Par Camille Galic, journaliste et essayiste ♦ À l’heure où certains politiciens et la mediaklatura se font peur avec l’éventuelle élection à la présidentielle de 2027 d’une Marine Le Pen en voie de dédiabolisation avancée (ce que déplorent certains électeurs !), il serait intéressant pour les nouvelles générations de savoir à quoi ressemblait, et visait, le FN avant sa transformation en RN en 2017. Paraît justement aux éditions Dualpha, sous la plume de Jean-Claude Rolinat, 17 ans dans les tranchées du Front national – Souvenirs d’une vie d’apparatchik (pas si) ordinaire… Même si l’anecdote prend le pas sur la réflexion politique, le livre reflète bien le climat qui régnait alors et dont, comme le rappelle l’auteur, certains militants firent, hélas ! les frais. Tels Bruno Raketitch, lynché et resté sourd d’une oreille à l’issue d’un collage d’affiches, ou Pascal Dhaine, décédé après une attaque par des Maghrébins à Beaucaire.
Du scandale du « détail » à la machination de Carpentras
C’est en 1977, alors que Jean-Marie Le Pen n’avait obtenu que 0,74 % des suffrages à la présidentielle de 1974, que celui qui, né en 1944 et alors cadre commercial, se présente comme « un descendant de Gaulois » passionné par la politique dès l’adolescence et qui était alors conseiller municipal de Villeneuve-la-Garenne dans les Hauts-de-Seine, adhéra au Front national, dont il devait porter les couleurs lors de maintes élections locales, jusqu’en décembre 1998. D’abord militant puis introduit dans l’appareil en 1982 par le très dynamique Jean-Pierre Stirbois, à l’époque secrétaire général du parti (et dont Carl Lang prit la succession après sa mort accidentelle en novembre 1988), il en a observé aussi bien la plupart des rouages que les membres. Ce qui nous vaut des pages désenchantées sur les rivalités inhérentes à tout parti politique (mais exacerbées dans le cas du Front par l’hostilité qui entourait le FN et l’isolait), nombre de portraits, pas toujours indulgents, et des développements sur les crises que connut le FN.
Ainsi, en septembre 1987 à propos de l’« affaire du détail » (dont l’auteur oublie de préciser qu’elle fut montée de toutes pièces, et a posteriori puisque, survenue le dimanche dans l’indifférence quasi générale, elle ne fut exploitée que le mardi suivant dans Libération par Claude Malhuret, alors secrétaire d’État de Chirac à l’Action humanitaire et intime du ministre de la Défense François Léotard qui ne voulait aucune concurrence sur sa droite, surtout dans la région PACA où le Front national était devenu « la petite bête qui monte, qui monte »), ou de la profanation du cimetière juif de Carpentras. Profanation commise par des voyous mais transformée en mai 1990 par l’affreux Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur, en machine de guerre antifrontiste. Et plus généralement antinationale puisque, à l’initiative de Laurent Fabius qui occupait le « perchoir » du Palais-Bourbon, elle précipita l’adoption à la quasi-unanimité de la proposition de loi commise par le député communiste Jean-Claude Gayssot et qui excluait le révisionnisme historique (sur la Seconde Guerre mondiale exclusivement, car les « décoloniaux », par exemple, peuvent condamner tout leur saoul la prétendue exploitation des natifs dans notre défunt empire colonial, dont Bernard Lugan a prouvé chiffres à l’appui qu’il nous avait coûté plus cher qu’il n’a rapporté) des bénéfices de la loi sur la liberté de la presse.
Crises et séisme
Et, quelques mois plus tard, nouveaux remous, cette fois dans les rangs des sympathisants, après l’opposition catégorique exprimée par Jean-Marie Le Pen aux opérations Bouclier du désert puis, en janvier 1991, Tempête du désert lancées par le président George Bush (père) contre l’Irak de Saddam Hussein. Une position incompréhensible pour beaucoup de sympathisants et même de militants, généralement hostiles aux régimes arabes toutes obédiences confondues et restés à juste raison très anticommunistes malgré la chute du mur de Berlin et le délabrement de l’URSS, donc résolument atlantistes. C’est pourtant le Menhir qui avait raison, comme la suite l’a démontré, en affirmant, repris par National Hebdo, que l’atlantisme n’était plus désormais qu’un « masque aux opérations des ploutocrates, des pétroliers, des émirs, de la Trilatérale, et des lobbies médiatiques ou financiers ». Une accusation vérifiée sous Bush junior et toujours actuelle…
Si l’auteur, secrétaire général du groupe FN d’Île-de-France de 1992 à 1998, évoque à plusieurs reprises, et très laudativement, Bruno Gollnisch, Bruno Mégret et surtout Jean-Yves Le Gallou auquel il rend des hommages mérités, il passe sur deux initiatives majeures de ces derniers : la création du Conseil scientifique du Front national, dont il se borne à énumérer les membres, et l’Institut de formation nationale (IFN) des élus, dont s’occupa activement Françoise Monestier, ancienne assistante parlementaire du député Jean-Pierre Stirbois et aujourd’hui secrétaire général de la Fondation Polémia. Deux instances qui aidèrent à mieux armer idéologiquement et professionnaliser ce qui n’était encore qu’un parti de militants, très dévoués mais souvent désorganisés, et expliquèrent en partie les scores de Jean-Marie Le Pen aux présidentielles de 1988 puis de 1995 (plus de 15 % des voix) et celui du FN aux élections européennes de 1989 (où la liste Europe et Patrie conduite par Jean-Marie Le Pen arriva troisième derrière celles conduites par Valéry Giscard d’Estaing et Laurent Fabius, excusez du peu, et loin devant la liste menée par Simone Veil) et aux municipales de 1995 avec trois villes conquises, Orange, Marignane et surtout Toulon, plus une, Vitrolles en 1997, par Catherine Mégret.
Jean-Claude Rolinat n’était plus au Front quand le président du Front national se hissa au second tour de la présidentielle de 2002 aux dépens du Premier ministre Jospin, succès inattendu qui provoqua une « quinzaine de la haine » sans précédent. Ayant suivi Bruno Mégret après la si douloureuse rupture de 1998, il devait demeurer jusqu’en 2006 au Mouvement national républicain avant de rejoindre, car « on est bien au chaud dans une “crèche” que l’on connaît », le Mouvement pour la France créé en 2009, après la mise sur orbite de Marine Le Pen, par Carl Lang (lequel en abandonna dix ans plus tard la présidence, assurée depuis par Thomas Joly)… et il est toujours conseiller municipal, désormais dans la Seine-et-Marne où il a pris sa retraite. Retraite active qui lui a permis d’entreprendre moult voyages, dont il a tiré plusieurs ouvrages souvent commentés ici et d’écrire de nouveaux livres dont le dernier, mélange très personnel de témoignage et d’autobiographie.
Camille Galic
15/03/2023
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