Le 11 mai a eu lieu à Paris, à l’initiative d’Yves-Marie Laulan, président du Cercle des libertés républicaines, et de Me Frédéric Pichon, animateur du Cercle des avocats libres, un « Colloque pour la liberté d’expression ». Résultat : intervenants de grande notoriété, public nombreux, débats vifs… dans le plus complet silence des médias politiquement corrects. Polémia fait le point.
À la tribune, outre les organisateurs, le député UMP Christian Vanneste, l’avocat Jacques Trémolet de Villers, l’avocat général Philippe Bilger, auteur récent d’un curieux ouvrage contre la magistrature, La Mort programmée de Robert Brasillach (éd. Stock), et le journaliste Robert Ménard, auteur quant à lui d’une virulente brochure, Vive Le Pen ! (éd. Mordicus). Annoncé et très attendu mais absent, Me Gilbert Collard, appelé en province par un procès d’assise. Autre absence remarquée, celle du député UMP du Gard Jean-Marc Roubaud, qui avait déclaré lors de la conférence de presse préalable que le révisionniste Robert Faurisson devait « pouvoir s’exprimer librement ».
Le débat resta cependant fort sage, plusieurs des intervenants prenant soin de se référer à Robert Badinter chaque fois que l’on glissait de la loi Pleven contre le « racisme » (1er juillet 1972) à la loi Gayssot qui a repris les dispositions de la précédente législation mais qui innovait en instituant dans son article 9 le délit de « contestation de crime contre l’humanité », c’est-à-dire de révisionnisme historique.
Dans l’hystérie de Carpentras, « l’abjecte loi Gayssot »
On s’en souvient sans doute, cette loi du 13 juillet 1990 – qui à l’évidence intéressait beaucoup le public du colloque – émanait de la proposition de loi, jusque-là enterrée, d’un député communiste au passé très stalinien, Jean-Claude Gayssot. Mise en urgence à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale par Laurent Fabius siégeant alors au « perchoir » cependant que Michel Rocard était premier ministre, elle fut examinée puis votée toutes affaires cessantes par le Parlement dans l’hystérie suscitée par la profanation de Carpentras – immédiatement imputée par le ministre de l’Intérieur Pierre Joxe au Front national.
Ce texte de circonstance étant particulièrement mal fichu, comme l’avaient constaté à l’époque Madeleine Rebérioux, alors présidente de la Ligue des droits de l’homme, et de nombreux juristes, dont Me William Goldnadel (1), un recours devant le Conseil constitutionnel eût inéluctablement conduit à son annulation. Mais aucun parlementaire ne s’y risqua.
Plus de trente ans plus tard, certains se prennent à espérer l’abrogation de ces législations scélérates (« l’abjecte loi Gayssot », s’était écrié Me Baudelot, avocat du Monde poursuivi pour négationnisme du génocide arménien). D’autant qu’elles ont été encore aggravées, par les lois Lellouche de 2003 et 2004 punissant les « infractions à caractère raciste, antisémite et xénophobe », de peines pouvant aller jusqu’à trois mois de prison ferme et 45.000 euros d’amende.
« Restreindre la capacité de nuisance des associations subventionnées » (Christian Vanneste)
Lui-même condamné en première instance et en appel – avant d’être blanchi en cassation – pour homophobie à la demande d’associations bénéficiant de subventions publiques, M. Vanneste révéla qu’avaient été déposées des propositions de loi visant à restreindre la capacité de nuisance de ces organisations dites abusivement représentatives alors qu’elles ne comptent souvent que quelques dizaines d’adhérents.
En revanche, hors de question pour lui de « toucher à la loi Gayssot », Robert Badinter lui ayant affirmé qu’il ne s’agissait pas d’une loi mémorielle comme la loi Taubira sur l’esclavage mais de la transcription dans notre droit des jugements du Tribunal de Nuremberg.
« Un tribunal créé à l’instigation du maréchal Staline » (Me Trémolet de Villers)
À quoi Me Trémolet de Villers répliqua qu’il « serait peut-être temps pour les juristes de s’interroger sur la validité et la légitimité de ce tribunal créé à l’instigation notamment du maréchal Staline ».
Plus direct encore, Robert Ménard affirma que la loi Gayssot ne serait jamais abolie : « Pas un homme politique ne s’y risquera, ni à droite ni à gauche. Tous les élus ont la trouille, car ils savent qu’on le leur ferait payer très cher. » Et d’ajouter : « À Reporters sans frontières, nous avons toujours attaqué la loi Gayssot, mais nous n’avons jamais osé défendre ses victimes. On a eu peur ». Quel aveu dans notre République des Immortels Principes !
« L’accablante bien-pensance de la jeune classe journalistique » (Robert Ménard)
Ce terrorisme intellectuel n’est pas, selon Robert Ménard – qui, depuis qu’il a abandonné la présidence de RSF, a notamment défendu Dieudonné et signé la pétition Blanrue pour l’abrogation de la loi Gayssot et la libération de Vincent Reynouard condamné à un an de prison pour révisionnisme (2) –, la seule cause de la chape de plomb pesant sur la France. S’y ajoute l’accablante bien-pensance de la jeune classe journalistique, « brillante, mieux formée que nous ne l’étions, mais, qu’elle soit de droite ou de gauche, désespérément conformiste et ne comprenant même pas qu’on puisse remettre en cause certains dogmes » : la Shoah, bien sûr, mais aussi la « chance pour la France » que serait l’immigration.
Ainsi s’élabore, pour Frédéric Pichon, « une nouvelle morale masquée sous la figure sympathique de l’antiracisme » et protégée par « l’omerta judiciaire » et surtout la propension de plus en plus flagrante des magistrats à statuer à partir de critères non plus juridiques mais moraux. Une tendance flétrie dès 2002 par Me Éric Delcroix dans son livre Le Théâtre de Satan, sous-titré Décadence du droit – Partialité des juges (2).
« Payer son droit de péage sur les autoroutes de la pensée » (Philippe Bilger)
Ce qu’a reconnu Philippe Bilger, déplorant que la loi de 1881 garantissant la liberté de la presse « ne soit pas toujours appliquée dans l’esprit qui est le sien », et qui autorise « tout citoyen à opposer une riposte vigoureuse à l’idée énoncée » car, et cela s’adresse aux associations, « l’affrontement démocratique vaut mille fois mieux que le retour au judiciaire ». Et l’avocat général de déplorer qu’avant d’aborder les sujets qui fâchent, il faille maintenant « verser sa caution, payer son droit de péage sur les autoroutes de la pensée ».
« La France a perdu la liberté de parole (…) qui conditionne la liberté tout court » (Yves-Marie Laulan)
Regret partagé par Yves-Marie Laulan : « La France, de nos jours, a perdu la liberté de parole, qui conditionne la liberté d’opinion, laquelle commande la liberté tout court, celle qui caractérise une démocratie ; ce qui conduit à un régime de pensée totalitaire. » Incriminant lui aussi « les associations prétendument antiracistes, qui détournent à leurs fins propres les dispositions d’une loi conçue à l’origine en toute bonne foi (?) par le législateur », il dénonce « l’article 8 de la loi Pleven qui les autorise à engager à tout propos l’action publique, et aussi et surtout des dérives de la jurisprudence concernant l’interprétation à donner aux articles des lois Gayssot et Pleven, notamment en ce qui concerne les notions “d’incitation à la discrimination et à la haine raciale”, notions floues et vagues à souhait, qui peuvent donner lieu à toutes les interprétations, même les plus fantaisistes selon l’humeur du moment ».
« Ce ne sont pas les grands procès de Moscou mais déjà les petits procès de Paris » (Yves-Marie Laulan)
Le démographe accuse : « Nous sommes en plein dans le délit d’opinion et le déni de la liberté d’expression. Ce ne sont pas, pas encore, les grands procès de Moscou, mais ce sont, déjà, les petits procès de Paris. (…) Il faut se demander si nous n’assistons pas à une tentative digne de Gramsci de conquête délibérée du pouvoir culturel, et donc politique, sur le champ de bataille judiciaire et médiatique. Car on ne peut manquer d’être surpris que certaines de ces associations servent de tremplin à un envoi vers des engagements clairement politiques. Ainsi Patrick Gaubert, ancien président de la LICRA, se présente en tête de liste de l’UMP en Ile-de-France pour les élections européennes en 2004. Ainsi Harlem Désir, ancien président de SOS Racisme, est aujourd’hui secrétaire national du PS. Ainsi Julien Dray, également membre de SOS Racisme, décidément une étonnante pépinière de talents, est aujourd’hui député du PS. On voit bien que nous sommes loin de la lutte dure et pure contre le racisme. »
Un observatoire des libertés
Pour « briser ce mécanisme infernal », Yves-Marie Laulan préconise la création d’un « Observatoire des libertés chargé d’enregistrer toutes les atteintes à la liberté d’expression résultant de l’action des associations liberticides ». Fondé et, depuis, présidé par le trotskiste Maurice Rajsfus, un tel Observatoire existe depuis 1994. Mais qu’observe-t-il ? Les seules atteintes aux libertés publiques commises par… les policiers !
« La parole s’est libérée »
Faut-il pour autant désespérer ? Robert Ménard estime que depuis quelques années, sur l’immigration comme sur le révisionnisme, la parole s’est libérée, grâce essentiellement à Internet où les « déviants » trouvent un formidable écho. Jacques Trémolet de Villers y voit une autre cause : le style très personnel de l’actuel chef de l’Etat, qui par ses outrances verbales aurait cassé les codes ! Quelle que soit l’origine du phénomène, on souhaite ardemment qu’il se développe avant qu’une nouvelle législation liberticide n’y mette le holà.
Correspondance Polémia
19/05/2011
Notes
(1) Membre du comité directeur du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) depuis 2010, Me Goldnadel n’en fit pas moins condamner en vertu de la loi Gayssot le philosophe révisionniste Roger Garaudy, le dessinateur Siné pour propos antisémites et l’humoriste Dieudonné pour « incitation à la haine raciale et diffamation à l’égard des Juifs ». En revanche, il ne put obtenir la condamnation de l’éditeur Éric Hazan qui avait publié L’Industrie de l’Holocauste, de l’historien américain Norman G. Finkelstein.
(2) Éric Delcroix, Le Théâtre de Satan – Décadence du droit, partialité des juges, Éditions de L’Æncre, 2002, réédité en 2010, 376 p.