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De New York à Barcelone, un gang portoricain à l’heure de la mondialisation

De New York à Barcelone, un gang portoricain à l’heure de la mondialisation

par | 26 septembre 2023 | Société

De New York à Barcelone, un gang portoricain à l’heure de la mondialisation

Par Johan Hardoy ♦ Dans son ouvrage Au-delà du crime – Ethnographie d’un gang transnational (CNRS Éditions, 328 pages, 24 euros), l’anthropologue Martin Lamotte propose une étude très fouillée portant sur le groupe Los Ñetas, qui a essaimé à partir des prisons portoricaines vers les États-Unis, l’Amérique latine et l’Espagne. Ce livre traite avec brio des aspects culturels et sociologiques relatifs à la naissance et au développement d’une organisation politico-criminelle issue d’une population déracinée et paupérisée. C’est de sa dissémination transnationale et de son arrivée en Europe dont il sera question ici.

Une naissance dans les prisons portoricaines

Los Ñetas, appelé également La Asociación, a été fondé à Porto Rico par un prisonnier de droit commun, Carlos Ramon Torres Iriarte alias Carlos La Sombra.
Avant son assassinat en prison le 30 mars 1981, il s’était rapproché des détenus politiques pro-indépendantistes qui l’avaient formé idéologiquement.
Ce mouvement s’est en fait constitué après sa mort en adoptant ses principes politiques, ce qui vaut à l’intéressé d’être considéré comme son fondateur mythique.

Très vite, Los Ñetas est devenu le premier groupe organisé dans les prisons portoricaines.
Selon ses règles internes, un Ñetas doit impérativement être incarcéré dans l’île caribéenne (ce qui ne vaudra évidemment plus pour les ramifications étrangères).
En conséquence, le dirigeant international – appelé Lider máximo – perd à la fois son statut et son appartenance au groupe en cas de libération ou d’extradition aux États-Unis.

L’intégration parmi les Ñetas donne lieu à une véritable cérémonie d’initiation où le récipiendaire (qui peut être une femme) prête serment sur la Bible de son implication totale dans le mouvement, puis sur le juramento, un feuillet signé avec le sang provenant du pouce des personnes présentes. L’intéressé est également interrogé sur le contenu d’un livret confidentiel de 76 pages, le Guia Liderato máximo (Guide du chef suprême) ou Liderato, qui décrit la vie du fondateur, l’histoire de l’organisation, ses valeurs et ses règles internes.

Le 30 de chaque mois – en référence au jour de la mort de Carlos La Sombra – les capítulos (des chapitres hiérarchisés selon un mode électif) organisent des réunions très ritualisées qui donnent lieu à une soirée de communion. À cette occasion, il est interdit de danser et de consommer des produits stupéfiants ou de la drogue. Toute transgression est passible d’une punition corporelle très sévère et d’exclusion.

L’implantation à New York via les prisonniers hispaniques

En 1957, la comédie musicale West Side Story illustrait déjà la présence de gangs de rue portoricains à New York. Dans les années 1960 et 1970, la presse américaine s’intéressait beaucoup aux Savage Skulls, aux Savage Nomades ou aux Ghetto Brothers, qui comptaient de nombreux Latinos du fait de leurs implantations à Spanish Harlem et dans le South Bronx.

Los Ñetas apparaît au début des années 1990, au sein des détenus hispaniques de l’île-prison de Rikers Island. La dimension politique léguée par le fondateur est largement reléguée au second plan.
À la faveur des remises en liberté, le gang s’étend rapidement dans les rues des grandes villes de la côte est, tout en s’opposant très violemment à la pègre locale qui entend bien garder le contrôle des trafics de drogue et d’armes à feu.
En 1994, la Junta Central new-yorkaise dirige 2 000 membres répartis au sein de plusieurs dizaines de capítulos.

Le déclin survient pourtant rapidement du fait de graves dissensions internes et, surtout, des mesures répressives consécutives à la politique de « tolérance zéro » mise en œuvre par le maire Rudy Giuliani durant son mandat (1994-2001). Los Ñetas perd de son influence dans les quartiers pénitentiaires, d’autant que les effectifs des gangs afro-américains qui lui sont hostiles augmentent massivement.
En 2013, il ne reste plus que 100 à 150 Ñetas à New York. En réaction à cette chute des effectifs, les leaders entreprennent de renouer avec les principes fondateurs – plus politiques et culturels – en organisant des ateliers d’éducation et des pèlerinages sur les lieux où a vécu Carlos La Sombra.

Depuis lors, le groupe tente d’exister en participant à diverses activités caritatives dans le Bronx et à Brooklyn, que ce soit en réglant « à l’amiable » des litiges entre des locataires et des propriétaires jugés abusifs, en finançant des repas pour les sans-abris à l’occasion de la Thanksgiving ou en distribuant des jouets pour les enfants à Noël.
Les Ñetas s’investissent aussi, sans grand succès, dans un projet initié par la mère d’un détenu qui défend l’idée d’une « No-Cop Zone » (zone sans policiers) dans le South Bronx, où la population locale gérerait elle-même les conflits sans intervention de la police !

Leur mauvaise réputation persistante nuit cependant à leur popularité auprès des gens du cru et à l’amorce d’un partenariat avec les associations communautaires reconnues par la municipalité.

La diffusion en Amérique latine via des détenus libérés

Dès son apparition dans les prisons américaines, le gang est parvenu à élargir sa base de recrutement au-delà des seuls Portoricains. Initialement, ceux-ci étaient les seuls à pouvoir obtenir une position hiérarchique dans l’organisation.

Vers 1993, deux Équatoriens, expulsés des États-Unis vers leur pays d’origine après avoir purgé leurs peines, parviennent à structurer un groupe dans la ville portuaire de Guayaquil.
À partir de cette base continentale, Los Ñetas gagne des adeptes au Chili, au Pérou, en Bolivie, dans la République dominicaine ainsi que dans la population d’origine hispanique du Canada.

En 2007, La Asociación se voit accorder un statut légal par les autorités équatoriennes qui cherchent ainsi à faire baisser le nombre d’homicides résultant de la guerre des gangs.

L’arrivée en Espagne via l’immigration équatorienne

Dans les années 2000, les ressortissants équatoriens constituent la deuxième minorité nationale en Espagne après les Marocains. En puisant parmi ces résidents de fraîche date, très souvent économiquement et socialement marginalisés, Los Ñetas enrôle des jeunes recrues et s’implante à Madrid, Barcelone et Malaga.

Des conflits très violents les opposent à d’autres bandes sud-américaines, notamment dominicaines, ce qui amène les autorités madrilènes à les compter parmi les associations de malfaiteurs.

En 2006, la région catalane choisit de mettre en œuvre une politique de concertation en sollicitant la médiation d’un prêtre new-yorkais d’origine hispanique réputé pour son influence auprès des Latin Kings, rivaux des Ñetas. Ces tractations aboutissent à l’élaboration d’un « traité de paix » à l’issue duquel ces deux groupes acceptent de se transformer en une « association socioculturelle, sportive et musicale » légalement reconnue par le gouvernement catalan.

En 2013, les Ñetas barcelonais sont désormais largement plus nombreux, et plus jeunes en moyenne, que leurs homologues new-yorkais déclinants.

Une identité transnationale commune

Qu’ils soient Portoricains, Équatoriens (devenus largement majoritaires) ou ressortissants d’une autre contrée hispanophone, et malgré leur dissémination sur divers continents, les Ñetas considèrent qu’ils font partie d’un seul pueblo (peuple) centré autour d’un Porto Rico plus ou moins mythifié, même quand ils ne parlent qu’un espagnol approximatif parce qu’ils ont toujours vécu en Amérique du Nord.

Par ailleurs, ils partagent des attitudes propres à une sous-culture liée au genre musical hip-hop dans laquelle la plupart d’entre eux baignent dès le plus jeune âge.

***

Anticipant la réforme prochaine de la police judiciaire voulue par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, un officier de police judiciaire marseillais, qui appréhendait légitimement la probabilité de détournement des missions de ce service spécialisé, déclarait récemment : « Notre principale crainte, c’est un affaiblissement des missions de la PJ, celles qui consistent à protéger la France contre les mafias et les cartels. »

En effet, tout indique que, dans un proche avenir, les pays européens seront confrontés à l’implantation et la consolidation sur leur sol d’une pègre transnationale en provenance de tous les continents.
Ainsi, avec des moyens somme toute modestes par rapport à d’autres « mafias », les Ñetas ont d’ores et déjà réussi à s’installer en Espagne tout en gardant des liens avec leurs homologues américains qui évoluent dans des villes portuaires stratégiques pour les réseaux criminels.

Cette réforme de la police judiciaire tombe donc au plus mauvais moment pour notre pays, dans un environnement international loin d’être pacifié. Ce ministre de l’Intérieur est vraiment un visionnaire !

Johan Hardoy
26/09/2023

Johan Hardoy

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