Par Pierre Lours, essayiste et romancier, auteur de La Révolte des silencieux ♦ Pierre Lours perçoit, sous l’apparente acceptation du confinement par les Français, des raisons de croire en leur volonté de restaurer la France.
On peut s’étonner de la docilité des Français face aux restrictions sans précédent de leurs libertés, les plaçant de facto en résidence surveillée sous la garde des forces de l’ordre, à coups d’amendes et de peines de prison en cas de récidive.
Nos concitoyens sont réputés allergiques aux contraintes mais « en même temps » ils semblent résignés au bon vouloir de gouvernants qui les enferment pour contenir le virus mais surtout leur légitime colère devant l’impuissance des autorités à anticiper une pandémie pourtant annoncée dans tous les plans prévisionnels civils ou militaires.
Obéissants, les Français !… Et, pourtant, furieux de voir que depuis dix ans l’État a ânonné la gestion d’un mauvais comptable qui, en « économisant » des masques, des lits de réanimation, des tests pour quelques centaines de millions, génère une perte de quelques centaines de milliards d’euros puisqu’il a été forcé d’adopter la solution moyenâgeuse à sa disposition, le confinement.
Et n’oublions surtout pas d’ajouter un tragique passif à ces mauvais gestionnaires prétentieux, quelques dizaines de milliers de morts et combien de drames futurs apportés par la crise économique qui va nous bousculer, si elle ne nous ruine pas.
Mais alors que font nos apparemment soumis et « en même temps » indomptables Français ? Ils grognent… et se confinent avec patience, écrasés par la masse des médias asservis et asservissants, médusés et apeurés par un virus qui leur rappelle qu’ils sont mortels.
Bouillon de culture
Ils laissent passer l’orage viral, se rendent provisoirement aux exigences des tristes réalités. Outre la peur de la mort et des sanctions, certains se persuadent, avec Napoléon, qu’un mauvais chef est préférable à pas de chef du tout pour affronter les épreuves, ou tout au moins limiter les dégâts en attendant une meilleure fortune faite de meilleures circonstances et d’un meilleur berger.
D’autres savent, comme Descartes, que, lorsqu’on est perdu dans une forêt, il faut choisir une direction et surtout ne pas en changer… on finit toujours par sortir du bois ! D’autres encore sentent que l’instinct grégaire permet de maintenir une cohésion élémentaire mais protectrice, comme le sait un troupeau de buffles face aux prédateurs. Peut-être sont-ils aussi victimes d’une sorte de syndrome de Stockholm qui pousse des victimes à « aimer » celui qui menace leur vie, pour gagner du temps, l’amadouer et l’attendrir, pour profiter un jour d’une inattention et lui fausser compagnie ?
Il faut dire aussi que les moyens de répression, de propagande et de manipulation sont nombreux et pesants. Ils sont d’autant plus efficaces que la peur est un moteur inégalé pour diriger une foule, certes constituée d’individus confinés chacun chez eux mais rassemblés par les liens des médias soufflant en permanence l’air qu’il faut chanter.
Mais il n’est pas de mensonges résistant éternellement à la vérité et aux exigences de la réalité et du temps. Les réseaux sociaux permettent (jusqu’à quand ?) une certaine liberté d’expression, des prises de conscience et des rassemblements intellectuels capables de mettre en échec l’information formatée des médias inféodés au pouvoir. Par exemple, une large majorité des Français sait que la politique du gouvernement est principalement tributaire de la pénurie de masques et n’est qu’une pitoyable mascarade dictée par des masques en rade ! Ils ont compris aussi que le futur déconfinement partiel est décrété pour sauver l’économie en prenant des risques sur la santé des Français compte tenu toujours des moyens insuffisants pour lutter contre la maladie.
In vivo, in vitro
Mais un pouvoir maniant l’artifice opportuniste du « en même temps » peut faire illusion et occuper le terrain quand les intérêts vitaux ne sont pas en lice. En cas de crise ou de guerre, il n’est pas crédible et perd sa légitimité. L’heure des marquis poudrés des cabinets et des états-majors est arrêtée. Un maître du temps est celui qui sait trancher vite et fort, choisir une stratégie imparfaite mais qui sauvera l’essentiel ; celui qui s’affranchira de ceux qui l’on fait roi ; celui qui désigne l’ennemi et ne tolère pas d’alliés approximatifs. Un chef doit avoir de bons réflexes, suivre son instinct, se passer des certitudes confortables et prudentes. Les manettes n’ont rien à faire dans les mains de bureaucrates gâtés hautement diplômés, occupant malheureusement des fonctions politiques de décision.
Un chef de guerre n’est pas un homme de cabinet. La comparaison du professeur Raoult avec les « scientocrates » qui le critiquent est éclairante. L’un est opérationnel, les autres sont des rouages d’états-majors. L’un donne dans l’urgence des soins attentifs et efficaces aux malades quand les autres envisagent prudemment une maladie dans un confortable cadre expérimental. L’un brave les interdits pour sauver des vies, les autres ont le petit doigt sur la couture du pantalon pour sauvegarder leur conformisme scientifique, leur tranquillité et leur carrière. Raoult est in vivo, les autres in vitro.
Aussi les Français attendent et espèrent qu’émergent de cette épreuve un nouvel état d’esprit et un nouvel élan. On peut comprendre leur prudence. Ils conduisent leur vie au milieu des craintes de la maladie, des inquiétudes économiques et des contraintes répressives exceptionnelles déployées par l’État, à l’instar de ce qu’il a déjà fait avec les Gilets jaunes. Mais il arrive immanquablement que « l’esclave » considère qu’il n’a plus rien à perdre à se défaire du maître inutile et nocif. La révolte des Gilets jaunes a été une avant-première de ce qui pourrait advenir si le système politique n’a pas l’intelligence et la lucidité de refonder les valeurs, les buts de notre société et la confiance.
L’affaiblissement des peurs, la lassitude de l’attente d’un jour meilleur, l’apparition d’une alternative crédible en la personne d’un chef déterminé, la fatigue des forces de l’ordre qui constatent dans leur vie de tous les jours le décalage entre les mesures politiques et la montée des colères, une lucidité accrue des citoyens, forgée dans l’épreuve, tous ces éléments se conjugueront pour accoucher d’une nouvelle dynamique qui renversera les pouvoirs établis, qui retournera les foules.
L’eau qui semble dormir cache une lame de fond. L’histoire enseigne qu’il ne suffit pas de donner du pain et des jeux pour assurer à long terme la pérennité d’un pouvoir. Quand apparaît une crise qui incube depuis des dizaines d’années, ce ne sont pas ceux qui en sont la cause qui peuvent guérir les conséquences.
Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes pour s’attirer des bénéfices et s’exonérer de ses responsabilités. Au mieux, il ne reste qu’à reconnaître son impuissance et ses fautes avant de s’éclipser théâtralement avec panache, cédant les rênes qu’on n’a pas su tenir et redonnant enfin la parole au peuple.
Pierre Lours
08/05/2020
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Domaine public