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Commémorations de 14-18 : patriotisme et nationalisme

Commémorations de 14-18 : patriotisme et nationalisme

par | 17 novembre 2014 | Société

Commémorations de 14-18 : patriotisme et nationalisme

« La comparaison entre les jeunes recrues de 14-18 qui partaient se battre pour leur patrie et le “patriotisme” médiatique des supporters sportifs qui se barbouillent la figure de leurs couleurs nationales exige une double interprétation… »

On mesure la gigantesque différence de mentalité entre la jeunesse d’aujourd’hui et celle qui fut mobilisée en 14-18. Le patriotisme était un sentiment qui dépassait l‘individualisme : on acceptait de souffrir et de donner sa vie pour la patrie, c’est-à-dire pour une instance collective nommée « France ». Il y a de multiples lettres de jeunes soldats, très émouvantes, qui écrivent à leur famille (ils ont entre 18 et 30 ans) en expliquant que, dans l’assaut du lendemain, ils vont probablement y passer mais qu’ils sont fiers de mourir pour la France. L’un d’eux signe : « soldat de France », en disant adieu aux siens. Ils renoncent à toute une vie, avec une sorte de provocation patriotique qui méprise la mort et surmonte la peur. G.F.

Sacrifice et martyre

Et ce n’est pas, comme les martyrs religieux qui eux, ne meurent pas pour une patrie charnelle mais pour une croyance et l’espoir individualiste d’un paradis dans l’au-delà. « L’amour de la patrie est un si digne sort qu’on briguerait en foule une si belle mort » dit l’Horace de Corneille. Celui qui donne sa vie pour sa patrie le fait sans aucun espoir de récompense, mais simplement pour l’honneur.

L’honneur, c’est d’abord le regard que porteront sur le héros sa famille et les générations futures de sa Cité. Ce sentiment est l’esprit de sacrifice. Il est désintéressé et complètement différent du martyre, qui est intéressé. Les configurations culturelles ancestrales de l’Europe et du Japon sont, à cet égard, assez proches : l’esprit de sacrifice pour la patrie y sont les mêmes, depuis L’Illiade et les 300 Spartiates. Les kamikaze japonais qui se sacrifiaient pour leur Empire en frappant des guerriers, à égalité, étaient aussi honorables que sont méprisables les « martyrs kamikazes » islamiques qui massacrent des innocents en croyant, dans leur suprême bêtise égoïste, qu’ils seront accueillis dans le « paradis d’Allah ». L’honneur contre la lâcheté et la superstition.

La Grande Guerre : une tragédie grecque

Donc, l’esprit de sacrifice patriotique qui a culminé en 14-18 (1,5% de défections seulement, alors que l’état-major en attendait 15%) a évidemment permis à la France de ne pas être envahie par le Reich wilhelmien. « Ce que nous avons fait, c’était plus que ce que l’on pouvait demander à des hommes et nous l’avons fait », écrivait Maurice Genevoix. Mais cette guerre a aussi sonné le glas de l’Europe, comme l’avaient prévu deux « pacifistes », l’un, Jaurès avant la conflagration et l’autre, Céline, après. la Guerre de 14-18, fondée sur le nationalisme, a été une catastrophe épouvantable pour les peuples européens, et notamment pour la France.

Les chiffres : 1,4 millions de morts, soit 1 Français sur 28 et 28,36% de la classe d’âge 19-22 ans (jeunesse masculine décimée), 4 millions de blessés ; sur 8 millions de mobilisés, 1 sur 3 est rentré intact. 700.000 veuves, 1 million d’orphelins. Déficit des naissances : 1,5 millions après guerre. Sans compter les destructions apocalyptiques dans les régions occupées et les zones de combat. Une sorte de guerre civile continentale, un massacre interethnique européen. En Europe, on dénombre 10 millions de jeunes soldats tués et 9 millions de victimes civiles Pour la France, le bilan fut le plus lourd. De plus, à l’inverse de l’Allemagne qui ramena ses élites à l’arrière, les intellectuels, les artistes, les scientifiques français payèrent un lourd tribut : plus de la moitié des élèves de Normale Sup furent tués. Le secrétaire général de l’Élysée fut tué, comme nombre de députés. La France souffrira longtemps de l’absence de ces jeunes élites.

Comme me l’avait dit un jour l’historien Dominique Venner, à son avis, la France « gauloise » avait là perdu une partie de son « élite biologique », par une sorte de sélection naturelle à rebours. Ce qui expliquerait, après la Grande Guerre, un effondrement du « caractère » français. Phénomène difficilement imaginable aujourd’hui : pour s’engager et se battre, beaucoup truquèrent leur état civil et des réformés réussirent à s’engager au péril de leur vie, comme le musicien Ravel, auteur du Boléro, devenu chauffeur de camion sous la mitraille. La ferveur patriotique était aussi forte chez les jeunes bourgeois de la Belle Epoque que chez les paysans.

L’ardeur patriotique française s’expliquait en partie par le fait qu’on avait le sentiment d’être agressé par le « Boche », contre lequel il fallait prendre une revanche sur 1870 et récupérer l’Alsace-Lorraine. Pendant toute la période 1870-1914, dans les deux pays, un violent sentiment antiallemand ou anti-français a été construit dans l’idéologie collective, sous forme d’une xénophobie nationaliste à relents ethniques. S’y ajoutait l’alliance franco-russe – Slaves et Gaulois encerclant les Germains – suicidaire pour les peuples européens.

Une victoire à l’arraché

Normalement, la République française aurait dû perdre la guerre de 14. Comme en 70. Dès septembre, lors de la « bataille des frontières », près de Charleroi en Belgique, l’armée française, mal équipée, mal commandée, qui manœuvre comme au XIXe siècle, perd 40.000 hommes en un seul jour et reflue sur la Marne. Paris est menacée, le gouvernement fuit à Bordeaux. L’armée française fut sauvée par trois facteurs qui expliquent la victoire d’arrêt sur la Marne : la galvanisation patriotique de la troupe, l’héroïque résistance victorieuse de l’armée belge qui stoppe l’armée impériale pourtant supérieure en nombre et l’empêche d’opérer un mouvement de faux sur le Nord de la France et l’attaque des Russes du Tzar Nicolas II en Prusse orientale qui oblige le haut commandement allemand à retirer une armée entière du front Ouest. Les historiens admettent aujourd’hui qu’en 1914, la monarchie russe s’est sacrifiée et a sauvé la France de la défaite ; elle s’est sacrifiée parce que si le Tzar avait refusé la guerre contre le IIe Reich, la Révolution d’Octobre n’aurait pas eu lieu.

Mais, dès la paix de Brest-Litovsk signée avec le nouveau pouvoir léniniste, l’Allemagne aurait pu retourner toutes ses forces sur le front Ouest contre la France, et vaincre. Mais l’engagement de la Grande-Bretagne, du Commonwealth et des Etats-Unis – les Anglo-Saxons et les Belges tiennent la majorité du front du Nord de la France – permettent la signature de l’Armistice du 11 novembre 1918. Sur le front de la Mer du Nord à la Suisse, l’armée française représente 50% des effectifs, sous le commandement de Foch. L’armée allemande est épuisée, notamment par son échec à Verdun face à Pétain, le Kaiser abdique, la révolution gronde en Allemagne. Mais elle n’est pas envahie par les Alliés et sa nouvelle République signe le traité de Versailles, une des causes de la Seconde guerre mondiale, prolongement de la Première.

Le IIIe Reich, folie pure d’une Allemagne blessée par le Traité de Versailles, a contribué par sa défaite (programmée d’avance) à l’aggravation du drame européen, que n’a pu rattraper la création de l’UE.

Le déclin européen après 14-18

Les conséquences de la guerre de 14-18 furent dramatiques et nous les payons toujours :

  1. elle a provoqué la naissance du régime communiste en Russie ainsi que la Seconde guerre mondiale, prolongement et achèvement de la Première ;
  2. elle a saigné l’Europe et entamé son déclin ;
  3. elle a inauguré l’hégémonie américaine sur l’Europe, politique, économique, culturelle.

De la Grande Guerre, ou guerre civile européenne, date la fin de l’apogée de la civilisation européenne. Ce fut un suicide collectif, une tragédie. Une autre conséquence, peu relevée est la destruction du sentiment ethnique français : avoir utilisé des troupes coloniales extra-européennes (bien que très minoritaires, ce qu’on essaie de nier aujourd’hui) pour combattre d’autres Européens (les Allemands) a eu des répercussions symboliques considérables. Ce fait se répétera en 40-45.

L’histoire est toujours tragique et son écheveau est toujours difficile à démêler : le patriotisme, sentiment noble, a vu son énergie détournée vers – et par – le nationalisme, donc vers une guerre intra-européenne suicidaire. La responsabilité de la guerre de 14-18 incombe aux chancelleries européennes, notamment allemande et française mais aussi austro-hongroise et britannique, qui rêvaient d’en découdre. Le patriotisme a été instrumentalisé par une idéologie nationaliste intra-européenne prise d’une ubris à courte vue. Le nationalisme de 14-18 était pervers puisqu’il opposait des peuples apparentés – les Européens. Mais ce constat ne suffit pas à discréditer le patriotisme et la nécessité de prendre les armes à bon escient.

Patriotisme et nationalisme aujourd’hui : sombre bilan

Patriotisme et nationalisme entretiennent des relations compliquées. On a dit que le patriotisme était l’amour de son peuple et que le nationalisme la haine des autres, mais c’est beaucoup plus compliqué que ça. En réalité, le patriotisme est un sentiment et le nationalisme une idéologie. Les deux sont nécessaires mais il faut bien les doser et bien les appliquer aux situations. En 14-18, personne n’a su le faire et ce fut une tragédie : les nations européennes se sont étripées. Pourtant, le patriotisme est un sentiment élevé, indispensable à la survie de tout peuple. Sans patriotisme et acceptation de peut-être, donner sa vie pour la nation, par une précession psychologique du « nous » sur le « moi », un peuple est en danger.

Les commémorations de 14-18 aujourd’hui insistent lourdement sur les fusillés pour rébellion ou refus d’obéissance, avec plus d’insistance que sur les sacrifices patriotiques. Ils ont même été réhabilités. Il y a là quelque chose de malsain. Les médias audiovisuels grand public et le cinéma exagèrent d’autre part le rôle, assez mineur en réalité, des troupes coloniales extra-européennes, uniquement pour les plaindre et dans un but évidemment idéologique : ils ont été exploités et ils ont tous les droits.

Place du Trocadéro, à Paris, s’élève un énorme monument aux morts à la Grande Guerre, avec statues géantes, que photographient tous les touristes. Il est mal entretenu, sali, noirci par la pollution, envahi par les broussailles qui poussent jusque sur les épaules des statues des soldats. La municipalité parisienne s’en fiche. C’est une preuve éclatante d’indifférence. Les commémorations sont souvent l’occasion d’une com et d’un business plus que d’un travail de mémoire.

Aujourd’hui, les patriotismes européens et leurs expressions symboliques subissent des formes et des expressions dégradées, dégénérées pour employer un vocabulaire juste : le nationalisme footballistique ou sportif d’une manière générale. Avec des joueurs qui ne sont même plus nationaux. Double décadence : des enjeux sans intérêt et des acteurs étrangers.

La comparaison entre les jeunes recrues de 14-18 qui partaient se battre pour leur patrie et le “patriotisme” médiatique des supporters sportifs qui se barbouillent la figure de leurs couleurs nationales exige une double interprétation : les premiers risquaient leur vie pour un idéal et un but concret, empêcher l’invasion de la Patrie. Les seconds s’adonnent au festivisme (selon le concept développé par Robert Steuckers) qui est un simulacre de bonheur dans une société où les suicides comme les anti-dépresseurs n’ont jamais été si nombreux.

Polémologie : nouveau patriotisme et guerre future.

L’Union européenne – vieille idée qui date du XVIIIe siècle destinée à stopper les guerres de peuples frères européens – a été faite beaucoup trop tard. C’est en 1900 qu’il fallait la faire, pas après la fin de la Seconde guerre mondiale. Malheureusement, la création de l’Union européenne n’a pas abouti à la naissance d’un patriotisme européen. C’est logique : on ne se sacrifie pas pour un objet technocratique abstrait, un OBNI – objet bureaucratique non identifié. Bruxelles est le tombeau de l’idéal patriotique européen.

Dans la France d’aujourd’hui, l’ « intégration » ou l’ « assimilation » des immigrés de plus en plus nombreux est un échec complet, non seulement du fait de leur nombre croissant, mais aussi parce que l’idéal de la nation française a été complètement dévoyé. L’histoire de France n’est même plus enseignée à l’école. La pseudo « République » se noie dans le communautarisme, cultive le déracinement et la négation de toutes les valeurs civilisationnelles françaises et européennes. L’islam devient intouchable et sacralisé. On est très loin des idées du général De Gaulle qui estimait que la France était un pays européen de race blanche, de culture gréco-latine et chrétienne et qui refusait toute immigration du Sud. Aucun patriotisme, ni esprit de sacrifice, ne peuvent naître pour une entité multiculturelle et multiraciale, qui n’est plus perçue comme la vraie « France » mais comme un mensonge, un simulacre. D’autant plus qu’une majorité d’immigrés non seulement n’en ont rien à faire de cette idée ethno-historique de « France » (ou d’Europe) mais la détestent et la combattent.

Il faut bien prendre conscience du fait que, dès le XIXe siècle, l’idée de « France » comme nation européenne a été sapée par le colonialisme de l’Empire français qui voulait amalgamer tous les peuples. Nous en payons aujourd’hui les conséquences avec la colonisation à rebours de l’immigration invasive qui détruit l’identité de la nation de l’intérieur. Le problème de la patrie est qu’elle est nécessairement charnelle donc, quelque part, ethnique. Ce qui contrevient aux principes « républicains » universalistes de 1789. C’est la tragédie de l’histoire : les principes républicains se sont retournés contre la nation française.

Nous allons vers une configuration de guerre civile, dans laquelle l’ennemi sera intérieur, dans laquelle le patriotisme ne se portera plus contre l’ « Allemand », mais contre un ennemi intérieur, parfaitement identifié par le peuple et nié par les élites. On ne peut pas évacuer la guerre de l’horizon humain.

La fin du service militaire et le passage à une armée de métier (très restreinte) nous fait croire que nous sommes à l’abri de la guerre. Mais la guerre ressurgit toujours. La menace est polymorphe et permanente. Aujourd’hui, elle est d’abord intérieure, sans oublier les aides extérieures possibles…

Malgré le sport, l’hygiène supérieure, la médecine, l’alimentation plus complète, un jeune Français de 18-30 ans d’aujourd’hui n’est pas du tout au niveau de résistance physique et morale et d’agressivité que son ancêtre du même âge (à 80% paysan) en 14-18. Il ne risquerait pas sa peau dans les tranchées et mourrait à cause des conditions de vie, il s’évanouirait de peur au tir d’une batterie de 75 ou d’une mitrailleuse Maxim. Rien à voir avec les affrontements des manifestants anarcho-écolos contre la police ou les bagarres de supportes du PSG.

Seules des élites militaires très restreintes peuvent aujourd’hui se battre efficacement. La masse de la population n’est plus capable d’aucun engagement militaire. De plus, nous souffrons d’une très grave faiblesse psychologique : le moindre mort dans une Opex provoque des drames – Opérations extérieures de l’armée, qui ne sont que des opérations de contre-guérillas.

Toutes ces considérations sont contradictoires. Car il faut nous féliciter, n’est-ce pas, de l’absence de guerres en Europe depuis 1945 ? La fin du patriotisme, de l’esprit de sacrifice a amené une paix provisoire. Mais vous pensez que ca va durer éternellement ? Nous avons l’impression qu’il n’y a plus de menaces alors qu’il n’y en a jamais eu autant. La menace n’est pas la Russie, pauvres gens ! Ouvrez les yeux ! Elle est à vos portes. Commémorons 14-18, certes, mais ne pensons pas, comme nos valeureux aïeux que c’était la « Der des Der ». Non. Ce n’était que la Première. Il y eut la Deuxième et il y aura la Troisième.

Concluons

Dans son ouvrage remarquable, Les derniers jours, la fin de l’empire romain d’Occident, (Les Belles Lettres), Michel De Jaeghere démontre que les Romains ne voulaient plus s’engager dans les légions à partir de la fin du IIe siècle pour défendre leur patrie contre les invasions barbares et laissaient ce travail aux Barbares eux mêmes. Ils avaient perdu le sens de leur patrie. On sait comment tout cela a fini. Les Barbares, déjà installés, les ont dévorés de l’intérieur. Et ils étaient beaucoup moins dangereux que ceux d’aujourd’hui.

Guillaume Faye
Philosophe, écrivain, essayiste
14/11/2014

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