Le 6 février dernier, sous le titre Des élites dirigeantes sans vision qui pensent comme ChatGPT, Polémia a publié une recension du livre stimulant de Thomas Viain, La Sélection des intelligences, qui critique le mode de pensée des élites issues des grandes écoles. L’auteur observe qu’Emmanuel Macron emploie une forme de langage, typique des « bêtes à concours », qui rappelle étonnamment celui d’une intelligence artificielle. Ce président « jupitérien » ne serait-il donc que le fils de son époque ? Se prévaloir d’un tel patronage n’est pourtant pas anodin, mais Marx nous a appris que l’Histoire se répétait une première fois comme tragédie et une seconde fois comme farce.
Un bref détour par l’Agora
Thomas Viain, qui est énarque, agrégé de philosophie et manifestement honnête homme, considère avec Socrate que le bien est à la source de toutes nos actions : « Nul ne fait le mal volontairement », mais par l’effet d’une passion déraisonnable qui n’a pour source que l’ignorance.
Dans le Gorgias, Platon met en scène Socrate qui dénonce la rhétorique des sophistes comme un art du mensonge dépourvu de base solide. Ignorant délibérément ce qui est juste ou injuste et se faisant fort de soutenir une thèse et son contraire, ces rhéteurs se font fort de manipuler l’opinion, contrairement au philosophe qui consacre sa vie à rechercher le bien et l’excellence de l’âme en s’appuyant sur des éléments rationnels et cohérents.
Dans ces dialogues, Calliclès refuse les arguments de Socrate en défendant une morale aristocratique opposant les forts et les faibles. Il affirme que l’homme fort doit donner libre court à ses passions en exprimant ses désirs conformément aux lois de la Nature, tandis que les philosophes se révèlent incompétents pour le gouvernement de la Cité et ne sont habiles que dans la formation des jeunes gens.
Pensée classique et pensée IA
Dans son livre, Thomas Viain définit la « pensée verticale » comme un mode de réflexion reposant sur des principes supérieurs hiérarchisés dont l’origine remonte à Platon et Aristote.
A contrario, la « pensée horizontale », étrangère à l’héritage grec mais valorisée de nos jours par l’institution scolaire et les « élites », s’organise « en réseau » et sans hiérarchisation des concepts. Ce défaut d’articulation globale aboutit logiquement à employer, via une « façon très plate et uniforme d’argumenter », un type de langage qui ressemble trait pour trait à celui de l’intelligence artificielle.
Emmanuel Macron et son projet
Thomas Viain cite ainsi Emmanuel Macron et son fameux « en même temps » comme un exemple typique de la « pensée horizontale » des meilleurs élèves issus des grandes écoles.
En dépit de ses études de philosophie, le Chef de l’État aurait tout simplement oublié les principes légués par les Grecs, ou du moins les cantonnerait à un niveau périphérique, contrairement à un Charles de Gaulle féru de culture classique et animé par l’idée directrice de la grandeur de la France.
L’aptitude avérée du Président à dire une chose et son contraire dans un intervalle de temps très bref ne serait donc pas la marque d’un manque de conviction, ni, à l’instar des sophistes, d’une volonté de manipuler son auditoire, mais la conséquence d’un type de pensée reposant sur « une sorte de bric-à-brac de liens entre auteurs, sources, théories, arguments et contre-arguments permettant d’avoir un avis pondéré et informé sur tout ».
Ses convictions se manifestent d’ailleurs dans son obstination, reconnue par ses opposants, à mettre en place un projet de société fondé sur une vision du monde globaliste et néo-libérale.
Macron m’a tuer
Pour le dire de façon lapidaire, nous pensons qu’Emmanuel Macron est animé par une farouche volonté de puissance individuelle qui le rend étranger à toute notion de bien commun. Pour celui qui estime qu’il existe une diversité de culture dans notre pays et non une culture française, tout en participant activement à la vente d’Alstom à General Electric, que peut bien vouloir signifier une France forte et souveraine ?
Ses orientations politiques erratiques découlent essentiellement de l’obligation de récompenser ceux qui l’ont fait roi, à savoir tels ou tels établissements financiers ou cabinets de conseil anglo-saxons, combinée avec le soin de conserver les faveurs de ceux qui pourraient lui permettre, un jour prochain, d’occuper un poste prestigieux au sein des institutions européennes.
Depuis le début de sa présidence, il a pu exprimer pleinement les sentiments et les principes sur lesquels repose sa conception du monde, cocktails d’hédonisme électro (peut-être sous l’influence de Dame Brigitte) et de ferveur plus ou moins partagée avec des footballeurs dans les vestiaires, conjugués à des formules méprisantes sur les « Gaulois réfractaires », « ceux qui ne sont rien » et autres « salariées illettrées ».
De toute évidence, l’intéressé se révèle emblématique de la sécession des élites avec le peuple théorisée par Christopher Lasch.
Un épigone « 2.0 »
Compte tenu de sa formation philosophique, peut-on cependant lui attribuer une influence majeure qui lui servirait d’inspiration ou de figure tutélaire ?
Ses mémoires d’étude ont été dédiés à deux penseurs politiques, Hegel et Machiavel, mais il paraît difficile d’admettre que ces deux philosophes, qui avaient assurément le sens de l’État, puissent constituer pour lui des références intellectuelles, sauf à envisager le machiavélisme dans son acception vulgaire désignant la seule volonté de conquérir et de conserver le pouvoir par tous les moyens. Une définition conforme à la pratique de notre Président mais de piètre intérêt philosophique et, surtout, peu originale dans le milieu politique.
Écartons également son éventuelle adhésion à des thèses relevant du darwinisme social, qui ont certes promu les notions de « lutte pour la vie » et de « survie des plus aptes » comme moteur du « progrès », mais dont l’attention pour la puissance collective restait essentielle dans la perspective des rapports de force internationaux.
Nous nous souvenons dès lors du fameux Calliclès et de son apologie des « forts », qui donnent libre court à leurs passions sans se soucier de la morale commune.
Bien que son immaturité patente le desserve, accueillons donc notre Jupiter parmi les avatars post-modernes du rhéteur grec…
Imaginons un instant que Socrate puisse rencontrer Macron dans les rues d’Athènes. Le philosophe n’aurait simplement qu’à l’écouter… En effet, pourquoi contredire un Macron ? Il est tellement plus simple d’attendre qu’il change d’avis !
Johan Hardoy
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