Par Eric Delcroix, juriste, essayiste et écrivain ♦ J’ai lu sur le Net que des gens de la mouvance nationale ou identitaire proposaient un « procès de Nuremberg de la santé », afin de poursuivre en justice les responsables politiques qui ont fait preuve de leur imprévoyance brouillonne face à la pandémie de covid 19. Pourtant, non seulement le grand procès de Nuremberg est une référence malheureuse, type même du procès partial à proscrire, mais l’idée même de judiciariser plus et encore notre vie politique me paraît terriblement pernicieuse. Notre mouvance paie au prix fort l’instauration des lois bâillons et anti-discriminatoires : il lui faut revenir sur terre et cesser de choir dans les rets du système de la gouvernance libérale et mondialiste judiciarisé. Méfions nous de la démesure du tout judiciaire invasif, d’inspiration américaine.
La souveraineté, qui est immunité judiciaire, ne se divise pas
L’impéritie de nos dirigeants, illustrée par le manque de réactivité (refus idéologique de fermer nos frontières), la pénurie de matériel sanitaire de première nécessité (masques, gants, gel hydroalcoolique) justifie la défiance du peuple. Et, au plus vite, un changement dans le personnel politique. Mais pas des condamnations judiciaires, à plus forte raison pénales. On s’est gaussé de la célèbre formule de Georgina Dufoix, « Responsable mais pas coupable » (1991) ; pourtant, du point de vue de la forme, c’est bien elle qui avait raison ! La responsabilité politique est très distincte de la culpabilité judiciaire et pénale ; elle doit le rester ou le redevenir. La responsabilité d’un mauvais ministre est politique, aussi justifie-t-elle son éviction et le renvoi dans ses pénates. Aux citoyens, il appartient de le critiquer, de le couvrir d’opprobre et de… mieux voter à l’avenir !
Un responsable politique est en charge d’une part de la souveraineté de l’État ; Président de la république, chef du gouvernement ou ministre, ne devraient répondre ès qualité en justice que dans des cas de trahison, concussion ou corruption. Il en était ainsi du temps de la Haute cour, juridiction aussi exceptionnelle que sporadique. La constitution de la Cour de justice de la République comme juridiction permanente et ayant vocation à juger les membres du gouvernement pour toute sorte d’infraction (1993) est une mauvaise idée et abaisse, une fois de plus, le politique au profit du juge. Sa permanence même lui permet de recevoir des plaintes de particuliers, expression de tous les ressentiments.
Avec le Code pénal Badinter, en vigueur depuis 1994, il existe au moins un délit fourre-tout, rétif à la règle multiséculaire de l’interprétation stricte, savoir la mise en danger de la vie d’autrui (article 223-1), véritable épée de Damoclès. Et voilà aussi pourquoi le gouvernement est si hésitant et incertain quant aux décisions franches à prendre face à la pandémie. Aucun ministre prenant une décision cherchant à être déterminante, avec un inévitable risque vital dans la population en l’occurrence, ne peut plus exclure de finir frappé par une condamnation pénale.
Le garde-frontière est-allemand
Quant à la responsabilité judiciaire pour des décisions régaliennes, ceux qui se sont réjoui des condamnations, même limitées et symboliques, de garde-frontière est-Allemands ont eu tort. Certes, en leur temps je suppose que je n’aurais pas eu d’état d’âme pour leur tirer dessus, mais après la chute de la République démocratique allemande (RDA/DDR), force aurait été d’admettre qu’ils avaient obéi aux ordres d’un pouvoir, sinon légitime, du moins revêtu de l’effectivité – comme dit le droit international. Cette justice («Vae victis », malheur au vaincu) n’est pas seulement léonine, elle est également impolitique et même anti-politique. Pareille jurisprudence fait que nous ne pouvons plus envisager de tirer pour protéger nos frontières contre les immigrants envahisseurs ; pareille jurisprudence fait que nous ne pourrons plus envoyer l’armée rétablir l’ordre dans les banlieues du chaos ethnique, puisque nos soldats n’auront plus le droit de… tuer !
Tel est l’héritage pervers du grand procès de Nuremberg (1945-1946), métastases de la théorie dite des « baïonnettes intelligentes », qui permet de poursuivre en justice un soldat pour l’exécution d’ordres mêmes conformes précédemment aux us et coutumes de la guerre (comme protéger sa frontière ou fusiller des partisans hors-la-loi).
Sans une révolution rétablissant le bon sens, et donc l’exclusion de la souveraineté politique du champ judiciaire, il sera vain de prendre le pouvoir dans un but de sauvegarde nationale et identitaire. Le pouvoir sera aux mains des juges et une Jeanne d’Arc salvatrice irait de nouveau en prison ou au supplice, mais cette fois même pas par la volonté arbitraire d’un ennemi…
Face à la pandémie nous sommes mal gouvernés, d’une part parce que nos gouvernants sont mauvais, mais d’autre part parce qu’ils ont tout simplement peur du juge ! Comment faire face à une catastrophe nationale si l’on n’a plus la légitime licence du pouvoir et la capacité d’affronter, dans le monde réel, une tragédie ?
Ce nouveau rôle du juge est porté par cette coquecigrue d’importation qu’est l’État de droit, dont la maxime délétère est « Pereat mundus fiat justicia » : « Périsse le monde plutôt que la justice ».
Nous ne sommes plus gouvernés parce que, juridiquement parlant, nous ne sommes plus gouvernables.
Éric Delcroix
03/05/2020
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Domaine public