Par André Posokhow, consultant spécialiste de l’immigration ♦ Après deux articles de qualité sur les naturalisations et les expulsions de clandestins, André Posokhow évoque la thématique des demandes d’asile.
Polémia
Constats [1]
Selon « L’essentiel de l’immigration – Chiffres clefs » de janvier 2022 du ministère de l’Intérieur.
1/ Après l’impact de la crise sanitaire de la Covid-19 l’année dernière, on constate une nette remontée au cours de l’exercice 2021 du nombre de demandes d’asile et des décisions d’attribution de l’asile.
105 000 premières demandes ont été formulées en GUDA[2] dont 24 000 procédures Dublin, contre 82 000 en 2020 et 138 000 en 2019.
On dénombre également 17 000 réexamens et nouvelles demandes Dublin, c’est-à-dire nettement plus qu’en 2020 et 2019
Il faut y rajouter 13 000 demandes, notamment à la suite de la requalification de procédures initialement identifiées comme relevant d’autres États membres de l’Union européenne au type du règlement Dublin n’ayant pas donné lieu à un transfert, ou encore dans le cadre du programme de réinstallation de réfugiés conduits en lien avec le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies.
Au total, le nombre de demandes de 2021 :135 000, a nettement augmenté par rapport à l’année 2020 : 115 000, mais demeure inférieur à celui de 2019 : 178 000.
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2/ 103 000 demandes d’asile ont été présentées à l’OFPRA en 2021 soit une légère augmentation par rapport à 2020.
L’OFPRA a pris 140 000 décisions soit nettement plus qu’en 2019. Le ministère de l’Intérieur attribue ce bond aux renforts humains alloués à l’Office qui a permis un important déstockage des dossiers déposés les années antérieures. Merci aux contribuables.
Il en va de même de la CNDA (Cour nationale du droit d’asile) qui a pris 68 000 décisions soit beaucoup plus qu’en 2020, dont 15 000 annulations c’est-à-dire des accords de protection en seconde instance.
Le total des attributions de l’asile en 2021 s’est élevé à 54 000 soit 60 % de plus qu’en 2020 et 50 % de plus qu’en 2019.
Observations
1/ Notons les difficultés de compréhension des données chiffrées de l’asile du fait de différentes sources et de différents champs. Selon le document du ministère de l’Intérieur, les données du système d’information sur l’asile (SCI asile) ne couvrent pas le même champ que celle de l’OFPRA :
- les demandes sous procédure Dublin sont enregistrées en GUDA mais ne relèvent pas de l’OFPRA ;
- lorsque ces demandes n’ont pas fait l’objet d’un transfert dans les délais réglementaires, elles sont requalifiées en procédure normale ou accélérée et instruites par l’OFPRA ;
- l’OFPRA et la CNDA instruisent les demandes en rétention et les dossiers de réinstallation qui ne sont pas de la compétence des GUDA.
Que le lecteur n’essaye pas de comprendre mais tout simplement qu’il perçoive la complexité et l’opacité du système dues aux nombreux cas particuliers relevant notamment de Dublin.
2/ Comme indiqué ci-dessus, le nombre de demandes a dépassé celui de 2020 mais demeure tout de même inférieur à celui de 2019.
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3/ Il faut souligner la catégorie des nouvelles demandes (normales, accélérées ou Dublin) d’un même demandeur d’asile. Il peut s’agir :
- d’un réexamen, c’est-à-dire d’une demande déposée après qu’une décision définitive a déjà été prise dans un dossier ;
- d’une réouverture de dossier après une décision de clôture ;
- d’une nouvelle procédure Dublin enregistrée en France après un transfert réalisé vers l’État membre responsable de la première demande d’asile.
Ainsi un demandeur d’asile peut se voir offrir, en cas d’échec d’une première tentative, de multiples possibilités de représenter sa candidature alors même que son premier dossier est clos ou a fait l’objet d’une décision définitive de refus. La vie est belle !
4/ La catégorie des « autres », dont le nombre en 2021 est de 12 931 individus, correspond à des demandeurs d’asile initialement placés sous procédure Dublin et qui auraient dû être transférés aux États européens de première entrée responsables et qui sont « requalifiés » c’est-à-dire qu’ils passent sous la responsabilité de la France et peuvent solliciter à nouveau une protection auprès de notre pays. Cette situation scandaleuse présentée en langue de bois dans le document du ministère est remarquablement bien expliquée dans un document du Forum réfugiés qui contient des explications néfastes pour la tension artérielle, dont nous conseillons la lecture[3].
5/ En 2021, le total d’attribution de l’asile s’élève à 54 094 contre 36 275 en 2019, soit une augmentation de près de 50 %. Il est vrai qu’il y a eu rattrapage au cours de cette année. Cela fait quand même l’équivalent de la population d’une ville comme Brive qui peut s’installer en France au titre du seul asile.
6/ Il faut maintenant aborder la question importante et trop souvent passée sous silence des mineurs accompagnants. D’après les tableaux (voir ci-dessous) du ministère, ceux-ci – environ 26 000 – représentent 25 % des premières demandes formulées en GUDA.
Il est curieux de noter qu’il n’est pas fait mention de ces mineurs pour les catégories de réexamens et autres dont le total est quand même de 30 000 individus. Or ces derniers sont probablement accompagnés de mineurs. Il est possible d’évaluer ceux-ci à environ 7 000 à hauteur d’un ratio de 25 %.
Concernant l’attribution de l’asile, « L’essentiel de l’immigration » explique pour la première fois en 2021 que l’OFPRA donne les accords concernant les mineurs accompagnants les majeurs qui ont fait l’objet d’une décision favorable par la CNDA, soit 3 346 charmants bambins.
Mais quid des mineurs accompagnant les personnes à qui l’OFPRA a accordé l’asile en 2021 soit 35 636 ? Pas de mention. Si ce dernier chiffre ne concerne que les majeurs, il faudrait tenir compte des mineurs : 35 636 x 25 % = 9 000 gamins avides de s’imprégner de la culture française, et les rajouter au total des attributions de l’asile pour atteindre le chiffre de 63 000 et non plus de 54 094.
7/ Enfin le document du ministère indique les dix premiers pays pour les premières demandes d’asile. En tête, gloire aux vaincus, 16 000 personnes au titre de l’Afghanistan. Le seul pays européen est l’Albanie qui passe de 2 000 en 2020 à 5 000 en 2021. Il faut quand même noter que dans le dossier annuel 2019 de l’OFPRA l’Azerbaïdjan et l’Arménie sont classés comme des pays européens. Et, cerise sur le gâteau, la Turquie également.
Tableaux
Tableau n° 1 – Les demandes de protection
Libellés | 2019 | 2020 | 2021 |
Premières demandes GUDA | 138 420 | 81 531 | 104 577 |
Réexamens GUDA | 12 863 | 11 733 | 16 977 |
Autres | 26 539 | 22 233 | 12 931 |
TOTAL | 177 822 | 115 497 | 134 485 |
Tableau n° 2 – Attribution de l’asile
Libellés | 2019 (juin 2021) | 2019 (janvier 2022) | 2020 (janvier 2022) | 2021 (janvier 2022) |
Demande d’asile OFPRA | 132 826 | 132 826 | 96 424 | 103 011 |
Attribution asile OFPRA | 22 295 | 32 144 | 20 866 | 35 636 |
Recours reçu par la CNDA | 59 091 | 59 091 | 46 043 | 68 243 |
Décisions CNDA favorables | 13 980 | 13 980 | 10 254 | 15 112 |
Accord OFPRA mineurs | ? | ? | 2 081 | 3 346 |
Total attribution de l’asile | 36 275 | ? | 33 201 | 54 094 |
Les données de 2019 sont incohérentes entre le document du ministère de l’Intérieur de juin 2021 et celui de janvier 2022.
André Posokhow
01/02/2022
[1] Les chiffres ont été arrondis pour être plus lisibles.
[2] Guichets uniques pour demandeurs d’asile.
[3] « Règlement Dublin : quel accès à l’asile pour les procédures “éteintes” ? » Forum réfugiés, 6 mai 2021.
- Demandes d’asile. Des données inquiétantes pour 2021 - 1 février 2022
- Expulsions de clandestins en baisse : Covid et manque de fermeté politique - 26 janvier 2022
- Naturalisations : la machine à fabriquer des Français administratifs tourne à plein régime ! - 22 janvier 2022