Général (2S) Dominique Delawarde – Ancien chef «Situation-Renseignement-Guerre électronique» à l’État-major interarmées de planification opérationnelle
♦ Une semaine après sa frappe spectaculaire et illégale en Syrie, Trump continue sa démonstration de force en Afghanistan en utilisant pour la première fois la bombe «non nucléaire» la plus puissante de son arsenal surnommée MOAB (Mother of all bombs).
Par cette nouvelle initiative, il offre à chacun l’occasion de se poser quelques questions sur les frappes US en général, sur celle-ci en particulier, et d’en tirer des conclusions.
I – Cadre général
L’analyse des sources officielles US énumérées dans l’article suivant et facilement consultables :
http://blogs.cfr.org/zenko/2017/01/05/bombs-dropped-in-2016/
ou http://www.afcent.af.mil/Portals/82/December%20Airpower%20Summary.pdf?ver=2017-01-04-094321-250
fait apparaître que, en stricte application du droit du plus fort, sans accord de l’ONU et le plus souvent sans accord de l’Etat concerné, les forces aériennes US auront bombardé 7 pays en 2016 et délivré un total de 26.172 bombes (au minimum).
U.S. Bombs Dropped in 2016 (All weapons Platforms)
Syria 12.192
Irak 12.095
Afghanistan 1.337
Libya 496
Yemen 35
Somalia 14
Pakistan 3
Total 26.172
(Council on Foreign Relations)
Ce total impressionnant est en augmentation de plus de 3.000 bombes (12%) par rapport à 2015. A noter que l’US Air Force a effectué 67% des frappes de la coalition occidentale en Irak, avec l’accord du gouvernement et 96% des frappes de la coalition en Syrie sans accord du gouvernement légal. Cet écart de pourcentage semble montrer une réticence d’une majorité des pays de la coalition à intervenir en Syrie, sans feu vert de l’ONU et sans l’accord du gouvernement légal.
II- La frappe en Afghanistan
Le jeudi 13 avril à 19h32, heure locale, 17h02 heure française, l’US Air Force a largué, d’un C130, le premier des 15 à 20 exemplaires en service de sa «Méga bombe non nucléaire à effet de souffle» (GBU-43/B Massive Ordnance Air Blast Bomb: MOAB) sur un réseau de tunnels fortifiés qui servirait de base à Daesh. La frappe s’est faite avec accord du président afghan Ashraf Ghani.
Testée avant mise en service en 2003, cette bombe est la plus puissante bombe non nucléaire de l’arsenal militaire US. Pour cette raison elle est surnommée Mother of all bombs (MOAB). D’un poids de 10,3 tonnes, elle développe un pouvoir explosif équivalent 11 tonnes de TNT et coûte 16 millions de dollars l’unité (soit le prix de 16 à 25 missiles Tomahawks selon le modèle de ces derniers). Son rayon d’efficacité totale n’est que de 150 mètres.
Pour l’anecdote, selon le New York Times, le réseau de tunnels visé aurait été financé, dans les années 1980, pour quelques dizaines de millions de dollars, par la CIA pour soutenir les moudjahidines dans leur lutte contre l’ex-URSS (gaspillage évident d’argent public… le contribuable US paie la construction, puis la destruction…).
Pour l’anecdote encore, la fameuse MOAB est largement dépassée en puissance et en efficacité par l’ «Aviation Thermobaric Bomb of Increased Power». Cette bombe non nucléaire russe, testée en 2007 avant mise en service, a été, par dérision pour la MOAB, surnommée FOAB (Father of all bombs). Elle est 30% plus légère que la MOAB (7,1 tonnes) mais développe une puissance explosive équivalant à 44 tonnes de TNT (4 fois supérieure à celle de la MOAB US). Son rayon d’efficacité totale est de 300 mètres (2 fois celui de la MOAB).
S’agissant de l’efficacité de la frappe, deux versions s’affrontent dont aucune ne peut être considérée comme plus valable que l’autre : le communiqué «US-Gouvernement afghan» évoque aujourd’hui 96 combattants de Daesh tués ; le communiqué de Daesh indique que cette frappe n’a fait aucune victime. On est entré dans la guerre de l’information et des communiqués (relire: La Guerre de l’information : https://www.polemia.com/la-guerre-de-linformation/ )
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En conclusion, harcelé quotidiennement par les médias et les néocons depuis son entrée en fonction, Trump semble se lancer dans une rhétorique guerrière pour trois raisons :
1 – désarmer les néocons et donner du grain à moudre aux médias pour qu’ «ils le lâchent un peu». Cette technique a été utilisée avec succès par Bill Clinton le 16 décembre 1998 à la veille de l’examen de sa destitution par la Chambre des représentants pour ses mensonges dans l’affaire Lewinski. Il a déclenché des frappes sur l’Irak (Opération Desert Fox). 415 missiles Tomahawks ont été tirés faisant de 600 à 2000 tués en 3 jours. L’attention des médias a été détournée de l’affaire Lewinski… qui a donc été oubliée. Bien sûr, les Irakiens en ont payé le prix… ;
2 – donner aux Américains lambda l’image d’un commandant en chef solide, déterminé, qui ne recule pas et tente de rebâtir un minimum de cohésion et d’unité dans la population US : rien de tel qu’une bonne guerre pour refaire l’unité d’un pays ;
3 – envoyer quelques messages subliminaux à ses adversaires potentiels (Syrie, Iran, Corée du Nord, Russie, Chine…) : «Les USA sont forts, très forts. Ils peuvent agir de manière unilatérale, brutale et imprévisible, sans feu vert de l’ONU. Leur commandant en chef n’hésitera pas…»
Ces frappes relèvent donc moins de la recherche d’une efficacité militaire que du «cinéma» et de la «communication». La simple mathématique montre que les 26.172 bombes larguées en 2016 par l’US Air force représentent, sans faire autant de bruit, l’équivalent de 3 MOAB par jour.
Dominique Delawarde
16 avril 2017
Correspondance Polémia – 18/04/2017
Image : La MOAB (Mother of all bombs)