Par Laurence Maugest, philosophe, essayiste ♦ En ce dimanche de novembre qui s’est subtilement glissé fin avril comme un coucou dans un nid qui n’est pas le sien, nous avons mon mari et moi-même décidé de fuir le couvercle automnal pour aller s’obscurcir, tant qu’à faire complètement, dans une salle du 7e art. Une expérience sans doute exponentielle mais assez extraordinaire : une véritable comédie, (tragicomédie ?) d’un féminisme qui se radicalise dans la lourdeur … De quoi extrapoler quelques douleurs à venir ?
Suivant les conseils d’un critique de cinéma en principe avisé, c’est joyeusement que nous nous sommes rendus en cette bonne ville de Versailles, au cinéma « Le Cyrano »pour découvrir le film « Larguées ».
Tout allait bien. Pour une fois, nous n’étions pas en retard et nous avons trouvé une place pour la voiture, immédiatement. Ce genre de chose qui, en principe, ne se voit que dans les films. En dépit de la pluie froide, mon mari était serein. Les grosses gouttes glacées eurent le mérite de nous motiver à presser le pas pour nous métamorphoser, au plus vite, en spectateurs de « Larguées »tourné sous le soleil de la Réunion.
L’arrivée au cinéma : premiers frémissements sociologiques
Le hall d’entrée du cinéma était bondé. Nous constatons alors qu’un pourcentage non négligeable de Versaillais et autres habitants des communes environnantes avait décidé d’aller voir « Larguées ». Une jeune femme garante de l’ordre interdisait le passage vers la salle (ce n’était pas encore l’heure). J’ai vite noté sa voix curieusement nasillarde et hautement perchée vers les aigus. Elle doit sans doute son poste à cette particularité de la nature qui lui permet de se faire entendre dans un brouhaha indescriptible. Lorsqu’elle lança : « Pour Larguées vous pouvez avancer » ce fut le début de l’aventure. Déjà, il fallait se remettre de la quantité de décibels de ce « pour larguées vous pouvez avancer » que l’hôtesse répéta, pour notre malheur, plusieurs fois. Il est pourtant certain que nous avions tous entendu sa première annonce. C’est alors que ma voisine qui se trouvait juste derrière moi a foncé en me bousculant d’une façon absolument caricaturale. Je réfléchis un instant, notre vie n’était pas en danger, nous n’étions pas sur le Titanic, aucune odeur de feu n’était perceptible, alors pour tenter de comprendre le pourquoi de cette furie, je lui ai demandé si elle avait la perspective de m’écraser entièrement ou à moitié ? L’horreur de la vulgarité lorsqu’elle est infondée m’empêche de dire ce qu’elle a répondu, mais il est vrai que ce n’est pas agréable d’être traitée de c….. Je l’ai regardé de ma hauteur (1m64 en inspirant), je crois avoir capturé je ne sais pas par quelle génération spontanée, parfaitement improbable, une certaine attitude british. Je l’ai regardé droit dans les yeux et je lui ai lancé « Madame, il y a erreur sur la personne ! » Cela ne la absolument pas calmée. Peu importe, mon esprit était déjà préoccupé par autre chose de bien plus inquiétante : le climat d’agressivité ambiant était plus que troublant. Celui-ci me fut confirmé par mon mari qui fut malmené comme moi par quelques épaules et coups de coude. Une fois en sécurité sur nos sièges, nous nous sommes regardés et avons constaté, en accord parfait, que nous n’avions jamais vécu une entrée aussi nerveuse dans une salle de cinéma. Bref, c’était fou, bizarre, un peu inquiétant.
Je décidai alors d’observer cette salle assez vaste qui était déjà pleine comme un œuf. Au risque de me rompre le cou, j’ai scruté devant, derrière, à droite et à gauche, menant ainsi une étude rapide et superficielle certes de la population présente. Là, le constat fut sans appel :Il y avait une majorité écrasante de femmes, je ne voyais presque pas d’hommes. Il fallait réitérer avec plus de sérieux méthodologique. Tant pis pour mes cervicales, je décidais de compter très sérieusement, tout en étant discrète, les créatures du sexe masculin : 22 ! J’en ai comptabilisé 22 ! La salle doit accueillir à peu près 150 personnes(*) Je fis part de ce constat à mon mari qui me répondit un peu ténébreux « cela ne m’étonne pas, c’est une véritable basse cour ». Il est vrai que toutes ces dames, cheveux longs ou cheveux courts, laqués ou non, parlaient haut et fort. L’agressivité de l’ambiance était toujours aussi présente dans cette population de la France censée être bien élevée Moi, je ne comprenais plus rien.
Le film ou la clé de l’énigme sociologique
C’est le scénario du film qui me mit avec force sur la voie. Deux grandes filles veulent sauver leur mère larguée par leur méchant papa happé par le charme d’une jeunette. Après l’étape cathartique qui se veut thérapeutique d’une séance de tire à la carabine sur une cible habilement recouverte de l’effigie de leur papa par les demoiselles thaumaturges, nous assistons à la guérison, accélérée par les cocktails exotiques, de la mère de 60 ans. Si bien remise, qu’elle tombe dans les bras du bellâtre de la plage, accessoirement ancien et fugitif amant de sa fille la plus délurée. Une comédie divertissante qui fait le culte de la légèreté, pourquoi pas ? Mais là où l’on cesse de sourire, c’est quand on réalise que les personnages masculins du film sont tous plus ridicules les uns que les autres : du barman à la photo du père – choisie avec soin pour exprimer la plus abyssale stupidité – qui sera vite explosée par les balles. Seul, le bellâtre, par l’affection sincère qu’il porte à la maman en rémission, sort du lot des hommes débiles qui nous est exposé avec délectation. Mais, ses sentiments sincères vont être digérés à la rubrique « confiserie » par la maman et l’on peut supposer que ce traitement est voulu sciemment par l’auteur du film. Ceci, pour bien nous expliquer que la guérison totale de cette femme se confirme par le fait qu’elle sait remettre l’homme à sa place. En effet, une de ses filles lui demande si elle va revoir le bellâtre, une fois rentrée à Paris.Sa maman lui répond par métaphore recherchée « Les cornes de gazelles sont un miracle de délice au Maroc, elles deviennent insignifiantes en France ». Si l’on rajoute à ce trait « philosophique » qui conclue le film, le fait que la sœur, mariée et mère de famille, est constamment ridiculisée, notamment par sa cadette qui elle est sans attache et se veut libre comme l’air, nous comprenons alors,sans difficulté, que ce film défend la nécessité de larguer les amarres, la famille, le mari et que les hommes sont des entraves dont il faut se débarrasser ou « consommer » très ponctuellement. Bref, un véritable réquisitoire contre l’homme, un film qui s’inscrit, et le revendique, dans la guerre des sexes qui se déclare de plus en plus nettement.
Quant à l’ambiance acrimonieuse de la salle, elle indique la hargne et la lourdeur de certains « climats féministes ». Nous pouvons redouter que les lances soient affûtées, et les guerrières prêtes à l’assaut. Cette confusion des rôles organisée, ce mépris constant qu’essuie l’image de l’homme font naître une violence certaine – évidente dans les attitudes et propos des néo féministes et dans des réalisations comme « larguées ».
Est-ce cette même violence que les féministes reprochent à la gente masculine ? Cette violence inévitable, intrinsèque à la nature humaine qui s’échapperait, rendue incontrôlable, par le fait de la remise en cause constante et brutale des rouages anthropologiques qui cherchent à la réguler depuis des siècles. Ce que l’on appelle la civilisation mise en place sous forme d’autorité, de défense légitime de sa tribu et de ses biens …
Entre la déconstruction des fonctionnements sociaux assurant peu ou prou sa régulation, son déni constant au sein de la société guimauve et ours en peluche, et son obsessionnelle recherche dans les remarques les plus anodines de quelques dragueurs dans une société liberticide qui continue néanmoins à exhiber des corps dénudés dans ses rues pour assurer le commerce de la lingerie fine, nous pouvons redouter que la violence s’exprime d’une façon de plus en plus débridée et devienne ainsi le sujet de préoccupation essentiel d’une société bien malade.
En espérant que les dimanches de mai soient ensoleillés…
Laurence Maugest
03/05/2018
(*) Afin d’obtenir un chiffre plus précis, j’ai tenté en vain de joindre le cinéma mais le numéro de téléphone indiqué aboutit sur un disque qui vous oriente vers le site Internet du Cyrano. C’est ainsi que j’ai découvert que ce cinéma fut créé en 1928 avec une seule sale unique à l’origine pouvant accueillir plus de 1000 personnes, appelée la succursale de l’Olympia, c’est dans ses murs que les Beatles se sont produit la première fois en France http://www.la-belle-equipe.fr/2016/10/01/le-cyrano-salle-de-cinema-versailles-cinemonde-1929/
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Affiche officielle du film