Pour clore – mais non fermer – notre dossier consacré aux événements de Tunisie et d’Égypte, Polémia publie un article de Yves-Marie Laulan, économiste et sociologue dont nous connaissons bien les travaux, et observateur de la vie politique à ses moments perdus. Il met en garde nos « élites » contre les conséquences probables sinon prévisibles des « révolutions » et les conquêtes difficiles à contenir, semble-t-il, dont nous sommes aujourd’hui seulement témoins – pour combien de temps ? – dans le monde arabe.
De la Révolution de jasmin à la révolution islamique ? (Tunisie – 5e volet)
La gauche française, et les beaux esprits parisiens, se réjouissent bruyamment de la « Révolution de jasmin » en Tunisie. Ils ne se rendent pas compte, les malheureux, de ce qui risque de nous arriver.
L’ineptie de nos élites prétendument éclairées, incapables de voir au-delà de leurs lorgnons, ne laisse pas de surprendre.
1°) Les conséquences de ces événements ont toutes les chances de nous revenir, tôt ou tard, en pleine figure :
a) sous la forme d’une forte montée en puissance (le sacro-saint droit d’asile) de la demande de visas pour la France et des courants migratoires, gonflés par la peur d’une bonne partie de la population « éclairée » effrayée pour sa sécurité et son avenir. Car la « révolution » ne va pas créer d’emplois, bien au contraire ;
b) et cela d’autant plus qu’il serait bien surprenant que l’islamisme ne saisisse pas cette superbe occasion – elle est trop belle – de s’implanter dans un nouveau territoire du Maghreb.
À dire vrai, l’espoir caressé en Occident de voir les pays arabes, ébranlés aujourd’hui par la colère des foules, évoluer paisiblement vers une démocratie parlementaire où règneraient l’amour des libertés publiques et le respect des droits de l’homme relève, en toute probabilité, du rêve éveillé. Il faut être démocrate américain ou intello de gauche en France pour croire à ce genre de billevesée.
La plupart des pays arabes n’ont jamais connu que des régimes autoritaires appuyés sur un parti unique, l’armée et la police. Le système démocratique de l’Occident honni et méprisé n’est guère séduisant. Au demeurant, les deux seuls pays musulmans, Irak et Afghanistan, qui ont adopté – et pour combien de temps ? – un semblant de régime démocratique l’ont fait par la force des armes américaines, au terme d’une guerre civile féroce (non encore achevée).
Le communisme ayant disparu comme mythe mobilisateur, porteur de rêves de progrès, reste l’islamisme qui est le déversoir naturel de populations en désarroi et en quête de références. Car l’islamisme présente bien des attraits, avec la promesse de l’ordre dans la rue et d’un ordre social stable imposé par la force policière justifié par une pratique religieuse exigeante répondant aux attentes d’une population profondément attachée à l’Islam. C’est le modèle iranien. Avec, en prime, la haine inexpiable de l’ennemi naturel que sont les Etats-Unis, Israël, bref, l’Occident tout entier, craint, envié et détesté. Difficile de trouver mieux .
Ceci étant, il y a parfois des miracles. Mais ils sont rares.
2°) Dans ce contexte, la réserve du gouvernement Fillon (même si l’on n’éprouve pas une affection désordonnée pour le président Sarkozy) est, pour une fois, parfaitement justifiée.
Car enfin verrait-on la France, et ses diplomates, s’affairer à souffler sur le feu et attiser de leurs propos les désordres affectant un pays voisin avec lequel la France n’a aucune querelle et entretenait de bonnes relations ? N’aurait-on pas alors hurlé, et à juste titre, à une ingérence inadmissible de la part de l’ancien colonialiste ?
3°) On en dirait autant des troubles naissants en Égypte (et demain en Jordanie, au Yémen, en Algérie ou ailleurs).
Le gouvernement américain, Obama en tête, toujours à la pointe du progrès mais jamais en retard d’une bévue, a cru bon d’envoyer des encouragements à peine voilés à une opposition en plein essor (tout en prêchant « la retenue » au gouvernement Moubarak à la peine), ce qui ne peut faire le jeu que des Frères musulmans ou de toute autre formation islamiste.
En fait, on se retrouve très exactement, trente ans après, dans la répétition du scénario, hélas familier, de la chute du Shah d’Iran – proprement « plaqué » par l’Amérique de Carter en quête d’idéal démocratique – et de l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeiny, pieusement logé à Neauphle-le-Château par Valéry Giscard d’Estaing, toujours visionnaire. On sait ce que cela a donné par la suite.
Or, une Égypte islamique, c’est mettre le feu aux poudres au Moyen-Orient et plonger, non sans raison, Israël dans des transes fébriles. Le retour à l’antagonisme nassérien, enterré depuis près de quarante ans (la Guerre du Yom Kippour d’octobre 1973), ne serait qu’une question de temps. En outre, on peut tenir pour assuré que l’Égypte islamisé ferait tout pour acquérir l’arme nucléaire, tout comme l’Iran, et qu’elle y parviendrait tôt ou tard, tout comme l’Iran.
Dès lors Israël perdrait, sans coup férir, une des pièces maîtresses du maintien de sa sécurité, la possession unilatérale de l’arme nucléaire. Et la boîte de Pandore serait ouverte au Moyen-Orient.
4°) On notera, au passage, un élément singulier, totalement ignoré des analystes, dans le processus en cours qui voit la révolte contre l’autorité des pouvoirs en place se répandre en Égypte, et un peu partout dans le monde arabe.
Il s’est produit, voici deux ans, lors du fameux discours de Hussein Barak Obama au Caire le 4 juin 2009. Ce dernier chantait, avec le talent rhétorique qui fait son charme, l’avènement de temps nouveaux avec la réconciliation de l’Amérique avec l’Islam et le monde arabe. La presse occidentale, toujours en quête de concorde, d’idéal et de sentiments sublimes, se pâmait d’aise.
Mais il est permis de se demander si ces aimables propos, venant d’un président noir mais portant, au surplus, le prénom ensorcelant de Hussein (prénom, à vrai dire, assez peu courant en Amérique mais fort répandu en terres d’Islam), ne sont pas tombés dans les oreilles d’un sourd ou, plus précisément, de sourds.
Car qui sait si les foules assemblées au pied de la tribune, ou collées au poste de radio ailleurs dans le monde arabe, n’ont pas cru y voir l’expression d’une nouvelle complicité, ou du moins neutralité, de la part d’une Amérique enfin acquise à la cause du monde arabe dans le grand conflit qui l’oppose à Israël ? Les révolutions ont souvent des racines lointaines et inattendues.
Comme quoi les bons sentiments n’ont rien à faire en matière de diplomatie et de géopolitique et que les Démocrates sont bien la plaie de la politique étrangère des États-Unis.
Yves-Marie Laulan
30/01/2011
Correspondance Polémia – 02/02/2011