L’Union européenne a un bilan catastrophique. Mais il ne faut pas mélanger des institutions mondialistes et l’avenir d’un continent. Il ne faut pas davantage confondre l’Union européenne, construction provisoire, et une civilisation millénaire, la civilisation européenne. C’est en tout cas la conviction du professeur Gérard Dussouy auteur d’un ouvrage nerveux : « Contre l’Europe de Bruxelles. Fonder un Etat européen ». Un livre à contre-courant préfacé par Dominique Venner : deux raisons de s’y reporter ! En voici en tout cas la présentation critique par Pierre Le Vigan. Polémia
« L’Union européenne, est à la dérive. La question commence à être posée de sa fin possible, à travers les difficultés récurrentes de la zone euro et l’inefficience de ses principaux rouages. Le repli sur ses vieilles nations serait-il pour autant la planche de salut d’une expérience malheureuse et qui aurait tourné court parce qu’elle allait à contre-sens de l’Histoire ? Certainement pas, quand on constate que tous les pays européens présentent, à des degrés divers, le même syndrome caractéristique des fins de cycle civilisationnel.
Plus que jamais, le seul recours est dans la construction de. L’Etat européen, par et pour les peuples d’Europe. » Gérard Dussouy
L’Europe oscille entre le dogme suranné de la souveraineté nationale, suranné parce que la souveraineté réelle ne peut plus s’exercer à ce niveau, et un européisme angélique dont l’impuissance à résoudre les problèmes qui se posent aux Européens ne peut qu’alimenter la nostalgie des souverainetés nationales. Une double impasse. Gérard Dussouy, géographe et spécialiste des questions de la mondialisation, montre la convergence pour l’Europe de plusieurs crises : une crise démographique, – l’Europe ne renouvelle pas sa population, vieillit et son poids dans le monde s’amenuise -, une crise identitaire liée à l’immigration – fausse solution au problème précédent et même facteur aggravant (« l’immigration met un terme à toute mémoire collective, qu’il s’agisse de la mémoire européenne ou de la mémoire nationale »), une crise économique marquée par le sous-emploi et le déplacement du centre de gravité mondial vers « le Grand Océan » c’est-à-dire l’Océan Pacifique plus l’Océan Indien, enfin une crise de la volonté et de la représentation même de l’Europe. Ce dernier point mérite attention : il fait de l’Europe de Bruxelles un objet politique non identifié. Les dirigeants européens refusent, seuls dans le monde, de se penser garants d’une histoire, d’une identité, d’un destin collectif. Ils ne veulent fixer à l’Europe ni un contenu, ni des frontières, ni un objectif mobilisateur. L’irénisme des dirigeants, leur incapacité à doter l’Europe d’un outil militaire conséquent n’est que le corollaire de cette absence de vision proprement politique. Bernard-Henry Lévy affirme : « S’il y a un sens à être européen, c’est précisément des valeurs qui ne sont pas liées au sol natal, mais qui ont vocation à s’universaliser, qui valent pour tous les humains. Le sens de l’Europe, c’est le sens de l’universel » (29 janvier 2013). Selon les intellectuels mondialistes, l’Europe doit donc être « ouverte vers l’ouverture ». Tous « unis vers l’uni » en d’autres termes. Cet universalisme l’a pour l’instant emporté : l’Europe refuse d’affirmer tous les éléments constitutifs de son identité (« demain nous fêterons les Blandine » nous dit-on mais jamais « demain ce sera la Sainte Blandine » !). Nous en sommes là : l’Europe est le seul lieu du monde qui refuse d’affirmer ce qu’il est sur son propre sol.
Gérard Dussouy remarque : « L’Union Européenne n’est qu’un système régional de négociations internationales ; au mieux est-elle assimilable à une confédération économique. » Mais comme il n’y a pas de bonne économie sans bonne politique l’Europe s’enfonce dans tous les domaines. Elle risque de disparaître, quelques décennies seulement après sa réunification à la chute du mur de Berlin. Etrange paradoxe. Une étrange défaite sans même avoir combattu.
« Les Européens, s’ils entendent être partie prenante au jeu multipolaire qui s’organise entre les Etats-Unis et les puissances asiatiques, n’ont pas d’autre choix que de se réunir dans un État continental. »
Il est bien tard, mais le pire n’est pas encore certain pour l’Europe. Gérard Dussouy propose un changement radical d’orientation. Il ne retient pas la solution d’une simple confédération d’Etats. Cette piste, dite souvent celle des « Etats-Unis d’Europe », est sans doute suffisante quand un Etat ou un groupe d’Etats est assuré de ses frontières, de la cohésion de ses peuples, de son identité, de son unité historique. C’est le cas des Etats-Unis d’Amérique. Mais cette piste est complétement inadaptée à la situation actuelle de l’Europe. Notre Europe est menacée de disparition en tant que civilisation, ses peuples eux-mêmes ne sont pas à l’abri d’une extinction. Faiblesse démographique et fatigue du sens se conjuguent. L’auteur propose ainsi un Etat européen, bien entendu fédéral, et assis sur des Etats eux-mêmes régionalisés, voire fédéraux. La France serait ainsi redécoupée en une quinzaine de grandes régions toutes suffisamment importantes pour avoir une certaine viabilité économique et pour éviter la main-mise de Paris et sa région. Le localisme s’articulerait ainsi avec un grand espace européen autocentré (André Grjebine). Ceci irait bien sûr avec le rétablissement d’une préférence économique européenne abandonnée à Maastricht en 1992. L’immigration extra-européenne devrait être totalement et définitivement arrêtée afin de limiter la fragmentation ethnique déjà à l’œuvre. L’économie devrait être réorientée vers une économie productive, en tournant le dos, notamment en France, à la création excessive d’emplois publics par les collectivités territoriales dont le nombre de niveaux (communes, communautés de communes, départements, régions) est à l’évidence trop important. L’auteur réhabilite aussi la notion de sécurité sociétale (Ecole de Copenhague avec Charles-Philippe David) qui insiste sur le fait qu’une société « est définie par son identité et que celle-ci s’exprime en termes culturels. » C’est cette exigence qui est à l’origine de ce que Dominique Reynié a appelé « populisme patrimonial » c’est-à-dire la revendication de rester soi-même dans son style de vie.
« L’essor des phénomènes migratoires va exacerber les réflexes communautaristes, aussi bien parmi les populations d’accueil que parmi les populations immigrées. »
Au rebours d’Emmanuel Kant et de Hegel, les intellectuels en vogue ont dépassé l’anxiété cartésienne, qui est l’écart perçu entre le monde et sa compréhension, mais par le bas. Ces intellectuels ont expliqué que cette angoisse n’a plus lieu d’être car la marche du monde n’est faite que de contingence. Rien n’est explicable dans l’histoire, ce qui nous débarrasse d’un lourd fardeau. L’ennui c’est que rien n’est plus faux. Au contraire, Gérard Dussouy montre que l’histoire est un rapport de forces. Il faut savoir vouloir, et se donner les moyens de sa volonté. L’Europe n’est certes pas une nation, reconnait l’auteur. Mais elle est une civilisation, une façon d’être au monde. Elle peut donc être le creuset d’un Etat européen. Il faut pour cela un saut qualitatif : non une Europe des Etats (soit une addition d’impuissances) mais des transferts de souveraineté à un Etat européen. Il faut pour cela cultiver un « patriotisme géographique » (Jean-Marc Ferry), tout autre que le « patriotisme constitutionnel » cher à Jürgen Habermas. Ce patriotisme européen à naître, c’est peut-être la présence d’une statue de Roland de Roncevaux à Riga qui en donne le signal. Puisse cet exemple être contagieux et éveiller l’âme des peuples européens.
Pierre Le Vigan
Source : metamag.fr
29/04/2013
Gérard Dussouy, Contre l’Europe de Bruxelles. Fonder un État européen, préface de Dominique Venner, Tatamis, 2013, 188 p.
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