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Comment la guerre US ruine et remodèle le monde

Comment la guerre US ruine et remodèle le monde

par | 2 novembre 2014 | Géopolitique

Comment la guerre US ruine et remodèle le monde

« La guerre américaine est l’une des plaies principales du monde aujourd’hui ».

Les portes du temple de Janus n’étaient qu’exceptionnellement fermées : Rome, qu’elle fût gouvernée par des rois, un Sénat ou des princes, pour établir ses conquêtes ou maintenir sa paix, fit perpétuellement la guerre. C’est aussi le cas des États-Unis. La guerre est leur état normal, leur ciment constitutif et le fond de leur politique. C’est l’une des raisons de leur soutien systématique à Israël, dont la guerre est le berceau et le moyen de vivre.

La guerre américaine est l’une des plaies principales du monde aujourd’hui

En particulier, le processus de dislocation de l’Irak lancé en 1990, le désordre diffusé de la Tunisie à l’Égypte sous le nom de Printemps arabe, la guerre de Libye, celle de Syrie et d’Afghanistan, ont mené au choc entre l’Occident et le bloc arabo-musulman et à l’érection du califat islamique en ennemi mondial numéro un, en barbare absolu, pour ainsi dire en substitut ou en continuateur du nazisme. Ce califat islamique, rendu célèbre par quelques vidéos et une demi-douzaine de décapitations, fait se récrier les regardeurs d’écran de Tel Aviv à San Francisco, quand même ils se réjouissent de millions d’avortements : comme quoi la morale est un mystère insondable. Quoi qu’il en soit, il est fermement établi qu’il s’agit d’un golem de fabrication américaine. D’abord, ce califat islamique a poussé sur le terreau d’un Irak volontairement détruit par l’élimination de Saddam Hussein, dont les Anglo-Saxons ont entretenu la déliquescence en favorisant les chiites, brimant les sunnites, et en empêchant les anciens cadres du parti Baas de reprendre la main. Ensuite, même dans ce chaos organisé, les moyens de surveillance américains suffisaient largement pour empêcher l’islamisme de se lever et de croître à ce point, en se servant notamment des arsenaux irakiens. Il est donc établi que les États-Unis ont laissé se dresser cet épouvantail parce qu’ils avaient besoin dans le croissant fertile d’une nouvelle guerre et d’un nouvel Ennemi. Nouvelle guerre qui permet l’épuration ethnique et religieuse des chrétiens et prépare un nouveau découpage du Proche-Orient. Nouvel Ennemi parce que Saddam et Oussama sont morts et que Poutine ne suffit pas à tout.

Une guerre révolutionnaire qui s’en prend aux civils

Ces rapides constatations d’actualité une fois faites, il est utile de crayonner une esquisse d’analyse de la guerre américaine. Ou plutôt de la guerre yankee. On a noté, depuis la Guerre de sécession, la manière particulière qu’ont les Yankees de faire la guerre. Ils bombardent les voies de communications et les usines, brûlent les villes, font le blocus des ports, etc. Ce n’est pas absolument nouveau. Déjà les anciens Grecs, quand ils ne pouvaient prendre une cité, sciaient ses pommiers et ravageaient ses champs pour l’affaiblir. Mais avec les Yankees, la chose a été systématisée et portée à son comble. En 1991, le but des États-Unis, le secrétaire d’État Baker l’avait affirmé à Tarek Aziz, n’était nullement de vaincre l’armée irakienne, mais de ramener l’Irak vingt-cinq siècles en arrière en le ruinant. Voilà qui est clair : les objectifs assignés aux militaires américains sont d’abord des objectifs civils. Les Vietnamiens, les Allemands, les Français de la façade atlantique, affamés par les blocus et broyés ou brûlés par les bombes, peuvent témoigner de l’efficacité du procédé. Il change la nature de la guerre.

On peut parler de guerre des lâches, ou des bourreaux, mais on n’aura rien dit d’utile : la guerre américaine est révolutionnaire comme le fut aussi la guerre menée par le communisme chinois, c’est une guerre où le peuple est à la fois la cible, l’enjeu et le moyen. Après les efforts menés par l’Église catholique pendant le Moyen Age pour tempérer la guerre, la soumettre autant que faire se peut à un minimum de règles, les juristes laïcs ont repris cette tâche, surtout après la très horrible Guerre de Trente Ans. Et cela a mené vaille que vaille à la conférence organisée à La Haye par Nicolas II en 1899 pour la prévention de la guerre et le désarmement, qui devait fonder ce que l’on nomme aujourd’hui le droit humanitaire. Las, malgré les illusions d’un tsar de bonne volonté, la guerre a changé dans un sens radicalement inverse de celui qu’il souhaitait. En 1800, à la veille de la guerre lancée par Napoléon en Espagne, la proportion des civils dans les victimes de guerre était de 20%, contre 80% de militaires environ. Environ, car il n’est pas toujours aisé de faire le décompte – ni toujours le départ entre « civils » et « militaires ». Aujourd’hui, la proportion s’est inversée. C’est ce que constate, par exemple, le American Journal of Public Health.

Plusieurs facteurs contribuent à cette inversion : les camps de concentration, utilisés largement depuis la Guerre des Boers menée par les Britanniques à l’orée du XXe siècle, la magnification des francs-tireurs partisans lors de la Seconde Guerre mondiale, qui a effacé la frontière militaire-civil, suspendant les lois de la guerre, généralisant combat de rue et représailles, provoquant ainsi d’horribles massacres de part et d’autre, enfin le couple blocus/bombardement aérien, si efficace dans les meurtres de masse des civils. Les États-Unis sont donc en pointe dans l’extension de la guerre aux civils, d’autant plus qu’ils ont lancé plus de deux cents conflits dans le monde depuis 1945 (sans compter ceux où ils n’apparaissent pas officiellement, mais qu’ils ont provoqués et entretenus par tous les moyens, comme en Ukraine).

Si l’on passe maintenant des moyens aux fins, les Américains assurent faire la guerre pour le bien. Ils ne se fixent jamais pour but de guerre de piquer le pétrole du voisin ou de prendre la maîtrise d’une réserve d’eau. Ils entendent seulement prévenir, pour le bien de l’humanité tout entière et leur sécurité bien entendue, un abus manifeste que se prépare à commettre l’adversaire. Ils ne prétendent pas se battre au nom de Dieu, mais comptent sur lui pour faire triompher la cause du droit qu’ils défendent et incarnent. Ils ne disent pas Gott mit uns, mais : la justice, le progrès, l’humanité, sont avec nous. Et contre nous s’élèvent l’étendard de la tyrannie, les États voyous, l’Axe du mal, dont le califat brandit aujourd’hui la bannière. Toutes les bonnes volontés, chics types et chiques filles, doivent se lever contre l’horreur verte comme ils se sont dressés hier contre la peste brune. La prétention du yankee à mener une guerre juste lui épargne les cas de conscience et la réflexion précise d’un saint Thomas d’Aquin : la justesse présumée d’une guerre ne dépend pas d’un ensemble de conditions strictement définies, remplies ou non, mais de la personnalité des belligérants. Si l’on se trouve dans le camp du bien et que l’on combat le camp du mal, la guerre est dite juste. Par la communion des justes, même Staline en Pologne était du côté des bons, était un gentil.

Une perpétuelle croisade des démocraties

En 2003, lorsque les peuples commencèrent à douter de la présence d’armes de destruction massive en Irak, le Britannique Tony Blair vint à la rescousse de son grand frère américain Bush : en admettant qu’il y ait un doute (et il n’y en avait pas, selon lui), éliminer Saddam était nécessaire à l’établissement de la démocratie au Proche-Orient. Bush lui emboîta le pas et ils partirent pour la plus lâche des guerres, suivie de la pire des paix. L’Amérique mène ainsi une perpétuelle croisade des démocraties. Cela nécessite, bien sûr, pour que les observateurs ne hurlent pas de rire ou d’effroi, un intense travail de propagande, afin d’ajuster la réputation de guerre juste à la réalité constatée. La mise en scène d’une décapitation fera oublier que le napalm, le phosphore, les mines antipersonnel ou les bombes à fragmentation ne sont pas des armes très folichonnes. Le mot frappe masquera opportunément les dévastations de bombardements aveugles. On disait à l’origine « frappe chirurgicale », ajoutant que les missiles Patriot pouvaient passer par une chatière : ce vocabulaire suggérait fortement que seuls les coupables étaient touchés. La criminalisation de l’ennemi, commencée à Nuremberg, s’accroît et s’étend sans cesse : témoins des listes de dirigeants russes désignés au mépris public et à la police bancaire après l’affaire ukrainienne.

Henry Kissinger, juif allemand, ancien mentor de Richard Nixon en matière étrangère, recommandait récemment à Barack Obama de veiller aux intérêts bien compris des États-Unis plutôt qu’à l’extension de la Démocratie. Il abordait ainsi la question primordiale des cibles et de la stratégie de la guerre américaine. Prenons quelques exemples depuis 1914. Pendant et après la Grande Guerre, leurs banquiers (Schiff, Warburg), soutiennent vivement les Soviétiques : trente ans après, l’Amérique trouvera dans l’Union soviétique sa principale ennemie. Dans les années vingt et trente, les États-Unis et leurs banquiers soutiennent l’Allemagne contre la France. Moins de dix ans après, ils seront les ennemis mortels du IIIe Reich. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le général en chef Eisenhower infléchit ses offensives de sorte que l’Europe de l’Est tombe aux mains des Soviétiques. Au même moment, Washington finance et arme le Viet Minh, tout en faisant son possible pour expulser les Français d’Indochine. Cinq ans après, c’est la Guerre froide, ils devront financer la France pour tenir l’Indochine, et, dix ans de plus, ils s’enliseront jusqu’au cou dans le bourbier vietnamien, incapables de venir à bout de ce même Viet Minh. En 1953, les États-Unis signent avec l’Arabie Saoudite, foyer de l’extrémisme wahhabite, et le Pakistan, Mecque de l’extrémisme Tablighi, un pacte à trois pour assurer la stabilité de la région et l’approvisionnement en pétrole. Résultat : l’Arabie Saoudite financera le terrorisme islamiste, et le Pakistan répandra le Tablighi fondamentaliste. Beaucoup plus tard, les États-Unis susciteront les Talibans, et Oussama Ben Laden, contre l’Union soviétique, avant d’affronter les Talibans et de nommer Ben Laden ennemi public numéro un. La créature se retourne toujours contre son créateur, le golem échappe toujours à la maîtrise de son fabricateur. Alors, faut-il conclure que les États-Unis sont depuis un siècle des apprentis-sorciers, ou, en d’autres termes, des imbéciles géopolitiques, de grands enfants incapables de remplacer la Grande-Bretagne dans le rôle de gendarme du monde ?

Une stratégie désastreuse voulue

C’est ce qu’il paraît difficile de croire à la longue. D’autant qu’ils jouissent des moyens de renseignement les plus puissants du monde, d’universitaires érudits, de cercles de réflexion (« think tanks ») et de revues de géopolitique où se débattent longtemps à l’avance les questions les plus graves. On doit en tirer la conséquence que, sinon les dirigeants de façade, du moins ceux qui les commanditent, savent ce qu’ils font et que cette stratégie désastreuse est voulue. Franklin Roosevelt, avant de mourir, avait lancé l’ONU et préparé la conférence de San Francisco qui prévoyait un condominium américano-russe sur le monde, l’éviction de l’Europe, ses miasmes et ses colonies, et l’amorce d’une gouvernance globale bipolaire. Les contradictions apparentes de la guerre américaine dans les soixante ans qui ont suivi ont opportunément permis de détruire les empires européens, de soumettre par la guerre froide tant l’Europe de l’Est que l’Europe de l’Ouest (et bien d’autres pays), de faire de l’Europe un grand marché d’exportation, tout en l’éliminant en tant que concurrent économique et en tant que puissance politique, de garantir l’approvisionnement en énergie et en matières premières de l’Amérique, de soutenir l’industrie d’armement américaine, et de mettre un nombre croissant de nations du monde dans l’esprit et la position d’accepter une gouvernance globale.

Longtemps, la guerre américaine a maintenu deux fers au feu et fédéré les appétits, satisfaisant Washington et New York, la république des États-Unis, les milieux d’affaire, l’ONU. De même que les victoires de l’An II satisfirent en même temps Carnot, organisateur de la défense nationale, et Anacharsis Cloots, sectateur de la république universelle. République universelle, gouvernance globale, les deux expressions disent la même chose. Depuis les débuts de la révolution américaine, une même idéologie, que j’ai appelée ailleurs, naguère, démosophie, promeut une nouvelle forme de gouvernement mondial, celui des sages, qui organiseraient un pouvoir d’apparence démocratique et de principes maçons. C’est celle que sert Obama.

Hannibal
Source : Rivarol du 30/10/2014

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