Les pays du Golfe et l’Arabie saoudite font la sourde oreille à leurs frères dans la foi musulmane originaires des États où règne la guerre civile.
Ryad préfère construire 200 mosquées en Allemagne pour les réfugiés syriens (*)
Les États du Golfe sont riches, ils sont musulmans et ils se ferment à leurs coreligionnaires avec une froideur qui fait de plus en plus scandale. Les pays européens acceptent quant à eux généreusement les réfugiés en provenance des zones de guerre civile arabes, et beaucoup sur le continent chrétien ne reculent devant aucune charge pour assumer cette exigence humanitaire qui est leur. Confrontés à cette souffrance, les pays arabes du Golfe font pourtant la sourde oreille, bien que le roi saoudien se fasse appeler « le protecteur des deux lieux saints de l’Islam ».
Ils construisent les plus grandes mosquées, les bâtiments les plus élevés et les palais les plus somptueux. Le flot des réfugiés s’écoule pourtant vers le nord, vers l’Europe, pas vers le sud, vers la péninsule Arabique. Il y a deux raisons à cela :
- La première, c’est que les réfugiés ne veulent pas vivre dans un pays aussi peu libre que l’Arabie saoudite ; après tout ce qu’ils ont vécu, ils sont avides de liberté et de sécurité ;
- La deuxième, c’est que ces réfugiés ne sont absolument pas souhaités dans les États du Conseil de coopération du Golfe. Depuis le déclenchement, d’abord, de la crise, puis de la guerre en Syrie, il était devenu de plus en plus difficile pour un Syrien d’obtenir un visa d’entrée, qui est très cher, de surcroît. Les Syriens pourraient raconter en arabe, la langue commune, ce qui se passe en Syrie, et ils politiseraient ainsi la société saoudienne dans une mesure qui n’est pas souhaitée. Ces dernières années, les demandes de prolongation d’autorisation de séjour pour les travailleurs immigrés syriens ont été refusées en nombre croissant, principalement en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.
Celui qui fuit la guerre en Syrie en cherchant asile parvient en Europe. Si d’aventure des Syriens veulent se rendre dans un pays arabe « frère », ils seront, sans visa, refoulés à toutes les frontières – à l’exception de celles de l’Algérie, du Yémen, de la Mauritanie et du Soudan. Ils ne sont pas les bienvenus. Voilà à quoi ressemble la « fraternité » arabe ; voilà comment se vit la solidarité musulmane.
Il y a, bien sûr, des exceptions : la Jordanie et le Liban ont accepté des millions de réfugiés. Lorsque la communauté syrienne au Danemark a publié sur sa page Facebook une vidéo sur les réfugiés arrivant en Autriche, un commentateur a écrit :
« Comment avons-nous fui les pays de nos frères musulmans, qui devraient montrer plus de responsabilité qu’un pays qu’ils qualifient d’infidèle ? ».
Un autre écrit :
« Je le jure par Dieu tout-puissant, les Arabes sont les mécréants ».
Les États du Golfe ont maintenant l’occasion de montrer au monde à quel point ils peuvent être généreux. Au lieu de cela, ils attisent encore le conflit. Ils bombardent et mettent en pièces le Yémen, qui est déjà le plus pauvre des États du monde arabe, alors qu’il y aurait moyen de trouver une issue politique au conflit. 80% des Yéménites auraient déjà besoin de l’aide humanitaire, mais seule une petite partie de ceux-ci entre dans le pays, parce qu’une coalition menée par l’Arabie saoudite verrouille le Yémen. Avec 27 millions d’habitants, le Yémen est le pays le plus peuplé de la péninsule Arabique. Ainsi, il n’y a plus que deux axes de fuite : vers la Somalie et l’Éthiopie ou vers le nord et l’Arabie saoudite. L’une des plus grandes peurs des Saoudiens est que des millions de Yéménites réduits à la misère puissent se frayer un chemin vers le nord et passer la frontière – du reste bien gardée.
Encore un peu de temps et on dira en manière d’invocation : « Dieu vienne au secours des Chiites »
L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis mènent une guerre au Yémen afin d’éviter que les Houthis, chiites, consolident leur pouvoir. Ce faisant, avec leurs bombes, ils ne font qu’accroître le nombre des réfugiés. Avant cela, l’Arabie saoudite portait déjà une part de responsabilité dans l’escalade de la violence en Syrie. Le précédent chef des services secrets britannique, Richard Dearlove, citait ainsi son ancien homologue saoudien, Bandar Bin Sultan Al Saud, qui lui aurait dit : « Encore un peu de temps et on dira en manière d’invocation : “Dieu vienne au secours des Chiites”. Plus d’un milliard de Sunnites en ont assez d’eux ». Bandar Bin Sultan fut de fait limogé parce que son soutien aux extrémistes islamistes en Syrie a échappé à tout contrôle et qu’il a permis finalement la consolidation de « l’État Islamique ».
Mais aujourd’hui l’Arabie saoudite n’accepte aucun réfugié en provenance d’un pays où règne la guerre civile sur son sol, encore moins de Syrie. Au lieu de cela, comme le rapporte le journal libanais Al Diyar, l’Arabie saoudite propose de bâtir en Allemagne 200 mosquées pour les réfugiés qui seront recueillis dans ce pays. Bien sûr, comme l’écrit le journal, cela devrait se faire en accord avec le gouvernement fédéral. Il serait pourtant plus judicieux que l’Arabie saoudite accueille elle-même les réfugiés et se mette ainsi en conformité avec son rôle de guide de l’Oumma, la communauté de tous les musulmans.
Les conflits et guerres en Syrie et en Irak, en Afghanistan et en Somalie ne reflueront pas avant longtemps. D’autres hommes se mettront en quête d’une nouvelle patrie, où ils voudront trouver un travail. Les États du Golfe ont besoin de main-d’œuvre : en Arabie saoudite, un habitant sur trois est un travailleur immigré, aux Émirats arabes unis, huit habitants sur dix ne sont pas autochtones. Parmi les travailleurs immigrés, les Arabes ne constituent qu’une minorité. Les États du Golfe préfèrent les travailleurs immigrés originaires de pays stables et en paix: ils n’importent de leur patrie aucun conflit; ils sont soumis et plus faciles à renvoyer. Mais les Syriens qui arrivent aujourd’hui souhaiteraient rester. De la manière dont se comportent les Arabes du Golfe avec les Syriens, il faut déduire : ce ne sont plus des frères, pas même dans la foi.
Rainer Hermann
08/09/2015
Source : Frankfurter Allgemeine Zeitung du 08/09/2015.
Traduction en français par F.S.
Note de la rédaction
Selon Le Courrier international du 11/09/2015, l’information selon laquelle la construction de deux cents mosquées en Allemagne en réponse à la crise des réfugiés ne serait pas confirmée. Ceci ne change en rien l’attitude de l’Arabie saoudite vis-à-vis des frères originaires des États où règne la guerre civile.