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Covid-19. Pourquoi il ne faut pas juger pénalement les responsables politiques

Covid-19. Pourquoi il ne faut pas juger pénalement les responsables politiques

par | 27 mai 2020 | Politique, Société

Covid-19. Pourquoi il ne faut pas juger pénalement les responsables politiques

Par Eric Delcroix, juriste, essayiste et écrivain ♦ De très nombreuses voix s’élèvent avec vigueur pour réclamer des poursuites judiciaires contre les membres du Gouvernement et Emmanuel Macron lui-même. Cette demande peut évidemment sembler justifiée tant l’impéritie de nos responsables politiques est criante. Mais, dans ce texte lumineux, Eric Delcroix nous démontre qu’il existe de très solides raisons de ne pas sanctionner judiciairement ceux qui nous gouvernent pour des actes purement politiques.
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Méfions nous de la démesure du tout judiciaire invasif, pathologie sociale américaine dans laquelle tout différent politique peut finir par trouver un épilogue judiciaire. Les médias et les réseaux numériques bruissent des plaintes de simples citoyens, mus par la vindicte personnelle, visant à obtenir la condamnation pénale des membres du gouvernement auxquels on doit la gestion, désastreuse il est vrai, de l’épidémie de la Covid-19. Seulement, les ministres, aussi médiocres soient-ils, ne sont pas de simples citoyens ; ils incarnent en effet une part de la souveraineté nationale. Et, subsidiairement, même en deçà de la souveraineté, les fonctions publiques ne doivent pas être comparables aux fonctions privées. Mais je m’en tiendrai ici à l’échelon gouvernemental et aux fonctionnaires tenus de lui obéir.

La souveraineté, qui est immunité judiciaire, ne se divise pas

L’impéritie de nos dirigeants, illustrée par le manque de réactivité (refus idéologique de fermer nos frontières), la pénurie de matériel sanitaire de première nécessité (masques, gants, gel hydroalcoolique) justifie la défiance du peuple. Et, au plus vite, un changement dans le personnel politique, même si cela est frustrant dans un système biaisé par des artifices électoraux qui donnent la majorité à l’Assemblée nationale à des partis qui s’appuient au mieux sur 20 % du corps électoral. Mais il n’y a pas matière à des condamnations judiciaires, à plus forte raison pénales, poussant nos ministres à la médiocrité craintive.

On s’est gaussé de la célèbre formule de Georgina Dufoix, « Responsable mais pas coupable » (1991) ; pourtant, du point de vue de la forme, c’est bien elle qui avait raison ! La responsabilité politique est très distincte de la culpabilité judiciaire et pénale ; elle doit le rester ou plutôt le redevenir. La responsabilité d’un mauvais ministre est politique, aussi justifie-t-elle son éviction et le renvoi dans ses pénates. Aux citoyens, il appartient de le critiquer, de le couvrir d’opprobre et surtout de… mieux voter à l’avenir !

Un responsable politique est en charge d’une part de la souveraineté de l’État ; Président de la république, chef du gouvernement ou ministres ne devraient répondre ès qualité en justice que dans des cas de trahison, concussion ou corruption. Il en était ainsi du temps de la Haute cour, juridiction aussi exceptionnelle que sporadique. La constitution de la Cour de justice de la République comme juridiction permanente et ayant vocation à juger les membres du gouvernement pour toute sorte d’infractions (1993) est une mauvaise idée qui abaisse, une fois de plus, le politique au profit du juge. Sa permanence même lui permet de recevoir des plaintes de particuliers, expression de tous les ressentiments.

Avec le Code pénal Badinter, en vigueur depuis 1994, ont été créés des délits fourre-tout, rétifs à la règle multiséculaire de l’interprétation stricte des incriminations. L’article 223 est une véritable bombe qui fait de  tout honnête homme, avec ou sans responsabilités publiques, un délinquant potentiel par inadvertance. Voyez la mise en danger de la vie d’autrui (article 223-1)* ou l’abstention d’agir réputée dangereuse (article 223-7). Tout cela est fumeux donc subjectif. L’ancien code pénal (1810-1994), beaucoup plus strict, ne connaissait de délits d’imprudence qu’au vu de conséquences objectives avérées (homicide ou blessures graves involontaires, articles 319 et 320).

Voilà de véritables épées de Damoclès prêtes à frapper tout-un-chacun, ministres inclus. Et voilà aussi pourquoi le gouvernement  est si hésitant et incertain quant aux décisions franches à prendre face à la pandémie. Aucun ministre prenant une décision cherchant à être déterminante, avec un inévitable risque vital dans la population en l’occurrence, ne peut plus exclure de finir frappé par une condamnation pénale à l’instar de n’importe quel voyou.

Le syndrome garde-frontière est-allemand

Quant à la responsabilité judiciaire pour des décisions régaliennes, ceux qui se sont réjoui des condamnations, même limitées et symboliques, de garde-frontière est-Allemands ont eu tort. Certes, en leur temps je suppose que je n’aurais pas eu d’état d’âme pour leur tirer dessus ; mais après la chute de la République démocratique allemande (RDA/DDR), force aurait dû être d’admettre qu’ils avaient obéi aux ordres d’un pouvoir, sinon légitime, du moins revêtu de l’effectivité – comme dit le droit international.

Il s’agit d’une métastases de la théorie dite des « baïonnettes intelligentes », qui permet de poursuivre en justice un soldat pour l’exécution d’ordres, mêmes conformes précédemment aux us et coutumes de la guerre (comme protéger sa frontière ou se débarrasser de partisans hors-la-loi). Cette justice («Vae victis », malheur au vaincu) n’est pas seulement léonine, elle est également impolitique et même anti-politique, à l’image de l’État de droit. Pareille jurisprudence fait que nous ne pouvons plus envisager de tirer pour protéger nos frontières contre les immigrants envahisseurs ; pareille jurisprudence fait que nous ne pourrons plus envoyer l’armée rétablir l’ordre dans les banlieues du chaos ethnique, puisque nos soldats n’auront plus le droit de… tuer ?!

Sans une révolution rétablissant le bon sens, et donc l’exclusion de la souveraineté politique du champ judiciaire comme, il sera vain de prendre le pouvoir dans un but de sauvegarde nationale et identitaire. Le pouvoir sera aux mains des juges et une Jeanne d’Arc salvatrice irait de nouveau en prison ou au supplice, mais cette fois même pas par la volonté arbitraire d’un ennemi…

Face à la pandémie nous sommes mal gouvernés, d’une part parce que nos gouvernants sont mauvais, mais d’autre part parce qu’ils ont tout simplement peur du juge ! Comment faire face à une catastrophe nationale si l’on n’a plus la légitime licence du pouvoir et la capacité d’affronter, dans le monde réel, une tragédie ?

De État de droit au droit sans État

Ce nouveau rôle du juge est porté par cette coquecigrue pathologique d’importation qu’est l’État de droit, dont la maxime délétère est : « Pereat mundus fiat justicia » (périsse le monde plutôt que la justice). Il s’inscrit, par delà les souverainetés nationales ou populaires, dans un mirage métaphysique internationale, poussant à l’hybris des juges, sans onction démocratique, à se prendre en quelque sorte pour Dieu. La chose est d’autant plus délirante, que les juges, eux qu’aucun peuple souverain n’a élu, ne toléreraient pas d’être jugés à leur tour, par quelque aréopage se prononçant, lui vraiment « au nom du peuple français », comme on le lit dans la formule exécutoire de toutes les décisions judiciaires !

Aussi était-ce avec sagesse que la constitution française de 1958 reconnaissait les pouvoirs exécutif et législatif, mais non pas le pouvoir judiciaire, qualifié seulement d’ « autorité judiciaire » (article 64).

Les juges en sont venus à s’estimer compétents pour juger les députés qui auraient utilisé abusivement les services de leurs attachés parlementaires ; les mêmes pousseraient des cris d’orfraies si, symétriquement, une commission parlementaire prétendait examiner, dans son cabinet, le travail d’un juge d’instruction ! La séparation des pouvoirs n’est plus pensée ni simplement perçue. L’État de droit c’est le désordre de nos institutions ci-devant républicaines.

Disons les choses : nous ne sommes plus gouvernés, en France comme en Occident (avec des modalités variées), parce que, juridiquement parlant, nous ne sommes plus gouvernables.

Éric Delcroix
27/05/2020

* Voyez la critique que j’en ai faite dans le Théâtre de Satan, Éditions de l’Æncre, 2002 et 2010.

Source : Correspondance Polémia

Crédit photo : Domaine public

Éric Delcroix

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