Jean-Luc Mélenchon ou encore contre des mosquées. Le montage en épingle d’un projet imaginaire d’attentat contre Emmanuel Macron aurait-il pu raviver la sympathie des Français à l’égard d’un président tout particulièrement impopulaire ?
Quoi qu’il en soit, les sites de réinformation ont presque immédiatement douté de la véracité des informations diffusées par les médias « politiquement corrects », et Wikistrike parlait le 14 novembre de « gros mensonge » et de « fake new ». Mais ce qui interpelle dans cette affaire qui pourrait être risible considérée sur le plan de la vraisemblance, c’est qu’elle met en évidence de graves dysfonctionnements de notre démocratie : dysfonctionnement médiatique, dysfonctionnement judicaire et dysfonctionnement institutionnel.
Dysfonctionnement médiatique car la grande majorité des médias ont diffusé une information qui visiblement aurait dû appeler des questionnements et des doutes. Tout s’est passé comme si une information lancée par un média avait été reprise sans discernement par la plupart des autres ce qui pose la question de l’indépendance, mais aussi de l’éthique de la profession de journaliste. Notre société devra un jour ouvrir le débat sur ces questions essentielles dans les démocraties. Il est à ce sujet révélateur qu’il n’existe toujours pas de code de déontologie des journalistes en France en 2018.
Dysfonctionnement judiciaire ensuite car il est invraisemblable d’une part que des services de l’État aient pu déclencher une opération lourde face à des individus dont certains n’avaient rien à voir avec cette affaire, et dont les autres semblent surtout être des esprits désorientés. Ce qui amène à considérer qu’il est invraisemblable d’autre part que cette opération a « fuité » en direction des organes de presse alors que rien de justifiait une exposition médiatique vu le contexte.
Dysfonctionnement institutionnel enfin car on comprend mal comment le ministre de l’Intérieur et le secrétaire d’État à l’Intérieur ont pu intervenir personnellement dans ce qui apparaît d’abord comme un « projet » peu sérieux venant d’apprentis terroristes que certains ont comparé aux Pieds Nickelés, mais aussi comme un montage peu sérieux émanant de la DGSI. A un moment où les premières actions des Gilets jaunes étaient connues devoir débuter 11 jours plus tard, peut-être les ministres chargés de l’ordre public auraient-ils pu diriger leurs efforts vers des événements à venir autrement plus préoccupants ?
Quoi qu’il en soit, on a le sentiment que dans cette pitoyable affaire que le véritable objectif était de manipuler l’opinion des uns ou des autres, suivant une technique classique de désinformation.
André Murawski
05/12/2018
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Remi Jouan [CC BY 4.0], via Wikimedia Commons