Alice Weidel, co-présidente de l’AfD – le mouvement identitaire allemand –, a fait savoir que son parti était prêt à entrer comme « partenaire junior » dans une coalition avec les conservateurs CDU/CSU. C’est cette hypothèse qu’évoque ici notre correspondant Nicolas Faure, correspondant pour Polémia en Allemagne. Une hypothèse logique en termes de proximité idéologique des électeurs… mais une hypothèse en l’état peu probable car peu d’élus conservateurs sont prêts à briser le cordon sanitaire et à affronter les orages de la diabolisation. Reste qu’en l’absence d’une coalition entre les conservateurs et les identitaires, l’Allemagne se retrouvera sans majorité car le SPD en chute libre et la CDU/CSU à la peine auront du mal à rassembler suffisamment de sièges pour former une coalition stable. En France comme en Allemagne il n’y aura pas de solution politique stable tant que subsistera l’absurde interdit sur les formations injustement ostracisées.
Polémia
Vers une recomposition majeure ?
Le paysage politique allemand connaît une recomposition marquante ces dernières années. L’AfD, partie d’une position marginale, a réussi à consolider sa présence dans plusieurs Länder de l’Est et a élargi son influence à l’échelle nationale, en particulier sur des sujets clés comme l’immigration, la souveraineté nationale et la politique énergétique. De son côté, la CDU, sous la direction de Friedrich Merz, tente de regagner les électeurs conservateurs partis vers l’AfD. Tandis que le SPD et les Verts perdent du terrain dans les sondages, certains analystes prévoient qu’une coalition avec l’AfD pourrait devenir une option pour la CDU, afin d’assurer une majorité parlementaire stable.
Si une telle alliance venait à se concrétiser après des élections législatives anticipées, cela marquerait un tournant majeur dans la politique allemande. Historiquement, la CDU a toujours refusé toute coopération avec l’AfD, mais certains éléments récents laissent entrevoir un possible changement de cap.
Les grandes lignes de la coalition « noire et bleue »
- Immigration et sécurité : L’une des premières réformes d’une coalition entre la CDU et l’AfD pourrait être un durcissement de la politique migratoire. Des contrôles renforcés aux frontières et des restrictions plus strictes pour l’obtention du droit d’asile pourraient être mis en place. La coalition pourrait aussi faciliter le retour des demandeurs d’asile déboutés et réexaminer la législation sur la double nationalité et la naturalisation.
- Économie et fiscalité : Bien que les visions économiques de la CDU et de l’AfD soient parfois divergentes, la coalition pourrait s’accorder sur une réduction des impôts pour les entreprises et une réduction des régulations économiques. Le système de protection sociale pourrait également être réformé, notamment pour limiter certaines prestations pour les non-citoyens.
- Énergie et environnement : Un retour en arrière concernant la transition énergétique serait envisageable. L’AfD et la CDU pourraient assouplir les restrictions sur l’exploitation du charbon et du nucléaire, tout en mettant l’accent sur une indépendance énergétique accrue. Ce réexamen pourrait inclure une remise en question de certaines mesures climatiques jugées trop contraignantes.
- Politique européenne et internationale : À l’échelle européenne, une coalition CDU-AfD pourrait se montrer plus souverainiste, cherchant à réduire la contribution financière de l’Allemagne au budget de l’UE et à privilégier des relations bilatérales avec certains partenaires stratégiques plutôt que de poursuivre des décisions communautaires. Sur la scène internationale, la politique envers la Russie et la Chine pourrait être réévaluée, avec une approche plus pragmatique concernant les sanctions et les échanges commerciaux.
Réactions et conséquences politiques
Au sein de la CDU :
Une telle alliance pourrait provoquer des divisions profondes au sein de la CDU. D’un côté, certains membres conservateurs la soutiendraient pour des raisons stratégiques, cherchant à récupérer les électeurs perdus au profit de l’AfD. D’un autre côté, des figures plus modérées au sein du parti s’opposeraient fermement à ce rapprochement, risquant ainsi de fragiliser l’unité du parti, notamment dans les régions où les électeurs CDU sont historiquement plus centristes.
Dans la société allemande :
Une partie de l’électorat pourrait saluer la mise en œuvre d’une politique plus stricte en matière d’immigration et de sécurité, jugée nécessaire face à des défis démographiques et sécuritaires. Cependant, une large frange de la population, notamment dans les grandes villes et à l’Ouest du pays, pourrait manifester son opposition par des protestations dans les rues et une mobilisation accrue sur les réseaux sociaux, ce qui pourrait accentuer la polarisation sociale.
À l’international :
Une telle évolution provoquerait des réactions diverses à l’échelle européenne. Certains pays voisins, comme la France, pourraient exprimer leurs réserves face à l’évolution de la politique allemande, en particulier concernant la question migratoire et la place de l’Allemagne au sein de l’UE. D’autres pays, comme l’Italie ou la Hongrie, qui partagent des positions similaires avec l’AfD sur certaines questions, pourraient au contraire soutenir cette nouvelle orientation.
Un changement de cap aux conséquences incertaines
Une coalition entre la CDU et l’AfD représenterait un bouleversement considérable dans la politique allemande, mais elle ne marquerait pas nécessairement une rupture totale avec les précédentes lignes politiques du pays. En effet, l’AfD pourrait modérer certaines de ses positions pour rendre cette coopération plus acceptable au sein de la CDU, mais la mise en œuvre de réformes ambitieuses pourrait se heurter à des résistances internes au sein du parti et à des tensions sociales grandissantes. Les divisions à l’intérieur de la CDU seraient cruciales : une scission interne pourrait émerger, rendant difficile la gestion d’une telle coalition.
De plus, à l’international, l’alignement avec des gouvernements eurosceptiques comme la Hongrie pourrait être perçu comme une dérive autoritaire, tandis que les relations avec les autres pays européens pourraient se détériorer. Sur le plan interne, les manifestations et l’agitation sociale pourraient accentuer la polarisation du pays.
Ainsi, bien qu’une telle alliance soit encore improbable à court terme, elle pourrait devenir un scénario envisageable à mesure que les équilibres politiques en Allemagne se modifient. Les prochaines années seront décisives pour savoir si la CDU et l’AfD peuvent véritablement trouver un terrain d’entente, et surtout, si une telle coalition peut assurer une stabilité politique sans provoquer de fractures trop profondes dans la société allemande. Si la CDU parvient à encadrer cette alliance en imposant ses lignes rouges, notamment sur le respect des institutions démocratiques et le rôle de l’Allemagne en Europe, cette coalition pourrait être perçue comme une réponse pragmatique aux évolutions du paysage électoral. À l’inverse, si les tensions internes et les réactions négatives dominent, elle pourrait être de courte durée et entraîner des recompositions politiques à moyen terme.
Nicolas Faure
12/02/2025