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Comment les banques gagnent de l’or en stérilisant des matières premières

Comment les banques gagnent de l’or en stérilisant des matières premières

par | 3 août 2013 | Économie

Comment les banques gagnent de l’or en stérilisant des matières premières

Pour les ultralibéraux les marchés et les bourses éclairent les décideurs économiques à l’aide d’indicateurs rationnels. La réalité est tout autre : adossées aux facilités financières de la Banque fédérale de réserve américaine (la FED), les grandes banques de Wall Street spéculent sur les matières premières (pétrole, blé, cuivre, aluminium, etc.), pèsent sur leurs cours et disposent, avant d’autres acteurs économiques, d’éléments permettant d’anticiper l’évolution du cours de bourse des entreprises qui achètent les matières premières, objet des spéculations. C’est l’institutionnalisation du délit d’initié. Même certains journaux américains « mainstream » commencent à s’en émouvoir. Polémia publie sous la signature d’une de ses correspondantes un texte présentant un article de David Kocieniewski, paru le 20 juillet 2013, dans le « New York Times ». Nous livrons aussi à nos lecteurs l‘intégralité de l’article intitulé « Des tas d’aluminium mais, pour les banques, de l’or pur ». À déguster et à méditer.
Polémia

Je suis avec beaucoup d’intérêt l’actualité financière, comme on lit un polar, sauf que la fin n’est pas encore rédigée…

Plusieurs grosses banques (Goldman Sachs, JP Morgan par exemple) ont mis en place une spéculation sur les matières premières (blé, pétrole, aluminium, etc.). Dans l’article ci-après que j’ai traduit en français (tiré du New York Times) il est décrit très précisément comment elles procèdent. Vous comprendrez comment certains malins ont deviné que le cuivre allait flamber ; attention aux poignées de porte qui risquent de disparaître !

Pour rappel ou information, Blythe Masters, une Anglaise de 48 ans, chargée du négoce sur les matières premières de la JP Morgan, a créé en 1994 ce qu’on appelle les CDS ou couvertures de défaillance. L’idée était de diluer sur plusieurs assureurs le risque d’assurance supporté pour de grosses opérations financières. Le procédé a été repris partout et, au final, a été un des éléments de la crise des subprimes. Pierre Jovanovic a écrit un livre à son sujet, que l’on peut compléter par les ouvrages de Paul Jorion sur la crise financière pour comprendre les mécanismes qui ont conduit à la situation actuelle.

Certaines banques dont Goldman et la JP Morgan, se sont aussi focalisées sur le marché des matières premières, surtout après le commencement de la crise en 2008. La JP Morgan a créé ce qu’elle nomme un centre de profit consacré à cette activité. Or, la semaine dernière, la JP Morgan a décidé d’y mettre un terme et négocie actuellement un accord à l’amiable de 500 millions d’euros avec les autorités, pour éviter des poursuites à l’encontre de la banque et de Blythe Masters.

Ce qui est intéressant est que quand on lit la presse anglo-saxonne (article ci-après) il est fort possible que Goldman Sachs et JP Morgan se fassent une guerre impitoyable, via les autorités de régulation qui ne seraient pas réellement aux manettes. C’est la bataille des Titans. Goldman a l’air de prendre le dessus. D’après certaines sources journalistiques, il n’y aurait pas de place pour deux.

Quelle est la conséquence économique pour les citoyens (là où les Anglais utiliseraient le vocable de consommateurs tant ils sont imprégnés de commerce) ?

– une inflation : les prix des denrées alimentaires augmentent beaucoup plus que le taux d’inflation officiel ;
– les salaires et pensions non indexés sur cette inflation réelle ;
– l’argent ne circule pas dans l’économie mais va soit dans des jeux d’écriture soit se placer dans des bulles spéculatives ;
– les banques anglo-saxonnes bénéficient d’argent gratuit (planche à billets de la Fed) et peuvent acquérir des actifs d’autant plus facilement qu’on explique aux Etats qu’étant déficitaires ou défaillants ils ont tout intérêt à vendre leurs bijoux de famille ;
– les économies des Français servent à renflouer les banques françaises en sursis (le livret A etc. qui va renflouer l’ardoise de Dexia) et, donc, cet argent ne circule pas non plus.

On laissera le lecteur libre d’imaginer les conséquences. Nous risquons d’avoir :

– une surveillance de la population par des moyens techniques accrus (caméra, traçabilité, etc.) qui sera justifiée par la montée des vols, incidents, etc. ;
– un contrôle de l’argent accru (comme l’obligation de payer en virement tout paiement à partir de 10.000 euros et bientôt 4.000 euros) afin d’éviter la ruée aux guichets en cas de défaillance ;
– une augmentation de la fiscalité, et notamment immobilière pour obliger les gens à payer des taxes ou à vendre (et payer d’autres taxes en vendant), or, vu la montée du chômage, il va y avoir des situations d’arbitrage douloureux ;
– une monnaie qui perd de sa valeur, avec la création éventuelle d’une nouvelle monnaie avec une zone plus large (Etats-Unis + Europe) ; voir l’analyse de Pierre Hillard sur ce sujet.

Il a été déjà mis en place un système de renflouage des banques européennes via les comptes bancaires qui seraient ponctionnés en cas de faillite, ce qui comprend les comptes de dépôts de trésorerie des entreprises.

Bonne lecture, en attendant que les Goldman & Cie rachètent les instruments de musique après nous avoir fait bien danser !

VBS
29/07/2013

Des tas d’aluminium mais, pour les banques, de l’or pur

Des centaines de millions de fois par jour, des Américains assoiffés ouvrent une cannette de soda, de bière ou de jus de fruit. Et à chaque fois, ils payent une fraction d’argent en plus à cause des manœuvres de la part de Goldman Sachs et d’autres agents financiers coûtant finalement aux consommateurs des milliards de dollars.

L’origine de ce mécanisme commence dans les 27 entrepôts de la région de Detroit où une filiale de la Goldman Sachs entrepose l’aluminium des consommateurs. Chaque jour, une flopée de camions déplacent des barres de métal entre ces entrepôts. Deux à trois fois par jour, parfois plus, les camionneurs suivent le même parcours. Ils remplissent un entrepôt. Ils en vident un autre. Et ils recommencent.

Cette gigue logistique a été chorégraphiée par Goldman pour user de la régulation des prix déterminée pour les échanges de matière première, ce qu’une enquête du New York Times a révélé. Ces allers-retours augmentent les délais de stockage. Et cela remplit de plusieurs millions annuels les coffres de la Goldman qui détient les entrepôts et fait payer des loyers pour le stockage. Cela fait aussi augmenter les prix payés par les manufacturiers et par les consommateurs dans tout le pays.

Tyler Clay, un camionneur qui travaillait dans les entrepôts de Goldman jusqu’à cette année, appelle ce procédé « le tour de manège des métaux ».

Seulement environ un dixième du prix d’une cannette peut être imputé à cette stratégie. Mais multiplions cela par 90 milliards de cannettes consommées par an aux E-U (ajoutez les tonnes d’aluminium dans les voitures, l’électronique, etc.) et les efforts de la Goldman et d’autres opérateurs financiers auront coûté aux consommateurs plus de 5 milliards de dollars sur les 3 dernières années, d’après d’anciens cadres, analystes ou consultants de ce secteur.

Le prix gonflé artificiellement de l’aluminium n’est qu’une manière dont Wall Street exerce ses muscles et capitalise sur des règlements fédéraux plus laxistes afin d’influencer une série de marchés des matières premières, selon des documents réglementaires, les archives et des interviews de personnes dans ces secteurs.

Ces manœuvres dans les marchés du pétrole, blé, coton, café et d’autres encore ont ramené des profits aux banques comme la Goldman, JP Morgan et la Morgan Stanley, obligeant les consommateurs à payer un peu plus à chaque fois qu’ils font le plein, allument la lumière, boivent une bière ou achètent un téléphone portable. L’année dernière, les autorités fédérales ont accusé 3 banques, dont la JP Morgan, de truquer le prix de l’électricité et la semaine dernière la JP Morgan essayait d’obtenir un règlement à l’amiable qui pourrait lui coûter 500 millions de dollars.

Utilisant des exemptions spéciales octroyées par la Réserve fédérale et des règlements plus lâches approuvés par le Congrès, les banques ont acheté une quantité impressionnante d’infrastructures utilisées pour le stockage et la livraison (des pipelines, raffineries en Oklahoma, Louisiane, Texas, des flottes de tankers pétroliers dans le monde, des sociétés qui contrôlent les opérations dans des ports principaux comme Oakland, Calif., et Seattle).

Dans le cas de l’aluminium, Goldman a acheté la Metro International Trade Services, l’une des plus grandes sociétés spécialisées dans le stockage des métaux. Plus du quart de l’approvisionnement disponible sur le marché est gardé dans les entrepôts de cette société à Detroit.

Avant que Goldman achète cette société il y a 3 ans, les clients des entrepôts attendaient une moyenne de six semaines pour que leur achat soit localisé, enlevé et livré. A l’heure actuelle, maintenant que la Goldman détient cette société, la durée d’attente a été multipliée par plus de dix (plus de 16 mois, selon les données du secteur).

Des délais plus longs peuvent être perçus comme une simple difficulté, mais ils font augmenter les prix partout dans le pays, à cause de la formule économique utilisée pour fixer le prix du métal sur le marché de gré à gré. Les délais sont devenus si problématiques que Coca-Cola et d’autres manufacturiers n’achètent pas d’aluminium stocké là-bas. Mais ils achètent de toute façon de ce fait, à un prix plus élevé.

Goldman Sachs déclare être en conformité avec les standards du secteur qui sont fixés par le marché des métaux de Londres et il n’est pas suggéré que ces activités enfreignent quelque loi ou règlement que ce soit. Metro International, qui n’a pas souhaité s’exprimer à ce sujet, a dans le passé attribué les délais d’attente à des problèmes de logistique, un manque de camions et de conducteurs, et des complications administratives pour le suivi de ce métal. Mais les interviews conduites avec des employés et anciens employés de cette société, ainsi qu’avec une personne ayant une connaissance approfondie du business plan de la société, suggèrent que les temps d’attente prolongés font partie de la stratégie de la société et permettent à Goldman d’augmenter les profits de ses entrepôts.

Metro International détient environ 1,5 million de tonnes d’aluminium à Detroit mais les règles de l’industrie veulent qu’un métal ne peut rester ad vitam aeternam dans un entrepôt. Au moins 3.000 tonnes doivent bouger chaque jour. Mais presque aucun métal que la Metro déplace ne va aux clients, selon nos interviews. A la place, il est déplacé d’un lieu de stockage à l’autre.

Puisque la Metro Internaional facture un loyer pour chaque jour de métal stocké, les longues attentes provoquées par le mouvement de l’aluminium entre les entrepôts signifient de plus grands profits pour Goldman. Et comme le prix du stockage est un des éléments majeurs du « premium » qui forme le prix du marché de l’aluminium, les délais signifient un prix plus élevé pour pratiquement tout le monde, même si le métal ne passait jamais par l’un des entrepôts de Goldman.

Selon des analystes de l’industrie de l’aluminium, les délais prolongés de la Metro International depuis que Goldman l’a acquise sont la raison majeure du doublement du prix sur le marché depuis 2010. Le résultat est un coût additionnel de 2 dollars pour 1.000 cannettes de boisson, et près de 12 dollars pour une voiture américaine moyenne.

« C’est un coût totalement artificiel », a déclaré Jorge Vazquez, cadre dirigeant à Harbor Aluminium Intelligence, une société de conseil dans les matières premières ; « cela pèse sur l’économie, et tout le monde paye ».

Les représentants de la Metro ont déclaré qu’ils ne faisaient que réagir aux forces du marché et sur leur site internet ils décrivent leur rôle comme permettant de « regrouper ensemble les producteurs de métal, vendeurs et utilisateurs » aidant à « créer et maintenir la stabilité » des échanges.

Mais la place de Londres des échanges du métal, qui suit 719 entrepôts dans le monde, n’a pas toujours été un arbitre impartial ; elle reçoit 1% de tous les loyers reçus par les entrepôts. Jusqu’à l’année dernière, elle était détenue par certains membres, notamment Goldman, Barclays et Citigroup. Beaucoup de ses règlements ont été formulés par le comité sur le stockage de la place de Londres des échanges du métal, incluant le président de la Metro ainsi que des représentants de sociétés de commerce puissantes en Europe. La place des échanges du métal a été vendue l’année dernière à un groupe d’investisseurs de Hong Kong et ce mois-ci il a été proposé de nouvelles régulations qui pourraient être effectives en avril 2014 et dont l’effet attendu est de réduire les congestions de Metro.

Tout ceci pourrait finir si le conseil de la Banque fédérale américaine refusait de proroger les exemptions qui ont permis à Goldman et Morgan Stanley de faire des investissements majeurs dans des activités non financières, bien qu’il y ait des signes que Washington et la Fed vont laisser la situation inchangée. Les banques de Wall Street pendant ce temps ont tourné leur attention sur une autre matière première : après des efforts de lobbying continus, la SEC a approuvé l’année dernière un plan qui va permettre à JP Morgan Chase, Goldman et BlackRock d’acheter 80% du cuivre disponible sur le marché.

Dans les documents officiels de la SEC, Goldman a déclaré qu’au début de l’année prochaine elle prévoyait de stocker au même endroit, à Detroit, du cuivre. Samedi dernier cependant, Michael DuVally, un représentant de Goldman, a déclaré que la banque avait décidé de ne pas s’engager dans le cuivre bien qu’il ne l’ait pas publiquement confirmé. Il n’a pas souhaité détailler ce sujet.

Les banques sont devenues des négociants de matière première

Durant presque tout le dernier siècle, le Congrès avait essayé de maintenir un mur entre les activités bancaires et le commerce : les banques ne pouvaient pas détenir des activités non financières (et vice-versa) pour minimiser les risques qu’elles prenaient et, enfin, pour protéger les déposants. Le Congrès a renforcé ces règles dans les années 1950 mais dans les années 1980, une vague de dérégulation commença et les banques, dans certains cas, se sont transformées en traders, selon Saule T. Omarova, un professeur de droit à l’Université de Caroline du Nord et expert en régulation financière. Goldman et d’autres sociétés ont obtenu l’approbation du législateur pour acheter des sociétés qui échangeaient du pétrole ou d’autres matières premières. D’autres restrictions furent réduites ou levées dans les années 1990 quand certaines banques ont été autorisées à se diversifier sur le stockage et le transport de marchandises.

Ces dix dernières années, une poignée de sociétés détenues par des banques ont cherché et obtenu l’approbation de la Fed pour acheter des actifs de trading de matières premières.

Selon les documents officiels concernant la JP Morgan Chase, la Fed a déclaré que ces arrangements ne pouvaient être approuvés que s’ils ne posaient aucun risque pour le système bancaire et pouvaient « raisonnablement produire des effets positifs pour le public comme une meilleure disponibilité, une compétition accrue, une plus grande efficacité, effets supérieurs à d’éventuels effets négatifs comme une concentration excessive des ressources, une baisse de la compétitivité ou une compétition déloyale, des conflits d’intérêts ou des pratiques bancaires déraisonnables ».

En contrôlant les entrepôts, pipelines et ports, les banques ont une connaissance importante du marché, d’après les analystes. Cela leur permet d’avoir une avance sur la transaction sur le marché des matières premières. Sur le marché des actions, une telle structuration peut être vue comme un conflit d’intérêt, ou même une information privilégiée. Mais dans le domaine du marché des matières premières, c’est parfaitement légal.

« L’information a de la valeur dans le monde du trading des matières premières, et la seule manière de l’obtenir est d’être dans le marché physique », d’après Jason Schenker, président et économiste en chef de Prestige Economics à Austin, Texas. « Ainsi, les institutions financières qui s’impliquent dans le trading des matières premières ont un avantage décisif car la propriété d’actifs réels leur donne des informations sur le flux physique des matières premières ».

Certains investisseurs disent que les banques ont aidé les consommateurs en encourageant les investissements et en rendant les marchés plus efficaces. Mais même les banques ont parfois avoué que les activités de Wall Street dans les matières premières sur les dix dernières années ont contribué à une partie des augmentations des prix.

En 2011, par exemple, un mémo interne de Goldman Sachs suggère que la spéculation des investisseurs compte pour un tiers du prix du baril de pétrole. Un membre de la commission des trading sur les contrats à terme, un régulateur fédéral, a utilisé cette estimation pour calculer que la spéculation a généré 10 dollars de coût dans le plein d’un conducteur américain moyen. D’autres experts ont trouvé que le coût total combiné serait de 200 milliards par an.

De hauts premiums (franchises ou bonus)

L’entrée dans l’un des principaux entrepôts de Metro International de la région de Detroit n’est pas signalée hormis un panneau avec deux mots : Mount Clemens, soit le nom de la ville.

La plupart du temps en journée il n’y a qu’une poignée de voitures sur un parking et, à 17 heures, le parking et le poste de surveillance sont souvent vides d’après les voisins. Cependant à l’intérieur de deux entrepôts caverneux il y a des rangées et des rangées de barres de métal gigantesques, pesant plus d’une tonne chaque, empilées sur 4,5 m de hauteur.

Après que Goldman eut acheté la société en 2010, Metro International a commencé à entasser. Elle a même commencé à payer un bonus important aux traders qui stockaient leur aluminium chez elle – tandis que la réserve d’aluminium augmentait, de 50.000 tonnes en 2008 à 850.000 en 2010 et à près de 1,5 million aujourd’hui, le temps d’attente pour retirer le métal et le prix, aussi. A l’été 2011, les augmentations de prix ont amené Coca-Cola à se plaindre auprès du régulateur de l’industrie, le London Metal Exchange (L.M.E.), indiquant que les retards de Metro en étaient la cause.

Martin Abbott, à la tête de la L.M.E. a alors indiqué qu’il ne pensait pas que les retards de livraison étaient la cause du problème. Mais le groupe a essayé de calmer la fureur en imposant de nouvelles règles sur le doublement du volume de métal que les entrepôts devaient envoyer chaque jour, de 1.500 à 3.000 tonnes. Mais peu de traders ou de manufacturiers pensaient que cela réglerait le problème.

« Ce changement est trop faible et trop tardif pour avoir un effet effectif à moyen terme sur un marché physique déjà très tendu, surtout aux Etats-Unis », d’après un analyste de la Morgan Stanley dans une note de cet été destinée aux investisseurs.

En effet, les temps d’attente de la Metro ont augmenté, provoquant une nouvelle augmentation du coût. D’anciens et d’actuels employés de la société disent que ces délais sont intentionnels.

Les analystes et les employés de sociétés pensent que la grande majorité de l’aluminium déplacée dans les entrepôts de la société Metro n’appartient pas à des manufacturiers ou des grossistes, mais à des banques, des hedge funds et des traders. Ils achètent des lots d’aluminium dans des contrats financiers. Quand ces contrats arrivent à terme, et le métal avec, les propriétaires peuvent choisir de les renouveler, un processus connu sous le nom de re-warranting.

Pour encourager les spéculateurs sur l’aluminium à renouveler leurs contrats, Metro offre à certains clients un bonus de 230 dollars par tonne, et généralement déplace le métal d’un endroit à l’autre, selon des analystes et des employés de la société.

Pour les propriétaires, ces bonus signifient de la trésorerie immédiate et la possibilité de réaliser des profits si les prix augmentent. Pour Metro, cela permet de garder des délais longs, et de facturer un coût de stockage de 48 cents par tonne. Goldman a acheté la société pour 550 millions de dollars en 2010 et, aux taux actuels, elle pourrait ramasser près de 250 millions de loyers par an.

Les responsables de la Metro ont refusé de discuter les détails des renouvellements contractuels ou des politiques commerciales.

Mais les analystes en métal, comme M. Vazquez, estiment que 90%, ou plus, du métal déplacé à Metro chaque jour partent dans un autre entrepôt pour recommencer le même jeu. Ce chiffre a été confirmé par des employés de la société familiers avec les comptes de la Metro et qui se sont exprimés anonymement à cause des politiques de confidentialité de la Metro.

Goldman Sachs n’a pas souhaité parler du détail de ses opérations. M. DuVally, porte-parole de Goldman Sachs, a indiqué que la London Metal Exchange interdit aux sociétés de stockage de métaux d’être propriétaire de métaux, donc tout l’aluminium chargé et déchargé par Metro est stocké et envoyé vers d’autres propriétaires.

« En fait », a-t-il dit, « les entrepôts de métaux ont l’interdiction de vendre ou d’acheter tous les produits de ce type pour leur propre compte ».

Comme les délais d’attente ont augmenté, beaucoup de manufacturiers se sont tournés ailleurs pour acheter leur aluminium, souvent en achetant directement auprès des mines ou des points de traitement, en s’affranchissant totalement des entrepôts/grossistes. Mais même actuellement, les délais augmentent les coûts des manufacturiers, car ils impactent le premium qui s’ajoute au prix de l’aluminium vendu sur le marché.

La danse des entrepôts

Malgré les retards, beaucoup des entrepôts de Metro n’ont qu’une seule tournée et restent sans activité pendant 12 heures par jour. Dans une ville comme Detroit, où les usines opèrent 24h sur 24h si besoin est, les employés disent qu’un rythme si lent n’a pas de précédent.

Quand ils travaillent, les manutentionnaires disent qu’il est plus urgent de charger ou de déplacer l’aluminium d’un entrepôt à l’autre plutôt que de l’envoyer ailleurs. M. Clay, un manutentionnaire, qui a travaillé à Mount Clemens jusqu’à février dernier, a indiqué que si l’aluminium arrive par de gigantesques trains, il quitte les lieux par mince filet et en camion.

« Ils remplissent un entrepôt et parfois, quand l’un est totalement plein, ils le ferment et envoient les conducteurs ici pour en remplir un autre », d’après M. Clay, 23 ans.

Comme le principal est simplement transporté d’un entrepôt à l’autre, les employés disent qu’ils voient régulièrement les mêmes conducteurs faire trois ou plus d’allers-retours chaque jour. Anthony Stuart, un chef d’équipe de Mount Clemens jusqu’à 2012, a dit que lui et son neveu, qui travaillait dans un entrepôt de Metro à 4 km à Chester Township, demandaient régulièrement aux chauffeurs de passer des messages entre eux.

« Parfois je parlais à mon neveu le week-end et nous plaisantions à ce sujet, je lui demandais s’il avait reçu tout le métal que nous lui avions envoyé, et il me répondait que oui, me demandant si j’avais tout ce qu’ils nous avaient envoyé ».

M. Stuart a aussi ajouté qu’il ne croit pas en l’explication de Metro selon laquelle la raison majeure des retards en mois des délais de livraison était la difficulté pour la société de localiser le lot d’aluminium spécifique de chaque client et de déplacer les énormes barres pour y accéder. Quand il arrivait au travail, la tâche de M. Stuart était d’identifier et d’enlever les lots spécifiques des vastes piles de l’entrepôt et de les préparer pour les camions.

« Tout est organisé en rangées », a-t-il dit, « vous pouvez trouver et prendre tout ce que vous voulez en une journée si vous le voulez. Et si vous êtes pressé, quelques heures suffisent au maximum ».

Quand la place des échanges des métaux de Londres (L.M.E.) a été vendue à une société de Hong Kong pour 2,2 milliards de dollars l’année dernière, son directeur exécutif avait promis d’utiliser un « bazooka » pour régler le problème d’attente prolongée.

Mais le nouveau propriétaire de cette place des échanges a reculé et a adopté une solution proposée par un consultant engagé pour étudier la question en 2010 : limiter le loyer que les entrepôts peuvent collecter durant l’attente de la livraison. La place des échanges reçoit 1% de ce loyer, donc une telle mesure lui coûterait des millions en chiffre d’affaires.

D’autres utilisateurs d’aluminium ont pressé la place des échanges d’interdire les sociétés de stockage d’offrir des bonus à ceux qui ne font que stocker des réserves d’aluminium, mais sans succès.

Le mois dernier cependant, après des plaintes d’un consortium de brassiers, la place a proposé de nouvelles règles qui exigeraient que les sociétés de stockage livrent plus de métal qu’elles ne réceptionnent. Mais des sociétés financières ont levé des objections à ces nouvelles mesures, en déclarant qu’elles pourraient impacter négativement les traders et les producteurs. Le conseil de la place des échanges va soumettre au vote cette proposition en octobre et, si elle passait, elle ne pourrait pas prendre effet avant avril 2014.

Nick Madden, chef des achats pour l’un des plus grands acheteurs d’aluminium du pays, Novelis, a dit que cette situation illustrait les dangers de laisser les industries se réguler elles-mêmes. Il a ajouté que la place des échanges a toléré pendant des années des délais d’attente et des premiums sur les prix, et sa proposition, bien qu’encourageante, est encore loin de régler la question. « Nous sommes soulagés que la place prend enfin des mesures qui vont au final aider le marché et normaliser la situation », a-t-il dit. « Cependant, nous allons encore avoir une nouvelle année de prix gonflé et un risque d’approvisionnement ».

Entretemps, la Fed, qui régule Goldman Sachs, Morgan Stanley et d’autres banques, revoit ses exemptions qui ont permis aux majors de faire des investissements dans les matières premières. Certaines de ces exemptions ont des dates limites, mais la Fed ne semble pas avoir de plan qui requerrait les banques de vendre leurs infrastructures de stockage et d’autres infrastructures de matières premières, selon des personnes informées.

Un représentant de la Fed, Barbara Hagenbaugh, nous a fourni la déclaration suivante : « La Réserve fédérale suit régulièrement les activités sur les matières premières des sociétés supervisées et est en train de suivre la directive de 2003 selon laquelle certaines activités sur les matières premières sont complémentaires d’activités financières et de ce fait autorisées pour les sociétés détenues par des banques ».

Le sénateur Sherrod Brown, qui participe aux discussions au Congrès qui auront lieu mardi prochain au sujet de l’acquisition par Wall Street des lieux de stockage, pipelines et autres actifs liés aux matières premières, a dit qu’il espère que la Fed surveille les banques.

« Les banques devraient être des banques, pas des sociétés pétrolifères », d’après M. Brown, sénateur démocrate de l’Ohio ; « elles devraient faire des prêts, pas manipuler les marchés pour augmenter les prix des manufacturiers et exposer notre système financier entier à des risques indus ».

Prochainement, le cuivre

Puisque Goldman Sachs a bénéficié de son entrée follement lucrative dans le marché de l’aluminium, la JP Morgan est allée plus loin grâce à des plans pour établir un centre de profit incluant un métal encore plus crucial : le cuivre, une matière première pour l’industrie qui est extrêmement utilisée pour les maisons, l’électricité, les voitures et d’autres produits que les économistes suivent comme baromètre de l’économie mondiale.

En 2010, la JP Morgan s’est embarquée dans une frénésie d’achat sur le marché du cuivre. En quelques semaines (le temps nécessaire pour identifier l’acheteur mystérieux) la banque a amassé 1,5 milliard de cuivre, plus de la moitié disponible stockée dans tous les entrepôts de la place. Les prix du cuivre ont atteint des sommets en conséquence.

En même temps, la JP Morgan, qui contrôle aussi des entrepôts de métaux, a cherché à faire approuver un plan qui pourrait finalement lui permettre, ainsi que Goldman et BlackRock, d’acheter 80% du cuivre disponible sur le marché pour le compte d’investisseurs et de l’acheminer dans des lieux de stockage. Ces sociétés ont déclaré au législateur que ces réserves, qui seront utilisées pour sécuriser de nouveaux fonds de transaction sur le cuivre, n’affecteraient pas le prix de ce dernier. Mais les manufacturiers et les grossistes ont averti que ces arrangements vont tendre le marché et envoyer les prix au sommet. Ils ont demandé à la SEC de rejeter le plan proposé.

Après une campagne de lobby intense par les banques, Mary L. Schapiro, de la SEC, a approuvé les nouveaux fonds sur le cuivre en décembre dernier, durant ses derniers jours en fonction. Les représentants de la SEC ont déclaré penser que ces fonds vont suivre le prix du cuivre mais ne vont pas l’influencer, et convergent avec la position de ces sociétés – contre l’avis de certains économistes – que la réduction du volume de cuivre disponible sur le marché ne va pas faire augmenter les prix.

D’autres ont actuellement peur que Wall Street répète ou améliore les stratégies qui ont provoqué l’augmentation des prix de l’aluminium. Une telle situation, disent-ils, aura des conséquences sur toute l’économie. Les consommateurs finiront par payer plus cher pour des biens aussi divers que la plomberie, les voitures, les téléphones portables et les télévisions.

Robert Bernstein, un avocat de la firme Eaton & Van Winkle, qui représente les sociétés qui utilisent du cuivre, déclare que ses clients craignent la pression des investisseurs financiers sur le marché : « Nous pensons que la SEC n’a pas vu l’évidence ».

David Kocieniewski,
Source : The New York Times
20/07/2013
Traduction :  VBS pour Polémia

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