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Conseil unique d’Alsace

Conseil unique d’Alsace

par | 22 juillet 2014 | Politique

Conseil unique d’Alsace

Le 7 avril prochain aura lieu un référendum d’initiative locale dans les deux départements alsaciens, aux fins de fusionner le Conseil régional d’Alsace et les deux Conseils généraux des Haut-Rhin et Bas-Rhin. Une telle réforme territoriale ne manque pas de provoquer des engagements opposés et les polémiques qui en découlent. L’idée n’est pas récente, puisqu’elle semble avoir été lancée dès 1989 par les régionalistes. Leurs opposants redoutant qu’elle soit retenue, par la suite, pour toutes les régions de France, ils ne manquent pas de leur répondre que la tradition régionaliste séculaire de l’Alsace et sa spécificité culturelle franco-alémanique lui permettent d’envisager une telle réforme sans avoir à craindre qu’elle ne soit étendue à la France entière.
Polémia

En Alsace, le 7 avril, un référendum va porter sur un projet de fusion des deux conseils généraux, du Haut Rhin et du Bas Rhin, avec le conseil régional d’Alsace. Il naitra ainsi, en cas de succès du oui au référendum dans les conditions requises, notamment en termes de pourcentage de votants, un conseil territorial d’Alsace, collectivité unique dotée des attributions auparavant dévolues aux autres. Une collectivité locale à la place de trois. Beaucoup de régionalistes sont pour, ainsi que de nombreux antijacobins, ces derniers employant un terme ambiguë mais consacré car en fait le jacobinisme désigne d’abord un centralisme politique plus qu’administratif, le centralisme à la fois politique et administratif ayant surtout été établi par Napoléon 1er.

Du côté opposé aux régionalistes (y compris ceux, nombreux, liés aux écologistes), les souverainistes et la direction du Front national ont fait connaître leur opposition à ce projet. Leur principal argument est que l’on ne réforme pas la France par morceaux de territoire. Or le regroupement prévu des conseils généraux et régionaux ne se ferait que dans la région Alsace. Marine Le Pen affirme à propos du projet de conseil territorial d’Alsace :

 « Par principe, je considère qu’on ne touche pas à l’administration d’un pays région par région – sinon, c’est le foutoir intégral ! Si jamais ce projet devait passer, ce serait un précédent dangereux. Ce serait le début du détricotage de la République, ainsi qu’une grande victoire pour l’Union européenne et les technocrates de Bruxelles, qui œuvrent sans cesse à la dissolution des nations. (…) ».

Nicolas Dupont-Aignan parle de son côté de « décentralisation féodale », expression aussi utilisée par la présidente du F.N.

L’argument de la réforme qui ne se fait par au coup par coup, à la carte selon les régions, est de fait très important. Que dirait-on de l’Allemagne si une partie d’entre elle était fédérale et une autre partie directement rattachée au pouvoir central ? C’était d’ailleurs le cas quand le roi de Prusse était en même temps Empereur d’Allemagne, de 1871 à 1918, et cela créait une situation largement faussée. L’argument des souverainistes est donc totalement recevable, pas seulement de leur point de vue, mais du simple point de vue de tous ceux qui souhaitent que la République française (car une République n’est pas de n’importe où, ou alors elle n’est rien) ait encore un sens (ce qui est mon cas). La question n’est aucunement : jacobinisme ou pas. Il peut y avoir un jacobinisme régional, et pas seulement national, et les deux peuvent avoir autant de défauts. La question n’est pas non plus exactement la déconstruction de la France par les régions, argument souvent avancé par les souverainistes (français, précisons, car il existe aussi un possible souverainisme européen). La question des rapports entre l’Europe de Bruxelles et les régions est en effet plus complexe que certains souverainistes ne l’avancent. En un sens, il n’est pas faux d’affirmer que les régions affaiblissent l’État central. C’est la fameuse thèse comme quoi la France se vide par en haut, par l’Europe, et par en bas, par les régions. Mais en un autre sens, on constate que l’État central est le meilleur relais de l’application des directives européennes, y compris les plus contestables. En d’autres termes, en France, l’État met son « savoir-faire » uniformisateur (ou caporalisant pour être plus polémique) au service de l’Europe de Bruxelles. Il n’est même pas exclu que, parfois, le régionalisme puisse être un point d’appui pour des résistances populaires face aux décrets des eurocrates.

La seule question qui vaille est donc de vouloir faire une réforme dans une région et pas ailleurs. S’il reste un droit français, un droit national, ce n’est pas acceptable. Cette réforme serait-elle d’ailleurs transposable dans son état actuel ?
La décentralisation date des lois de 1982-83. Le problème français est qu’elle s’est faite avant tout au profit des départements qui concentrent la plus grande part des impôts locaux par habitant, à part les communes et leurs regroupements. Sur 100 euros d’impôts locaux, 10 vont aux régions, 60 aux communes, et 30 aux départements.

Exemple : la région Bourgogne en 2012. Budget régional : environ 800 millions. Total des budgets des 4 départements qui composent la région : presque 2 milliards (Yonne 400 millions, Côte d’or 600, Nièvre 300, Saône et Loire 600. Total 1900 millions). C’est sans doute cette situation qu’il faudrait inverser au profit des régions. Mais faut-il aller jusqu’à supprimer les départements ? Le cas de l’Alsace ne peut-être extrapolé, à supposer d’ailleurs que même pour l’Alsace cette réforme n’amène pas à renforcer le centralisme autour de Strasbourg. L’Alsace n’a que deux départements. Il faut d’ailleurs remarquer qu’elle est amputée du Territoire de Belfort, historiquement alsacien. Dans les autres régions de France, plus étendues, avec plus de deux départements, la suppression de ces derniers supprimerait un échelon de proximité, une référence en termes d’identité et accentuerait l’abandon de certains territoires, à l’écart de tous projets.

Reprenons notre exemple de la Bourgogne. À l’ouest de cette région se situe la Nièvre, dont la préfecture Nevers, qui en est aussi la plus grande ville, est aussi excentrée à l’extrême ouest. La Nièvre serait encore plus marginalisée dans le cas d’une suppression des départements. Tout se déciderait à Dijon, capitale de la région Bourgogne. Ce serait encore plus flagrant si les projets européistes de fusion de régions se faisaient. Il est ainsi proposé par certains technocrates de fusionner Franche-Comté et Bourgogne, ce qui excentrerait davantage encore la Nièvre, au rebours de toute politique d’aménagement du territoire, une ambition abandonnée et pourtant plus que jamais nécessaire.

Il faut donc raisonnablement conserver les départements et les élections départementales mais certainement supprimer la compétence générale donnée aux conseils dits « généraux », à renommer conseils départementaux. Cette compétence générale doit être réservée aux régions et aux groupements de communes. On voit que la vraie question du référendum d’Alsace n’est pas de choisir entre centralisme ou décentralisation, ni entre départements et régions, mais entre une cohérence nationale des réformes territoriales ou l’absence de cohérence. De même que la mauvaise Europe ne cesse de chasser la bonne (et de dégouter tout le monde de l’Europe), une mauvaise décentralisation peut chasser la bonne.

Pierre Le Vigan
19/03/ 2013

* Cet article a été initialement publié le 23/03/2013. C’est l’été : Polémia ralentit ses mises en ligne de nouveaux textes et rediffuse de plus anciens avec un mot d’ordre : « Un été sans tabou ». Voici donc des textes chocs aux antipodes du politiquement correct, des réflexions de fond sans concession et à la rubrique médiathèque, des romans et des essais à redécouvrir.

Pierre Le Vigan

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