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La parution, aux éditions de La Nouvelle Librairie[1] de Comprendre la stratégie hongroise, livre de Balázs Orbán[2], juriste, politologue et directeur politique du Premier ministre hongrois Viktor Orbán, tombe à point nommé au moment où, une nouvelle fois, les médias mainstream font le procès de la Hongrie et maintenant de la Slovaquie accusée de suivre son exemple. L’ouvrage, préfacé par Viktor Orbán lui-même, constitue en effet une analyse positive et documentée des réalisations du gouvernement actuel de la Hongrie. Il comporte d’ailleurs un appareil bibliographique et des références très développées[3], à vrai dire aussi intéressantes que le texte lui-même.
Une démarche stratégique originale
Mais l’auteur ne se limite pas à cela car il replace l’action politique entreprise depuis 2010 dans le cadre plus large de l’histoire et de la culture millénaire de la Hongrie. Ce que souligne le Premier ministre hongrois dans sa préface : l’intérêt du livre à ses yeux est bien de donner « les valeurs et les principes issus de notre histoire et de notre caractère national, sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour aborder les décennies à venir ».
C’est en cela qu’il constitue une démarche stratégique originale et paradoxalement valable pour d’autres pays : car Balázs Orbán nous explique que le temps des modèles uniques est justement révolu, et, à l’exemple de la Hongrie, il nous invite à choisir en nous-mêmes notre propre modèle. Et à rester suffisamment souples pour nous adapter aux événements et surmonter les obstacles.
Donc une approche aux antipodes du progressisme mondialiste et dogmatique qui prétend imposer un seul modèle à toute l’humanité, indépendamment du contexte culturel de chaque pays.
La réouverture des opportunités historiques
Sur ce plan, Balázs Orbán constate que la guerre froide et l’affrontement entre deux blocs ont contribué à geler la réflexion politique en Europe, puisque l’apparente victoire du « monde libre » a entretenu l’illusion d’une marche irrépressible de l’histoire dans un seul sens : le triomphe du modèle occidental néo-libéral et capitaliste, qu’évoque l’Américain Francis Fukuyama dans son célèbre essai sur la fin de l’histoire.
Orbán montre que Fukuyama a commis l’erreur de ne pas prendre en compte « la possibilité d’un changement de circonstances et le mouvement d’acteurs ne dépendant pas de nous et poursuivant des intérêts opposés aux nôtres[4] ».
Et, justement, de nombreux événements imprévus sont venus ébranler la croyance dans la victoire du modèle occidental néo-libéral : principalement, les attentats islamistes de 2001, l’appauvrissement de la classe moyenne qui était jusqu’alors le principal soutien du système libéral occidental, la crise financière de 2008 qui a sapé la confiance dans les décideurs, la crise migratoire de 2015 qui a révélé l’impuissance des gouvernements européens. Sans parler de l’expérience propre aux pays de l’ex-bloc soviétique, soumis à un traitement de choc néo-libéral qui a déstabilisé leurs sociétés, les soumettant à une insécurité économique et culturelle totale.
De fait, aujourd’hui, les modèles uniques ont perdu en crédibilité, sur fond d’émergence de la multipolarité : ce qui constitue pour Orbán une opportunité historique qu’il faut saisir. Une opportunité que la Hongrie a su en tout cas saisir pour forger son propre modèle et pour « tourner autour de son propre axe », comme écrit l’auteur.
Voyage au cœur de l’identité hongroise
Dans la seconde partie de son essai, Balázs Orbán nous replonge donc dans l’histoire singulière de la Hongrie, pays chrétien d’Europe, situé dans le bassin des Carpates, mais dont la population n’est pas d’origine uniquement européenne.
Une monarchie mais respectueuse des libertés et de l’autonomie, un pouvoir partagé entre le souverain et la nation (théorie de la Sainte Couronne), une nation accueillante mais qui sait résister aux envahisseurs et défendre ses frontières qui seront aussi celles de la chrétienté. Des guerriers mais pas des conquérants. Des Hongrois à la fois divisés et unis pour la survie de leur patrie, malgré ses tribulations.
Une nation qui compta longtemps en Europe jusqu’au catastrophique traité de Trianon qui amputa le pays des deux tiers de sa superficie et de sa population après la Première Guerre mondiale. Puis la Seconde Guerre mondiale et la soumission au bloc soviétique, suivie de la « reconstruction » néo-libérale ont achevé de marginaliser la Hongrie.
En 2010, lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, écrit Balázs Orbán, nous héritions d’une « performance économique se détériorant, un État et une population endettés et un gouvernement dysfonctionnel[5] ».
On a l’impression qu’il décrit la situation actuelle de la France…
La politique concrète de la Hongrie
C’est en partant de ce qui constitue les traits principaux de l’identité hongroise – goût de la liberté, suspicion vis-à-vis des idées étrangères, importance donnée au christianisme dans la vie de la cité, rôle historique de la nation hongroise dans la stabilisation du bassin des Carpates principalement – que le nouveau gouvernement de Viktor Orbán va entreprendre la renaissance de son pays par la mise en place d’un nouveau système.
La dernière partie de l’essai de Balázs Orbán présente ainsi les principaux choix politiques mis en œuvre, en application de ces principes.
D’abord et à rebours de l’idéologie libérale selon laquelle l’État devrait rester neutre en la matière, le nouveau gouvernement a affirmé les valeurs « qu’il considérait comme importantes pour la communauté, en l’occurrence pour la nation hongroise[6] ». Par exemple, le respect de la famille et l’obligation pour les enfants de s’occuper de leurs parents… On comprend que cela ne plaise pas aux progressistes de Bruxelles !
La mise en œuvre, ensuite, d’une politique économique originale : impôt sur le revenu à taux unique, nombreux avantages fiscaux pour les familles, introduction de taxes spéciales sur les secteurs ayant dégagé des profits malgré la crise, maintien de la souveraineté hongroise sur les infrastructures critiques et l’énergie, réduction de la facture énergétique des ménages, baisse des cotisations sociales des entreprises, révision de la protection sociale pour encourager le retour au travail ; et, sur le plan budgétaire, une politique stricte d’équilibre et de réduction de la dette.
Un exemple, donc, de ce qui peut être accompli même dans le carcan de l’Union européenne…
Une révolution postlibérale ?
On ne va évidemment pas citer ici tout ce que détaille Balázs Orbán de la politique mise en œuvre par le gouvernement de Viktor Orbán, synthèse réussie de cohérence mais aussi de pragmatisme, notamment face aux attaques de Bruxelles et aux rapports de force réels en Europe.
L’oligarchie européenne accuse ce pays d’illibéralisme, ce qui serait à ses yeux un crime capital, avec celui de populisme et, bien sûr, avec le refus d’une immigration de peuplement qui remettrait en cause l’identité chrétienne de la Hongrie.
Pourtant le terme de postlibéralisme serait plus approprié, car il s’agit bien d’un dépassement du libéralisme à l’anglo-saxonne qui est en train de se produire en Hongrie, et d’ailleurs dans la plupart des pays émergents qui sont justement en train de rattraper sur de nombreux plans les pays occidentaux : une nouvelle synthèse entre liberté économique et intervention publique, entre commerce international et protection des secteurs stratégiques pour la nation, entre liberté individuelle et prise en compte des droits de la nation à la continuité, entre ouverture économique et protection des frontières.
En ouverture du livre de Balázs Orbán, Thibaud Gibelin rappelle opportunément que Dominique Venner considérait que « le grand mouvement qui explose en Europe de l’Est […] qui n’a pas encore de nom, répudie aussi bien le libéralisme que le socialisme. Il est un retour aux sources des peuples ».
Une vision prophétique que confirme Balázs Orbán dans son essai Comprendre la stratégie hongroise, qu’on lira donc avec grand intérêt, en ayant aussi en tête la situation actuelle de la France.
Michel Geoffroy
Première publication le 08/10/2023
Notes
[1] Orbán (Balázs), Comprendre la stratégie hongroise, éditions de La Nouvelle Librairie, 2023, 20 euros.
[2] Malgré son nom, il n’a pas de parenté avec Viktor Orbán.
[3] Environ 100 pages de notes…
[4] Orbán (Balázs), op.cit., p. 53.
[5] Ibid., p. 93.
[6] Ibid., p. 118.
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