Par Laurence Maugest, philosophe, essayiste ♦ Dans son dernier livre, L’Étrange suicide de l’Europe, Douglas Murray manie le scalpel avec dextérité et effectue une autopsie riche d’enseignements d’une Europe pré-mortem. Sa démonstration est claire : le poison, que l’Europe s’auto-administre depuis les Lumières, prémices de la Révolution Française, est « la culpabilité ». Son analyse anatomo-pathologique est sans appel. Preuves à l’appui, piochées dans l’histoire où l’auteur met en exergue les effets du tamis idéologique des bien pensants qui gouvernent le pays depuis des décennies.
Les méchants croisés, les persécutions infligées à Galilée, l’appétit colonialiste inhumain des occidentaux, la traite des noirs …. trônent au panthéon de la religion séculière de la repentance. Ceci, dans l’occultation totale que la terre sainte fut envahie ce qui provoqua la mise en marche des peuples chrétiens, que Galilée n’a pas fait un jour de prison, que c’est la gauche qui a œuvré pour la colonisation de la terre d’Algérie qui n’existait pas à l’époque et que les barbaresques ont fait couler plus de sang et de larmes que la traite triangulaire.
Ces désinformations de l’histoire que l’on nous impose systématiquement de l’école aux conversations quotidiennes, par leur récurrence, sont devenues des « idoles » (1) faites de stuc, d’à peu près et de manipulations historiques.Elles sont de terribles destructeurs à long terme car elles ont détaché le peuple européen de son histoire. Pire encore, elles ont cultivéchez ces peuples la haine de leur propre origine.
« Sentiment de culpabilité perpétuelle qui fausse profondément la vision du monde qu’entretient une nation, y compris la perception que cette nation se fait d’elle-même. » (1)
L’antipatriotisme
Le « mésamour » de soi-même est une pathologie délétère :
Une nation qui ne s’aime pas méprise les fondamentaux qui la constitue. Ainsi, le noyau,autour duquel le peuple devrait se retrouver, se désagrège.
On approche ici la question cruciale de l’identité, qui revient, si souvent, dans la sphère mediatico-politique comme un symptôme fantomatique. Nous notons la complexité et l’importance de ce sujet au regard de la redondance de ses apparitions mais aussi à travers son traitement. En effet, l’identité est le plus souvent, évoquée sous la forme très négative des « relents identitaires » ou alors sous le jour très positif des rencontres footballistiques visionnées sous le spectre « black, blanc, beur ». Le schéma très « formaté » que les médias utilisent dans leur communication sur ces questions témoigne d’un solide comportement d’évitement et d’un malaise profond qui se transmet ainsi à l’ensemble de la population. Pour s’en convaincre, Il suffit d’observer le sort réservé aux acteurs de la pensée, d’Éric Zemmour à Michel Houellebecq, pour noter combien ces questions sont écartées des vrais débats au sens grec du terme : confrontation de points de vue différents dans un contexte impartial.
Ce n’est évidemment jamais le cas sur les plateaux où les discussions se déroulent soit avec une amabilité parfois gluante entre protagonistes tous d’accord qui s’auto-congratulent avec motivation, soit,sous forme de mise au pilori « d’un déviant » qui pense différemment et endosse le rôle du « méchant » face à une meute unanime qui aboie fort, griffe et au pire montre les dents dans un sourire.
C’est ainsi que les « gros médias » privent les français d’un lieu de réelles réflexions, qui, sans à priori, serait un tremplin d’appropriation et d’intérêt dans ce domaine tout aussi sensible que fondamental que porte en elle la question de l’identité française.
Cette identité n’est pas qu’une fin en soi, elle est le cœur nucléaire du patriotisme. Celui-là même qui permet aux habitants d’un pays de défendre ses intérêts en priorité
Nous pouvons donc comprendre pourquoi cette société qui défend la globalisation des Marchés mondiaux tend à mettre à mal notre sacro-sainte identité.
« Sacro-Sainte identité » n’est pas un vain mot
Que l’on soit pratiquant, « croyant indépendant », ou pas croyant du tout, la France est la fille aînée de l’Eglise. L’Eglise, présente dans le moindre recoin de la campagne française où elle veille sur la place du village si celui-ci n’est pas encore défiguré par des centres commerciaux ou des « aires du vivre ensemble ».
Si l’identité européenne a mûri dans le plasma de la philosophie grecque et de sa recherche « du juste, du vrai et du beau », elle a poursuivi sa croissance dans la moelle de la chrétienté qui la fonde tout autant. Au regard du peu d’importance attribuée à l’objectivité cher aux Grecs comme nous l’avons vu plus haut et face au développement de la « christianophobie », nous ne pouvons que constater la destruction délibérée de notre chair, de ce qui nous constitue. Nous comprenons donc aisément que Douglas Murray pose la question de l’étrange suicide de l’Europe.
Le mépris de la recherche de la vérité, le mensonge et la désinformation perpétuelle entraînent ce que Douglas Murray nomme avec beauté et violence « la vidange spirituelle ».
Une lobotomie spirituelle au service des Marchés financiers
Épidémie meurtrière du verbe « profiter »
Le piétinement de la recherche « du vrai »et du christianisme sert à casser la verticalité de l’homme en tant qu’individu. La prolifération de l’utilisation des verbes « profiter », « s’éclater », « jouir … », au détriment des expressions « contempler », « observer », « s’unir » « tenter de comprendre» …nous fait redouter, à juste titre, que l’humain soit en voie de décérébration, de destruction massive.
La perte de verticalité et de sens permet d’imposer plus facilement comme priorité aux individus, les verbes « avoir », « acheter », « consommer » :au service des grandes surfaces qui prolifèrent et des OVNI du CAC 40 qui les orchestrent.
Si cela se poursuit ainsi, les robots en gestation dans la Silicone Vallée ou en Chine auront sensiblement les mêmes attentes d’élévation spirituelle que l’humanoïde classique.
L’individualisme outrancier qui sert la grande consommation depuis près d’un siècle sera arrivé à son objectif : la fin de l’individu, « de la personne » mais pas de son porte-monnaie qui pourra être téléguidé sans souci d’interférence avec ce qui n’existera plus et relèvera alors de la préhistoire : « son libre-arbitre », fruit de la philosophie grecque et de la chrétienté.
Le tout financier pourra « s’éclater ». Le libéralisme tyrannique et son esprit libertaire imposé aux masses pourront alors se dérouler sur tout le globe et proliférer sans souci de concurrence au sein d’un public uniforme.
Une compression de l’espace-temps ?
D’un Muray à un autre Murray…
La nocivité de cette obsession du profit ou plaisir immédiat est qu’elle réduit le temps.
« Tout et tout de suite ! » est la règle de l’homo festivus mis à nus par Philippe Muray.
Le « temps long » n’a pas de réalité ni de raison d’être dans le monde de l’homo festivus qui perd là l’horizontalité du temps relatif. .
Douglas Murray, lui, met à nu la perte de la verticalité de l’homme.
Une conclusion incontournable s’impose donc : Si nous perdons notre horizontalité et notre verticalité, risquons-nous la mutation vers le point ? Une sorte de Big Bang à l’envers ?
Où sera alors le sens de notre humanité ?
Laurence Maugest
01/09/2018
(1) Parmi ces idoles de la nouvelle religion laïque qui défend un cosmopolitisme globalisé, nous pouvons rajouter « l’inquisition » largement dramatisée par les nouveaux curés de cette pensée unique.
(2) Douglas Murray P.287 en référence à Chantal Delsol
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Strecosa via Pixabay cco