Polémia prend ses quartiers d’été, tout en gardant un œil attentif sur l’actualité. En attendant la rentrée, en plus des articles inédits que nous continuons à publier, retour sur les articles les plus consultés et les plus appréciés depuis l’été dernier sur Polémia. Voici aujourd’hui un texte publié le 28 novembre dernier.
Par S. Quintinius ♦ Le gouvernement a récemment fait adopter le projet de loi de finances de l’État pour l’année 2023 en ayant recours à l’article 49-3 de la constitution. Un rapport sénatorial vient opportunément en présenter les principaux aspects relatifs à l’asile et à l’immigration. Il permet de constater que les dépenses en la matière vont continuer leur folle progression l’année prochaine. Pourquoi en serait-il autrement quand le gouvernement dirigé par Elisabeth Borne fait – comme ses prédécesseurs – si peu pour réguler les flux migratoires ?
Des lois de finances adoptées à la hussarde
A quelques semaines d’intervalle, le gouvernement a fait adopter le projet de loi de finances et celui du financement de la sécurité sociale pour l’année 2023 en ayant recours à l’article 49-3 de la constitution. Cette pratique a permis de couper court au débat démocratique de la représentation nationale. Deux sénateurs, l’un membre du parti LR, l’autre appartenant à l’union centriste, ont quelques jours après l’adoption à la hussarde du projet de loi de finances rendu public un avis sur ses dispositions en matière d’asile et d’immigration (1). Outre la présentation des principales lignes budgétaires de cette mission, leur rapport présente l’intérêt de donner des éléments sur le contexte migratoire que connait la France.
La mission « Immigration, asile et intégration » en forte augmentation
Les crédits pour la mission « Immigration, asile et intégration » vont s’élever en 2023 à 2,7 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à 2 milliards d’euros en crédits de paiement, soit une augmentation respective de 34 % et de 6 % par rapport aux montants alloués en 2022. Depuis qu’Emmanuel Macron est au pouvoir, les crédits de paiement de cette mission ont plus que doublé. En 2016, ils s’élevaient en effet à 1 milliard d’euros (2).
Le sénateur Sébastien Meurant soulignait récemment que la mission Immigration, asile et intégration ne représente qu’une infime partie des coûts liés à l’immigration, qu’il estime s’élever annuellement à 7,1 milliards d’euros (3). Des spécialistes de l’immigration ont, sans se limiter au budget de l’Etat et à cette mission, fait des estimations bien supérieures. Pour ne citer qu’un exemple, Jean-Paul Gourévitch avançait dans le cadre d’une étude réalisée en 2022 le chiffre de 40,3 milliards d’euros (4).
Toujours plus de demandes d’asile
Le rapport sénatorial rédigé par les deux sénateurs de l’opposition rendu public le 17 novembre souligne que près des deux tiers des crédits de la mission Immigration, asile et intégration sont fléchés sur la politique de l’asile, pour laquelle l’Etat consacrera – au bas mot – 1,27 milliard d’euros en 2023
Le nombre de demandes d’asile devrait selon le gouvernement atteindre 120 000 en fin d’année 2022 et 135 300 demandes en 2023, soit plus que le nombre record atteint en 2019 (132 826).
En ne se limitant pas aux seules demandes d’asile déposées à l’OFPRA, ce ne sont pourtant pas 132 826 demandes d’asile qui ont été déposées en France en 2019 mais 177 822 (5). Si l’on s’en tient aux projections du gouvernement, le nombre de demandes d’asile déposées en France en 2023 pourrait donc dans un périmètre plus large être largement supérieur à 135 300. Ces chiffres ainsi que la proportion des demandeurs d’asile déboutés donnent la mesure de l’ampleur de l’exercice de ce droit si souvent dévoyé.
Le recrutement récent par l’OFPRA de près de 200 agents aurait permis de faire diminuer le stock de dossiers « pendants ». Celui-ci s’élève à 40 000 actuellement alors qu’il était de 84 655 fin 2020. Autre effet de ce renfort en personnel : le délai de traitement moyen était de 148 jours au 30 septembre 2022, contre 261 jours fin 2021. Toujours plus d’agents traitent donc toujours plus de demandes d’asile plus rapidement. Cette célérité devait selon le gouvernement s’accompagner d’une reconduite plus systématique des déboutés de l’asile dans leurs pays d’origine. Nous verrons plus loin qu’il s’agissait encore d’une nouvelle promesse sans lendemain.
Les recours devant la cour nationale du droit d’asile contre les décisions de refus de l’asile sont toujours aussi nombreux : 68 243 en 2021, un nombre qui devrait être équivalent en 2022. En dépit de nombreux recrutements qui ont porté l’effectif des rapporteurs de la CNDA à 339, le délai moyen de jugement constaté – 188 jours – reste long, plus long que la cible qui est assignée à l’institution.
Le nombre de places dans les centres d’hébergement des demandeurs d’asile devrait continuer à augmenter en 2023. Alors qu’il était de 82 362 en 2017, il devrait atteindre 113 832 l’année prochaine. Les rapporteurs soulignent que la part des demandeurs d’asile hébergés dans ce parc « demeure modeste ». En effet, seules 58% des personnes qui occupent une place dans un centre d’hébergement de demandeurs d’asile ont effectivement ce statut. Des déboutés de l’asile et des individus ayant obtenu le statut de réfugié se maintiennent massivement dans ces structures, alors que ce n’est pas leur vocation.
Toujours plus d’immigration régulière
Le rapport sénatorial souligne qu’« après une relative accalmie en 2020 en raison de la crise sanitaire, l’activité de délivrance et de renouvellement des titres de séjour des services des étrangers en préfecture a retrouvé un niveau élevé ». De fait, le stock de titres valides accordés à des ressortissants de pays tiers à l’U.E. atteignait 3 569 298 fin 2021, un nombre qui serait en augmentation de 500 000 en 4 ans.
Les régularisations des clandestins (« l’admission exceptionnelle au séjour ») sont reparties à la hausse en 2021, avec 31 576 titres de séjour délivrés dans ce cadre contre 27 416 en 2020. On peut également mentionner les dizaines de milliers d’acquisitions de la nationalité françaises chaque année, qui transforment les détenteurs de titres de séjour en citoyens français.
La dématérialisation des démarches et le nombre important de recrutements de personnel en préfecture n’ont pas permis de réduire sensiblement les délais de traitement des demande de titres de séjour. Les procédures de référé au titre des « mesures utiles » engagées devant le juge administratif se multiplient afin que ce dernier enjoigne l’administration à délivrer un rendez-vous.
En matière d’intégration, le programme AGIR a vu le jour en 2022. Il s’agit d’un « guichet » unique pour l’accompagnement vers l’emploi et le logement des bénéficiaires de la protection internationale. 82 millions d’euros y sont consacrés en 2022 et 2023, avec un déploiement progressif dans les départements français. Chacun appréciera si cet argent public n’aurait pas pu être utilisé autrement, notamment pour lutter contre le chômage de longue durée, qui concernait 2,8 millions de personne en France fin 2021.
Une lutte contre l’immigration clandestine qui patine
Les crédits liés à la lutte contre l’immigration irrégulière vont augmenter en 2023 de 31,7 % en autorisations d’engagement et de 17,8 % en crédits de paiement. Ces chiffres ne doivent pas faire illusion : le budget dédié est totalement sous-dimensionné au regard de l’ampleur des flux d’immigration clandestine que subit la France, en métropole comme en outre-mer. Le sénateur S. Meurant soulignait récemment qu’en 2023, « les dépenses directement liées à l’éloignement des migrants en situation irrégulière représentent 1,65 % des autorisations d’engagement et 2,2 % des crédits de paiement de la mission » (6). Le gouvernement a clairement choisi ses priorités.
Le nombre de places en centres de rétention administrative devrait atteindre 1 961 en 2023, ce qui est très largement insuffisant compte tenu du stock d’étrangers en situation irrégulière présents en France, peu important que les délinquants soient fléchés par le ministre de l’intérieur comme étant prioritaires pour l’expulsion.
Le rapport sénatorial nous apprend également que le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) est resté dérisoire durant le premier semestre 2022 : 6,9 %. Leur nombre atteignait péniblement 4 474, malgré les coups de menton du ministre de l’intérieur.
Parmi les explications possibles, les rapporteurs pointent « les difficultés à identifier les personnes en situation irrégulière interpellées, à obtenir la délivrance de laissez-passer consulaires par les pays d’origine dans des délais utiles (53,7 % en 2021, en diminution de 13,4 % par rapport à 2019), la judiciarisation accrue du processus d’éloignement et la saturation du parc de rétention ».
Les restrictions de visas décidées en 2021 à l’égard des ressortissants du Maghreb commenceraient à porter leurs fruits, avec une augmentation du nombre d’éloignements de clandestins issus de pays d’Afrique du nord.
L’Aide Médicale d’État en forte hausse
Les crédits dédiés aux soins des étrangers en situation irrégulière via l’Aide Médicale d’État vont fortement augmenter en 2023, pour atteindre 1 212 300 000 euros (1,2 milliards), alors qu’ils s’élevaient en 2022 à 1 078 950 000 euros en 2022 (7). Dans un rapport rendu public le 26 mai 2021, la parlementaire Véronique Louwagie identifiait 11 dispositifs auxquels les clandestins peuvent recourir pour se soigner en France. Elle évaluait plus largement le coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière à plus d’1,5 milliard d’euros par an (8).
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Les grandes lignes de la future loi sur l’asile et l’immigration qui sera mise aux débat à l’assemblée nationale début 2023 et le plan d’action initié par la commission européenne pour faire face à l’immigration massive subie par les pays européens ont été dévoilés récemment. S’il faut attendre leur adoption définitive pour en connaitre le contenu exact, les mesures connues à ce stade sont très loin de répondre aux enjeux actuels, à savoir un déferlement migratoire d’une rare ampleur en Europe et en France en particulier.
A défaut d’un changement de majorité parlementaire et d’un strict contingentement des différentes formes d’immigration, les crédits alloués à l’asile et à l’immigration sont amenés à augmenter inexorablement, comme s’il s’agissait d’un puits sans fond. Cela n’est visiblement pas un problème pour le pouvoir macronien. Il perçoit d’ailleurs fort probablement cette folle envolée de l’immigration et des budgets dédiés comme une opportunité, à rebours de l’opinion majoritaire des Français. Quoi qu’il en coûte.
S. Quintinius
10/08/2023 – Initialement publié le 28/11/2022
(1) https://www.senat.fr/rap/a22-121-2/a22-121-2.html
(2) https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2021-04/NEB-2020-Immigration.pdf
(3) https://www.publicsenat.fr/article/politique/immigration-en-commission-le-senat-rejette-le-budget-225137
(4) https://www.touscontribuables.org/les-combats-de-contribuables-associes/les-depenses-publiques/notre-nouvelle-etude-le-cout-annuel-de-l-immigration
(5) https://www.lacimade.org/asile-bilan-de-lasile-en-france-et-en-europe2019/
(6) https://www.publicsenat.fr/article/politique/immigration-en-commission-le-senat-rejette-le-budget-225137
(7) https://www.budget.gouv.fr/documentation/documents-budgetaires/exercice-2023/projet-de-loi-de-finances/budget-general/sante
(8) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b4195-a38_rapport-fond#_Toc256000001