Par Georges Le Breton, ancien haut fonctionnaire, analyste des questions internationales, géopolitiques et diplomatiques ♦ Les 4 et 5 mai 2023 s’est tenue à Budapest la seconde édition de CPAC Hungary sous la bannière « UNITED WE STAND – EGYÜTT ERŐ VAGYUNK » (Restons unis !). CPAC, acronyme de Conservative Political Action Conference, est depuis la première édiction de 1974 une conférence américaine annuelle gérée par l’American Conservative Union (ACU), entité créée en 1964 qui se considère comme la plus ancienne organisation conservatrice de lobbying existant aux USA. Le futur président Ronald Reagan avait prononcé le discours inaugural de la première CPAC américaine de 1974. CPAC est désormais une marque et une franchise évènementielle avec des conférences CPAC hors des États-Unis : au Japon depuis 2017, en Australie, au Brésil et en Corée du Sud depuis 2019. Le premier CPAC en Europe a eu lieu à Budapest en mai 2022 avant l’édition de cette année.
Quelles sont les forces politiques présentes cette année ?
Pas moins de 90 oratrices et orateurs de 25 pays se sont exprimés pendant deux jours via des discours, des dialogues, des tables rondes et des messages vidéo. Près des deux tiers des orateurs étaient soit américains (35) soit hongrois (20) avec un équilibre entre responsables politiques (exécutif politique ou parlementaires) et influenceurs de toute nature.
Les stars participantes étaient bien sûr le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, mais également, via des messages vidéo, les Américains Donald Trump, Tucker Carlson (qui vient d’être limogé de Fox News) et Steve Bannon.
Pas moins de dix membres du gouvernement hongrois se sont exprimés avec des poids lourds comme la ministre de la Justice, le ministre de la Défense et le ministre des Affaires étrangères.
L’Europe de l’Est était fortement présente mais également l’Europe du Sud (cinq Italiens et quatre Espagnols). On a pu noter la faible présence française (un seul orateur, avec le discours du président du Rassemblement national Jordan Bardella sur le danger du wokisme) et allemande (un orateur), et tout simplement aucun orateur britannique ce qui est significatif au regard du poids historique de la Grande-Bretagne dans le développement du conservatisme politique.
Les discours et débats ont permis d’apprécier le charisme et les capacités rhétoriques des oratrices et orateurs, avec par exemple les impacts nets des Américaines Kari Lake (ex-journaliste « Trump en jupons », candidate battue à l’élection 2022 du gouverneur d’Arizona sans avoir à cette date reconnu sa défaite) et Penny Nance (Concerned Women for America), ou de l’influenceuse néerlandaise Eva Vlaardingerbroek.
Quelles sont les thématiques évoquées ?
Le poids des délégations américaine et hongroise a pesé sur le ton général de la conférence.
Les sujets évoqués par les Américains ont été notamment :
- l’enjeu fondamental de la préservation de la liberté d’expression, Freedom of speech;
- l’impératif d’une opposition frontale aux progressistes et démocrates dans tous les domaines : immigration, éducation, changement climatique, soutien du big business aux progressistes, avec le fait que l’ennemi progressiste de l’intérieur est perçu comme beaucoup plus dangereux et déstabilisateur que les divers ennemis ou adversaires externes de type Chine ou Russie ;
- le retour d’expérience sur le mouvement woke qui frappe les États-Unis depuis longtemps maintenant, analysé comme une pseudo-religion dans un pays moins déchristianisé que l’Europe occidentale ;
- l’enjeu du contrôle parental sur l’éducation, puisque la crise du covid a été l’occasion pour les parents, via les cours par Zoom, de découvrir le contenu précis – considéré comme un véritable endoctrinement – des enseignements donnés à leurs enfants dans le système scolaire américain ;
- le constat d’une implication croissante des entreprises dans le progressisme politique et sociétal et l’apparition décriée d’un « woke capitalism» ;
- l’enjeu majeur des flux migratoires et l’évocation d’un contrôle de fait de la frontière sud par les cartels mexicains, couplé à la crise américaine des opioïdes ;
- un regard admiratif sur l’expérience hongroise depuis 2010.
Les différents membres du gouvernement hongrois ont présenté, chacun dans son périmètre, les réalisations de « l’incubateur hongrois de la politique conservatrice ». Tant Viktor Orbán que le ministre des Affaires étrangères Péter Szijjártó ont notamment dénoncé la « politique étrangère progressiste » qui mène toujours à la guerre, bouleverse les pays au nom de l’exportation de la démocratie, instrumente des révolutions de couleur qui « se terminent dans le chaos, le désordre et la honte des pays abandonnés à leur sort ».
Les participants et orateurs européens ont beaucoup évoqué le rôle central de la Commission européenne dans le développement du progressisme et de fait rappelé l’enjeu critique des élections européennes de 2024.
Antiwokistes de tous les pays, unissez-vous !
La question est de savoir si un événement comme le CPAC contribue à l’émergence d’une internationale conservatrice. À ce sujet, l’un des enseignements majeurs de la réunion de Budapest concerne l’enjeu de l’articulation entre États-Unis et Europe. CPAC Hungary 2023 permet de constater le caractère transversal de la culture occidentale et les préoccupations différentes mais mutuellement intelligibles et concrètes entre conservateurs européens et américains : liberté de parole, idéologie woke et climatique, protection des enfants et contrôle parental de leur éducation, immigration… Tout cela va au-delà des avantages et des inconvénients du poids écrasant de Donald Trump.
God Country Family… L’avenir permettra de dire si la préservation des valeurs conservatrices devra demeurer dans une simple logique de contre-société ou de société résiduelle face à la puissance de la vague progressiste ou si les faiblesses et abus de ce progressisme conduiront à l’incarnation plus large dans la vie politique et sociale des idéaux conservateurs.
Georges Le Breton
09/05/2023